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Tlà« B«qu«st ot CONVERS FRANCIS, D.D. M (. . -* bV^-o^ • V. > • -.' - * ^v LE CHRISTIANISME ET LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. Imprincm Duceâois, 55, ijnaidet An(putiiM LE CHRISTIANISME BT LA RÉVOLUTION PAR E. QUINET PARIS AU COMPTOIR DES IMPRIMEURS-UNIS. COHOlf BT C«. OUAI KALAQUAIS, ift. IM5 BU AU Y . i ■' r ■-'■ ,-r A M. J. MIGHELET. 11 manquerait à ce livre une chose impor- tante pour moi si je ne vous le dédiais pas^ à yous^ mon ami et mon frère de cœur et de pen- sée. Depuis le premier instant où nous nous sommes connus^ par quel hasard est-il arrivé que^ séparés ou rapprochés^ nous n'ayons cessé au même moment de penser^ de croire, et sou- vent d'imaginer les mêmes choses sans avoir eu besoin de nous parler? Cet accord de l'âme a tou- jours été pour nous la confirmation du vrai; depuis vingtans ce combat nous réunit^ et c'est le combat éternel qui ne finira qu'en Dieu. Vous le savez comme moi ; cet ouvrage est la suite du plan que j'ai conçu en comm^i- çant d'écrire, et dont les parties précédentes sont : le Génie des religions, V Essai sur la vie de Jésus-Christ'^, une moitié de notre lifre des * Voy. Allemagne et Italiâf t- II. Jésuites, VJJltramontanisme. Dans cette carrière non interrompue^, j'ai traité de la Révélation et de la Nature, des traditions de FAsie orientale et occidentale, des Védaset des Castes, des religions de rinde, de la Chine, de la Perse, de TÉgypte, de la Phénicie, du Polythéisme grec. J'ai suivi, à tra- vers leurs principales variations, le Mosaïsme, le Christianisme des apôtres, le Schisme grec, rislamisme, la Papauté au moyen âge, la Ré- formation, la Société de Jésus, TÉglise galli- cane, les rapports de la Révolution française et du Catholicisme ; en sorte que ces ouvrages, dif- férents de formes, mais semblables par le but, tendent à composer une histoire universelle des révolutions religieuses et sociales. Si dans cette marche vers un but aperçu de loin, j'ai fini par rencontrer avec vous des ad- versaires ardents, ik n'ont exercé aucune in- fluence sur la nature et le caractère de mes idées non plus que sur les vôtres. Je me suis appliqué à suivre d'une manière imperturbable le projet que j'avais formé, dans le temps où je ne comp- tais pas un seul ennemi. Déterminé seulement à ne pas dévier devant les difficultés qui surgis- saient, je ne les ai combattues qu'autant qu'elles ^ Voy. l'Appendice à la fin de ce volume. se liaient à cette grande polémique que chaque siècle soutient contre ceux qui Font précédé. Sans nulle haine contre les personnes, je pense même que Topposition qui m'a été faite m'a été utile, lorsqu'elle n'a pas dégénéré en violence. Pour vaincre ces contradictions systématiques, j'ai dû veiller plus attentivement sur moi-même, ne rien avancer qui ne fût, de ma part, une conviction profonde, m'entourer de preuves, d'évidence, me passionner pour la vérité seule, certain que tout le reste, artifices de langage, ornements de style, futiles parures, me se- rait disputé sur-le-champ. Si j'eusse écrit pour une académie, dans le fond de la retraite, sans qu'aucun ennemi épiât mes paroles, j'aurais dit au fond les mêmes cho- ses; mais peut-être ne les eussé-je pas assez trempées dans le plus intime de mon cœur ; j'au- rais pu m'amuser à parer ce qui doit être nu. Au lieu qu'obligé, chaque jour, de porter moi- même ma parole en public, à la face de mes ennemis déclarés, je tiens pour assuré que cette sorte d'épreuve morale et immédiate m'a for- cément ramené à ce qui est le nerf de mon sujet. Dans nos mœurs modernes, 1 écrivain retiré dans sa bibliothèque, sans contradicteur, ne eourt qti^tin seul péril^ qui est de se donner tïôp àîàéfflént raison^ ; cette volupté Ténerve. Un iQbmënt d^ùne lutte à outrance est néces- é&ité dans ce métiei^^ le plus dangereux de tôtts, pour la santé de Tâme, )e remercie donc îe ciel de ih^avoîr enlevé à une volupté redoutable. Quand les inimitiés se sont prononcées^ loin d'é- prouver aucun ressentiment, j'ai accepté de grand cœurFoccasion de lutter avecmoi-mêmeet dem'avancerdans la vérité, pat le besoin même de tn'y fortifier. Temps étrange que celui où toute élévation morale passe aisément pour un commencement de sédition! En traçant ces mots, je sais d'avance, mon ami, que j^exprime Votre propre pensée. Le témoignage de notre intimité m'a toujours paru la meilleure partie de notre enseignement. Si quelqu'un se trouve touché par ce livre, je dé- sire qu'il se dise : Voilà deux hommes qui ont été constamment occupés des mêmes choses; et léUr amitié n^a fait que s^accroitre j usqu'à la mort . E. QUÏNET. Paris, ce 23 juillet 1845. < l^armi 1m ëcrîvabs et les ouvrages dont je me suis bppuyé, je me'cootenterai ^t dter ici l^taelqaes-ttns de ceux qui appartiennent à la littérature moderne du^Hidi de l'Europe : Zuriia. Sarpi. Bellarmin. Loyola. Ribadeneiras. PallaYicini. Paruta. F er- imoite^ Motiàa. Savonafole. Sainte Thérèse. Àcquaviva. Machiavel. Galilée. Vico. Quevedo. Arcipreste de Hita. Lettres de Christophe Colomb; de Femand Cortès. Campanella.Ercilla.Cbiabrera. Filicaja. Platina. Gregorio Leti. Giannone. Muratori. Venturi. Beccaria. Sacro Ârseaale. Qaintana» Lloreiite.Le cardinal Pacca.Monti. etc. PREMIÈRE LEÇON. Introduction. — Deux systèmes : un Dieu mort, un Dieu vivant. — Principe de la critique littéraire : rapports des littératures et des institutions religieuses. — Aperçu du sujet. — Pourquoi la révo- lution d'Espagne est stérile. — Accord de la servitude religieuse et de la servitude politique. — École des nouveaux Guelfes en Italie ; idéal de liberté, fondé sur la censure. — Les deux papes du dix-* neuvième siècle. — Rome et la Russie. — De la f^imine morale chez un peuple. .1 PREMIÈRE LEÇON. McSSIBUkS, Une année nouvelle s'ouvre devant nous; elle réclame de nous un esprit nouveau. C'est une con- dition particulière à l'homme qui paraît dans ces chaires, que son auditoire rajeunit et se renouvelle constamment autour de lui. Dans toutes les autres assemblées, le temps pèse presque également sur celui qui parle et sur ceux qui écoutent ; on vit et on vieillit ensemble. Ici, au contraire, les jours ne s'ac- cumulent que d'ufa côté ; là jeunesse, Tâge mûr, la vieillesse, à son tour, se succèdent chez l'orateur. 1 ■v s î 4 INTRODUCTION. De votre côté^ au contraire, le printemps de Tannée reverdit chaque saison; avec lui, la curiosité de l'esprit, l'espérance, l'audace de la pensée demeu- rent ce qu'elles étaient; en un mot, la vie, qui coule pour moi, reste inépuisable pour vous; quand je ne serai plus, vous aurez la même jeunesse qu'aujour- d'hui ; en tant qu'auditoire renouvelé d'année en année, de génération en génération, vous ne périrez pas. Ce partage serait trop inégal si, tandis que vous jouissez d'un présent permanent, le passé qui se creuse derrière moi était perdu pour moi ; je dois au contraire supposer que les paroles que j'ai pro- noncées ne sont pas mortes, que l'âme que j'ai cherché à répandre vit encore, ne fût-ce que dans un pelit nombre d'entre vous. Et par là seulement peut s'établir la continuité de l'enseignement, qui est l'image de la vie elle-même. Ils sont loin d'ici, dispersés selon les vues de la Providence, ceux au milieu desquels j'ai commencé, à Lyon, la car- rière d'idées que je poursuis ici; d'autres les ont remplacés qui à leur tour ont disparu. Aujourd'hui, je suis nouveau pour un grand nombre d'entre vous; et pourtant jer dois supposer que vous me connaissez tous, et que, malgré le changement des années, il INTRODUCTION. 5 reste ici debout un esprit qui garde au moins un souvenir [de ma pensée. Autrement, quelle serait ma tâche? Refaire ce que j'ai déjà fait, redire ce que j'ai déjà dit, tourner dans un cercle sans issue. Cet auditoire, je Tai toujours considéré comme un être moral qui conserve la mémoire et me per- met ainsi de faire chaque année un pas nouveau au-devant de la vérité. D'un côté, ce qu'il y a de durable dans la parole sincère germe dans quel- ques esprits qui représentent pour nous ici les années écoulées; de l'autre, des auditeurs nouveaux qui ne font qu'entrer dans la vie, appellent avec impatience une nouvelle phase dans notre enseigne- ment. Laissons donc l'ancien rivage, les anciens su- jets, aspirons avec cette génération nouvelle d'au- diteurs à une autre génération de faits et d'idées ; surtout élevons et agrandissons de plus en plus notre pensée. Cette méthode est celle de la nature elle-même ! Le flot marche et reflète un autre ciel ; l'ancienne sève circule dans les plantes rajeunies; l'esprit de l'homme restera-t-il immobile? Cela serait plus fa- cile, mais cela serait déchoir au dessous de la na- ture morte. Je ne sais si nous avons fait quelque chose, mais je le compte pour rien auprès de ce que 6 INTRODUCTION. nous avons à faire ; ne nous amusons pas à recom- mencer notre passé ; au lieu de nous réjouir dans nos œuvres en commun, comme dans uq pécule amassé, prenons plutôt pour devise le mot d'un \ grand penseur américain : Le vieux est fait pour les \ esclaves I Toutes les luttes, tous les systèmes religieux, pp- Ijtiques, philosophiques, littéraires, qui agitent au- jourd'hui le monde, se réduisent nécessairement à 4eux. Dans l'un de ces systèmes on pense qu'à partir ^^ d'un certain moment tout est fini dans la nature et ■ dans l'esprit, que la Bible est close, que l'éternité n'y ajoutera pas une page, que le souffle de Dieu ne se promène plus dans FiQfipi, que certains siècles ont usurpé toute la sagesse, toute la beauté d'un peuple, d'une race d'hommes, et qu'il ne reste plus qu'à les contrefaire, en un mot, que la terre dé^ héritée, orpheline, est.un sépulcre divin, où chaque génération vient écrire à son tour de son sang et de ses larmes l'épitaphe d'un monde. D'autres pensent, au contraire, que chaque jour, \f> chaque instant renferme une création, que le sqleil qui a lui dans la Genèse se lève sur vos tètes avec sa splendeur immaculée, que si quel(|ues hommes sont las, Dieu n'est pas découragé coiiime euX| qu'il n'a INTRODUCTION. 7 pas fermé au moyen ftge les portes de son Église, qu'il n'est pas fatigué de tourner les pages du livra de vie, quUl n'est pas [l&rpétuellement assis, immû<* bile sur Vescabeau de David, mais qu'il se promène à travers les créatures, évoquant a chaque instant par leur nom, des choses, des faits, des peuples, des générations nouvelles. San^ entrer aujourd'hui au fond de ces systèmes de découn^ement ou d'espérance, je demanderai seulement, si tout est fini, si l'action divine est ar- rêtée, pourquoi cette génération nouvelle vient-«ll« fiapper à I4 porte de vie? Pourquoi est*elle sortie du néant? Où étaii-^elle il y a moins de vingt ansT Que vient-elle faire ici? Que demande-t-elle sous b soleil? Pense4^ûn qu'elle arrive sans mission, sans vocation? Pour moi, je pense que qui la ccmsidére* rait bien trouverait qu'elle porte sur le front la trace d'une pensée qui surgit avec elle, pour la première fois dans le monde. Que ces nouveaux venus nous disent s'ils sont las des années qu'ils n'ont pas vécu i Qu'importe quQ l'antiquité, le moyen âge, la féodalité, les temps modernes. Napoléon, les invasions de 1814 et de 181$, aient précédé leur berceau! le fardeau dee temps passés les empèdie^t-il d'entrer la tdte 8 INTRODUCTION. haute daus la vie lîouvelle? Pourquoi leur sang cour- rait-il moins vite dans leurs veines qu'au temps de la chevalerie ou de Louis XIY» ou des armées de la République? Chaque génération avant eux a fait son œuvre; ils ont aussi la leur, dont ils portent le type sacré en eux-mêmes.  leur arrivée sur la terre, les vieillards leur disent : « Faites comme nous, le monde est vieux. Rome, Byzance, l'Egypte pèsent sur nos fronts ; le siècle de Louis XIY a tout écrit. L'Église de Grégoire VII a muré ses portes; tout est consommé; vous arrivez trop tard au lendemain des jours dévie; nous ne connaissons qu'un Dieu mort; asseyez-vous avec nous dans la tombe éter- nelle. » Mais eux, au contraire, sentant l'impulsion encore neuve de celui qui les envoie, donnent intérieure* ment un démenti à celte prétendue lassitude de l'esprit créateur. Le moment où ils s'éveillent à la vie de l'âme, de l'intelligence, ce moment est, en soi, aussi fécond, aussi sacré qu'il l'a été dans aucune époque; il contient le même infini que nos pères n'ont ni épuisé, ui diminué. Écoutez en vous même! le réveil de l'âme sous l'arbre de la science est au- jourd'hui aussi plein d'avenir qu'il a pu l'être au commencement des choses. La terre n'est pas fati- INTRODUCTION. 9 guée de se mouvoir ni la sève de monter; pourquoi l'esprit de Fhomme serait-il fatigué de chercher, d'aimer, de penser et d'adorer? Les générations ont beau passer, la coupe de vie ne diminue pas pour les abreuver les unes après les autres; tout homme qui arrive en ce monde est fait pour être le roi, non pas le serf du passé. Ah! si l'histoire en s'accumulant sur notre Occi- dent, si cette érudition qui pèse sur notre Europe, si la lecture et l'étude de ce qui a élé imaginé, exé- cuté avant nous, devaient nous dispenser d'agir, de penser et d'être à notre tour; si nous acceptions cet héritage comme un fils de famille qui se repose dans les actions de ses ancêtres, je croirais que toute cette science n'est qu'un don trompeur et. empoi- sonné, puisque son premier résultat serait de nous faire oubher de vivre; et je craindrais que le Midi, en particulier, ne finît par s'ensevelir sous un far- deau de rites, de formes, de livres et de souvenirs immobiles. Mais, en considérant les choses de plus près, je vois comment l'individu peut porter en soi l'histoire du genre humain sans en être accablé. Les naturalistes ont trouvé que l'homme physi- que, avant de naître, traverse l'échelle des formes inférieures de la vie, jusqu'à ce qu'il ait, pour ainsi 10 INTRODUCTION- dire, CODSCieoce de la nature entière. Il en est de même de Thomme qui natt à la vie morale; il fm^ à travers toutes les formes , toutes les régions de rbistoire; et le cbef-d'œuyre de son éducation , qui ne finit qu'^ la iport^ est de représenter dans cette ascension de vie l'humanité accumulée et dévelo}^ pée dans son esprit. II a un âge dans lequel il res-* semble, traits pour traite, sur les genoux de sa mère, à l'humanité orientale, sommeillant en Dieu; il en a un autre, où^ dans l'élan de Tadolescence, il person- nifie h Grèce ; puis, avec la maturité, apparaît chei lui l'homme moderne. Plus il rassemble en lui-même de ces fraits divins, disséminés dans la constitution du genre humain, h travers le temps, plus sa vie est puissante. Imaginez un homme qui, suivant les époques de sa carrière, aurait senti la grandeur de la nature comme Moîise sur rOreb, qui aurait eu l'amour dés?* intéressé de la gloire comme un artiste grec, qui aurait aimé son pays comme un Romain , l'humanité comme un chrétien, qui aurait senti l'enthousiasme de la foi comme Jeanne d'Arc, l'enthousiasme de la raisoq comme Mirabeau ^ et qui, sans se laisser ar- rêter sur aucun de ces degrés du passé, continuerait de développer en lui la sève de l'esprit ; cet homme-* INTRODUCTION. Il là, vrai miroir de rhumanité, en mourant pourrait dire : J'ai vécu. Si nous voulons nous-mêmes nous conformer à ces idées, quel sujet choisirons-nous pour Uoccupa- tion de cette année? Il ne faut pas que nous le choi- sissions; il faut qu'il nous soit donné par la nature des choses, c'est4,-dire^ qu'il soit d'un côté plus vaste que ceux que nous avons traités, et que de l'autre il tienne plus intimement encore au génie des wciétés que nous devons représenter ici. Ma situation à cet égard est particulière. La cbaira que j'occupe est nouvelle ; personne ne m'y a pré^ cédé, d'où il résulte que mon devoir est surtout d'ep poser les fondements : je ne puis descendre trop avant dans le principe de la civilisation de l'Europe du Midi. Il ne me suffit pas d'avoir parlé isolément de l'esprit de certains peuples de l'Italie, de l'Espa*- gne, de la Grèce, d'avoir remué les noms et les œuvres de Dante, de Mai^hiavel, de Camoëns^ du Tasse, de Bruno, de Campanella: il faut encore montrer le lien, l'âme qui rassemble ces hommes et ces peuples, établir le rapport du Midi avec la France, avec le Nord, et marquer la condition et la mission de l'Europe méridionale dans le monde moderne. 12 lîNTROOW/riOIS. Or], rien de cela n'est possible et Ton se con- damne à flotter toujours à la surface des choses, si Ton n'embrasse, une fois, dans une même vue, les révolutions religieuses, dont les institutions politiques, les littératures et les arts sont une conséquence- Ces révolutions religieuses, ces ora- ges qui, à de certaines époques, s'élèvent dans le dogme et semblent d'abord tout bouleverser, c'est l'esprit de vie qui recommence à soufifler sur la mer stagnante. L'homme qui s'est fait son abri recule devant cette tempête; ses cheveux se hérissent de peur; il croit que l'orage divin va tout emporter; mais peu à peu l'abîme se tait, les haines s'apaisent. Du sein du dogme agrandi sort une création, c'est-à-dire une époque nouvelle ; un nouveau fiât lux a été prononcé ; des institutions, des poëmes, un autre idéal social jaillissent de cette lumière de l'esprit. Quand j*ai eu à parler d'Homère et de Platon, il a paru indispensable de remonter à la mythologie; comment, en parlant des poètes, des historiens, des législateurs chrétiens, pourrais-je m'abslenir de parler du christianisme? Retranchez-moi l'Église, dans sa plus grande acception, Tâme de mon sujet disparaît. Que voulez-vous queje vous dise de l'Ita- INTRODUCTION. 15 lie sans la papauté, de Galdéron sans le catholicisme, de la philosophie espagnole sans Louis de Grenade et sainte Thérèse, de rÀmérique sans les domini- cains, de TAlhambra sans l'islamisme, de Byzance sans la religion grecque, des institutions d'Alphonse sans les conciles, de Philippe II sans la réforme, de rOrientsans Mahomet, du monde sans l'Évangile? Ce serait prendre le corps et abandonner l'esprit. Dans les derniers temps, nous avons traité du jésui- tisme, puis d'un système plus vaste, Tultramon- tanisme. Aujourd'hui, poussé par la nature des choses, notre sujet s'accroît encore ; nous parlerons des révolutions religieuses dans leurs rapports avec la civilisation et les lettres du Midi en particulier, et de la France en général. Je veux loucher, dans sa sublime innocence, celte Église primitive, et la comparer à ce qu'elle est devenue ; je veux voir de près cet idéal qui se lève sur les berceaux des sociétés modernes, mesurer jusqu'à quel point chaque peuple l'a réalisé dans ses pensées écrites et dans ses entreprises; car, chaque peuple chrétien, en naissant, est un apôtre qui a sa mission particulière; tous cheminent en semant la parole; quelques-uns finissent par le martyre. U INTRCIDDCFlOIf. Commeot Fétèque de Rome ebt-il dtteau lé éhéf de la catholicité? Par quelles phases a pa^ ce pdijHf voir extraordinaire ^ qui a âté si longtemps todtë rame du Midi? Gomment cette dictature du royaume de l'esprit a4«-elle été acceptée et brisée? Pourquoi rËglise grecque s' est-elle si vite séparée, et quelles destinées cette scission a-t-elle préparées à la Grêde moderne et à la Russie? Gomment Tœuvre âccom-^ plie dans Byiance a-t-elte son retentissement dans Moscou et dans Saint-Pétersbourg? D'autre part, je senx voir naître du judaïsme et d'une hérésie chrétienne la puissance du Goran. Le choc et sou- vent le mélange de l'islamisme et du catholicisme, me montreront l'Espagne dans sa langue, dans ses lois, dans sa politique; je me rappellerai que j'ai lu ses poètes dans T Alcazar de Séville et dans le Géné- ralife dé Grenade. Je m'arrêterai atec joie dans cette Arabie chrétienne. Mais nous ne connaîtrions pas le Midi si nous ne Topposions au Nord. Le grand divorce du Nord et du Midi éclate dans la réforma- tion; l'Espagne et l'Italie nous seront alors expli- quées par leurs opposés, l'AUenjggne et l'Angleterre. Nous suivrons ainsi le grand flot des choses divines et des révolutions religieuses, jusqu'à ce que nous arrivions à la Révolution française, où nous trouve^ iNTftODlîCMOH. m NDS l'ftl»éj^ et le leeaii de toutes oelleë qai Foiit précédée; arrit&Qt enfin à nous-mêmes, nous chet^ ferons sll n'est pas des indices de réconciUattèà dani le genre humain, après tant de discordes di^ vlneSé Telles sont^ résumées en un mot, les choses dont nous nous occuperons; ce sont, pour ainsi dire, les idées nourricières de Thumanité mt^ deme. Ne vous effrayez pas de la ^ndeur de ces objets; plus ils sont grands , plus ils sont simples. Je les aborde avec plaisir, pensant qu'ils nous serviront à nous élever nous-mêmes* Laitons, dépouillonii 1^ petites préoCDupatioiis; entrons ici sans àel, comme des hommes libres de haine, qui ne chef^ ehent rien , ne demandent rien, que le joug de 1& vérité. Avant de nous engagea dans ce vaste passé, jetonî un regard sur le système actuel des peuples du Midi de l'Eurppe. Que fait l'Espagne? Ce qui m'a le plus étonné en P étudiant, en la parcourant, a été de mé convaincre qu'au milieu d'une révolution qui devait tout changer, rancienne intolérance religieuse est restée debout dans la loi. L'intolérance du moyen âge est demeurée la religion de l'état nouveau ; on a déplacé les noms, on a renvenié des murailles^ on iC INTRODUCTION. a ch&tié des pierres; mais^ dans l'esprit du dogme .sur lequel repose l'Espagne nouvelle, rien n'a changé. Encore aujourd'hui, à l'heure où je parle, nul ne peut écrire un article de journal, sur un sujet religieux, sans avoir le consentement du clerçé. Et de là qu'arrive-t-il?On a cru pouvoir détruire la servitude politique en laissant subsister la servitude religieuse : la première renaît nécessairement de l'autre. . Vit-on jamais pareil spectacle! Un peuple se jette témérairement dans l'avenir, il menace de tout re- .nouveler; et il commence, dans le préambule de ses institutions nouvelles, par se refuser l'examen ! De là, dans ce chaos, malgré son écaxi héroïque, il ne trouve pas une idée, une pensée, dont il puisse, en se sauvant, aider le genre humain. L'Espagne, au- jourd'hui, a des poêles pleins de fantaisie, mais elle attend encore qu'il lui soit permis de penser. Dou- leurs infécondes ! sang versé qui ne produit que des larmes ! on s'agite en aveugle, on tourne dans Tenceinte d'un dogme immobile, sans pouvoir dé- couvrir une issue, et toujours, comme dans un ver- ' tige, on retombe sous la même conséquence, l'an- cien despotisme politique, ombre inséparable du despotisme spirituel. Là où le prêtre peut dire à un INTRODUCTION. 17 peuple entier : Donne-moi ton esprit sans exa- men; le prince, par une logique infaillible, redit aussitôt : Donne-moi ta liberté sans contrôle. D autre part, que se passe-t-il en Italie? Depuis Dante jusqu'à Ugo Foscolo , l'esprit avait toujours réagi là contre ses liens; l'histoire de la philosophie italienne est l'histoire de l'héroïsme de Tintelligenee. Aujourd'hui un assez grand nombre d'écrivains, sans plus combattre, las de chercher, se réfugient dans le sein de Rome; le peuple s'étonne de la retraite précipitée de ces hommes; il ne comprend rien aux espérances que leurs livres contien- nent. Là on promet aux Italiens la couronne du monde s'ils veulent être le peuple sacerdotal par excellence, c'est-à-dire que l'on remonte, par amour du progrès, jusqu'aux castes des Indiens. Mais c'est le génie du découragement qui parle , au lieu de l'accent de l'espérance; il y a je ne sais quoi de brisé dans ce rêve de la philosophie des nouveaux Guelfes; c'est le rêve de la philosophie enfermé dans le Spielberg, et l'on y sent les traces , non pas des chaînes, mais des idées autrichiennes. Le plus libéral, le plus audacieux de ces esprits, fonde sa charte ultramontaine, sa chimère de liberté, sur quoi? sur la censure. 8 'i T 18 INTRODUCTION. Illusion des ruines chez ces esprits trompés par le mirage du passé ! l'Italie se cherche aujourd'hui dans le fantôme de Grégoire VII^ comme au moyen ^e elle se cherchait dans le fantôme de César* Les Gibelins n'ont pas ressuscité César, les nouveaux Guelfes ne ressusciteront pas Grégoire YIL II faut se réveiller de ce songe de mille années^ et, s'il est un salut, le chercher en soi-même, dans ce qui est, et non dans ce ^ui fut, dans le moindre, cœur (^ui bat plutôt que dans l'urne de César, de Pompée ou d'Hildebrand. Je vois aujourd'hui l'esprit du Midi et du Nord, à demi dominé par deux théocraties, deux papautés de formels diverses ; l'une, ancienne, qui essaie de re- naître et qui a son foyer dans Rome; l'autre, nouv€|lle, qui se prépare en silence et^a son Vatican dans Pé- tersbourg. Dans le principe de toutes depX;, l'autorité temporelle et l'autorité spirituelle sont identifiées^, puisque le pape et l'empereur se confondent dans le souverain de Russie. D'un côté est un vieillard au- quel on essaie de rendre l'ambition et l'espérance perdues; au bruit des hymnes du moyen âge,, il attend de nouveau que le monde se soumette. De Tautre est le pape slave, soldat et prêtre, qui, de- bout sur le front de son clergé, créant et imposant INTRODUCTION. 4d des liturgies, livrant un peuple entier à ses auto-da- fé, convoite aiissî,* au nom de l'esprit, la suprématie universelle. Pourquoi ces deux figures de l'absolutisme spiri- tuel recommencent- elles à paraître? pourquoi le Midi et le Nord nous pressent-ils, l'un de son passé, l'autre de son avenir? Pourquoi ces immenses, ces colossales ambitions se dressent-elles autour de nous? Pourquoi les morts viennent-ils redemander l'héritage intellectuel et libre des vivants? Il faut bien le dire, — parce que nous ne vivons plus d'une vie assez forte, parce que nous semblons languir de cœur et d'âme, parce que nous ne faisons pas tout ce que nous pourrions faire, parce que nous ne sommes, ni comme individus, ni comme peuples, tout ce que nous pourrions être, parce que nous ne portons plus assez haut ni avec assez d'audace le drapeau de l'esprit. On voit de loin, sous un souflBe néfaste , pâlir le génie de la France ; alors au Nord et au Midi on croit déjà que tout est fini, et d'étranges héritiers se lèvent pour enlever, pendant la nuit, la cou- ronne de la civilisation au chevet de la France en- dormie. Combien de fois n'a-t-on pas dit et répété, qu'a- » INTRODUCTION, près tout nous n'avions rien à redouter de l'esprit du Nord, parce qu'il est pauvre et que, nous, nous sommes riches? là-dessus nous avons travaillé pres- que unanimement à nous enrichir encore. Mais la Providence veut nous donner de nouveau un grand avertissement. Elle vient d'ouvrir sous nos yeux à cette Russie qu'on disait si misérable, si incapable de solder une armée, dans l'Oural, des mines d'or plus riches que les mines du Pérou; ce n'est donc pas notre argent tout seul qui pourra nous sauver ni nous relever, ni nous maintenir arbitres entre le Nord et le Midi. Ne jouons pas l'avenir, à croix ou pile, dans une partie de bourse dont le pape et l'em- pereur seraient les partenaires. Rien n'est changé pour nous; ce qui nous fera gagner la partie, c'est ce qui nous l'a fait gagner hier : c'est notre pensée, notre vie morale, notre liberté, notre attente de Tavenir, notre âme française. Puisez dans cette source sans crainte , elle est plus profonde et plus riche que les puits de l'Oural. Certes, ils sont bien inspirés ceux qui, frappés des infirmités et de la misère physique du plus grand nombre, cherchent à apaiser autour d'eux la faim du corps. Chaque jour voit naître sur ce sujet un nouveau système, et c'est là un des traits les plus INTRODUCTION. » nobles de notre temps. Ceux que la pitié laisserait tranquilles, sont réveilles dans la nuit par l'esprit de précaution, car tous savent que lorsque le cri de famine surgit du fond d'un peuple, c'est le signal d'un grand changement pour les États. Mais la faim de l'âme, la faim de l'esprit, n'est-ce rien de redoutable? Lorsqu'elle commence à travailler une nation, c'est aussi là une chose qui devrait empê- cher de dormir. La France est trop accoutumée à la grandeur pour mendier dans la rue sa vie morale. Aucun cri ne sort des entrailles de ce peuple; il marche la tète droite et en silence, et pourtant je jure qu'il a faim, qu'il a faim du pain de l'âme, que depuis longtemps il n'a pas été nourri de vérité, de loyauté, d'espé- rance, d'honneur, de sympathies et de cette pure gloire qui apaise ou qui trompe sa soif. Ce n'est pas tout que d'avoir pitié du corps, l'esprit aussi finira par crier si trop de gens s'entendent pour le laisser mourir. Quand la tribune était un grand enseignement politique et moral, distribué à la France et au monde, on n'avait pas besoin de dire de pareilles choses; mais Tes temps sont changés, et il faut bien qu'elles éclatent quelque part. n INTRODUCTION. Toute la question, au point de vue le plus philo- sophique, est de savoir ce que l'on attend, cié que Ton demande, ce que Ton eispère de la France. Si rbn pense que ce pays n'a plus rien à faire dans ïè mondé qu'à thésauriser dans sa vieillesse, à re- pirôduire par le droit divin de l'or les inégalités du passé, "à rejeter la révolution comme une faussé inorinaie, alors, il' est juste/ il est sage, il est consé- quent de vanter, d'imposer à cette France humiliée l'humiliation de la raison humaine ; il est convena- ble,' si l'on se repent de la révolution,' de déclarer l'esprit humain révolutionnaire et factieux; pour de sémbïables résultats il faut de semblables théories. Maïs si Ton pense, au contraire, que la France doit continuer et étendre son œuvre, qu'elle doit tôtoii tard relever la tète, que sa mission n'est pas finie; qu'elle doit réconcilier un jour l'ekprit du Nord et rësprit du Midi; alors, il faut aussi continuer, non pas recommencer la vie spirituelle, il faut compter siir les énergies de l'âme, il faut croire à une nou- velle ère de l'intelligence; il faut chercher, tous en- semble, de nouvelles sources morales. 'je sais bien que la société qui vous entoure a peine à croire à l'espoir, à l'avenir : elle vous dé- courage à chaque pas, elle vous contredit; elle vou- INTRODUCTION. Î5 drait, en vous communiquant sa vieillesse préma- turée, vous ôter le droit de vivre. Résistez, dans ce premier combat; c'est dans cette lutte que vous de- vez grandir. Vous êtes la source nouvelle, ne la lais- sez pas souiller dès le premier contact. Ah ! si cha- cun de vous savait ce qu'il possède en lui-même, ce qu'il a fallu de siècles, de sang versé dans les ba- tailles, de courage, de lumières, de génie, de vérités, pour former et tremper dans son sein son âme fran- çaise, il ne la rendrait pas aisément prisonnière, dès le premier conflit. Ceux qui vous précèdent du moins ont quelque raison de vouloir s'arrêter ; ils ont vu de grandes choses, la révolution, l'empire, et leur attente est satisfaite. Mais nous, messieurs, pour la plupart, qu'avons-nous vu ? trois jours de juillet. Ah! trois jours de vérité dans une vie hu- maine, cela ne suffit pas. DEUXIÈME LEÇON. Objections préliminaires. — De la tactique en matière de philosophie et de religion. — Un danger pour Tesprit firançais : les habitudes parlementaires appliquées aux affaires de Tesprit. — Conditions imposées à Téclectisme par ses origines. — Fausse capitulation qu*il propose entre la science et la foi. — Il faut %me religion pour le peuple : les privilégiés de la lumière, les prolétaires des ténèbres. *— La fin du monde moral. •» Quelque chose se meurt : Tidéal doe- trinaiie. DEUXllMl UÇON. DB LA T^GTIQUB PARLEMENTAIRE EN UATlijlB DE RELIGION ET DÉ PHILOSOPHIE. est qm mm xmtmivm^ de nouveaux «dYemirei? ; ils serviront h ma^rquer ootre progrès* îîoug deyoqs, tôt ou tard, rassembler çoatre pous, presque égale- ment, eeuxqiji veuleot l^romQbiîitédansJafoioii dans la seience, dans Y$glm ou d^ns la philqsQpbie. Sans vous en étonuer pi vqiis en pjsiipdfaji d^j^ pour peu que vous aye;? prêté l'firejlle dftns p^ der- nières années, vpms Avez pu pntejjdre i^a vQîx qui, d^n^ 4^ bouches 28 DE LA TACTIQUE EN MATIÈRE différentes , nous répète un certain nombre d'ob- jections, dont le sens équivaut à ceci : uous. Jdigué2 li célA une misoU piiHibU'^ ttèréi iirèe dès origltiies de celte doctriue^ c'est seii taitlheur, ou ne peut Ibi étt faire uu tépifochQ ■; d'ATDirëtâ) dés leiE^tuniëticetnent^ UnecapituMbiii lâi fotalilé & Voulu qii'elle datât des oâtlàcoités et dé l'^t^it de 18iS; cettâ daté) qu'elle b'éât élle^ flièihe «founée^ elle Mt là pôttef jUi»qU'àU bdUt. Peut-être iM fût une uêeessité que cette c&^itûMoïi de l'ei^rit philosojfihique dé là Fmticë^ seuii lei FoBtcbe» Oaudides de l'ËUri)^. Je de reiftéine fws; il €st certniu que ce cambtèrë est telletUëUt empreint dâhs la doctHUë Mi% nous pftrtbU^, qu'il eb mii pOUf aiusi dii-e, toute l'ftmè. D'àboifâ; ciàt^tU^ lalittn avec la philosophie écossaise et àllëtnaUdê», fô ||è»i« spOQtatté de la FheiQdô | diàpat^t presque eu efillet. Capitùlalioh âveb Ik pbiilique; oti s'ideUtiflé d'esprit atec la Rs^tâUlratibn^ et l'Ott s'eiifermè dânà la Charte de 18U , eoi&mé dans un absolu iinfaiua<^ ble. Capitulation aVee tOUt 10 ^sê de la philosojiihië * Oh eêde, pour ainsi dire, tout lie drwtdU présent â pên- i^r pour son Coitt'pte. Ehfih^ dO no^ jour^, ca|)itûiaÛdâ avee l'Égiisej telle qu'elle ësti; ou est bien loin de tou-* loilr s'îttliliiseer daiis l'examen de ses IràdiÙbns ; sàU^ BODger UU mmm & lui deni«inder t«^!!on dô l'hêii<^ » DE LA TACTIQUE EN MATIÈRE tage de vie, on tient seulement à rester en paix, dans une immobilité semblableà la sienne ; on s'abrite près d'elle^ à son ombre^ et Ton dit : que la paix soit sur vous et sur moi. Ainsi, de capitulation en capitula- tion, cette doctrine, qui a répondu au caractère d'un temps, est, aujourd'hui, véritablement prisonnière; de quelque côté qu'elle regarde, elle a laissé toute issue se refermer sur elle ; tout ce qu'elle peut faire aujourd'hui, c'est de nousconvier à l'imiter, en nous parquant comme elle, dans la même enceinte murée. Mais, vous le ss^vez, c'est une règle dans le droit militaire , de ne prêter l'oreille , de n'obtempérer à aucun ordre, à aucun message, à aucune som- mation qui part d'un corps d'armée prisonnier de guerre ; en rendant les armes , il a perdu le droit moral de se faire écouter. Or, la doctrine qui, depuiar deux ans, nous conseille de nous rendre, est prison- nière de l'Ëglise et du monde. Libres, nous renvoyons, sans y répondre, de quelque part qu'ils viennent, les mains liées, ses messagers de captivité. C'est, en effet, se tromper totalement, que de prétendre arrêter les générations nouvelles sous le drapeau blanc de la philosophie de la Restaura- tion. Toujours capituler, même dans ces libres ré- gions de Vidéal , avec le premier adversaire qui DE RELIGION ET DE PHILOSOPHIE. 55 se présente! toujours transiger! et pourquoi cela? Qui peut nous obliger à signer le traité avec ce qui nous paraît ou faux j ou trompeur, ou stérile? ne vivre jamais que de concessions^ de calculs , même dans le monde intérieur, dans le fond de la con- science, dans cet abtme de liberté, de vérité, qu'on appelle Tesprit! d*où nous viendraient ces chaînes? si elles ont existé pour d'autres, elles sont rompues pour nous, puisque nous n'en avons pas accepté l'héritage. C'est bien assez que les faits accomplis, les concessions pèsent sur le monde politique ; ne les consacrons pas dans le monde moral. Notre roi, dans le royaume de rintelligence , celui devant lequel nous nous courbons ici , c'est la vraie vérité , la vé- rité sans mésalliance, sans complaisance ; si non, non. Que nous parle-t-on de diplomatie dans la guerre sainte des principes? notre diplomatie est toute nou^ velle, en effet; dans ce libre royaume de l'esprit, chacun de nous a déjà rompu en lui-même, avec le faux, son traité de 1815. Il y a longtemps que ceux qui veulent empêcher le développement du monde religieux , savent qu'en amenant un homme à une transaction, à une capi- tulation , dès l'entrée de la vie morale , c'est le dés- armer pour toujours. Cette histoire-là est aussi M DE LA mCTIQVE EU MJinâlIE tieille que le mondé. Ouvrez l'ËTuigtib. Aumôme&t où le Christ va commencer sa misbiofi^ l'esprit dU passé lui apparaît dans le désert ; il ne lui demande qu'une chose, presque rien : se baisser le visaf^ corn tre teri^e j càpitiiler avec les vieilles doctrinei , re- connaître lé passé pour roi ^ ne fût-be qn'iin instantl Qu'est-ce que cela? Une prudente transaclioh , un sage éclectisme 9 envers les sacerdoces établis. Oui^ sans doute, c'est peu de chose que de baisser un instant son esprit contre terre; el cependant^ cette capitulation consebtie^ c'était Tabdication du Ghris^ tiabisme ; jamais il n'eût relevé la tète. Je ne doute guère que grâce à cette prudence à l'égard des doc^ trines ofiQcielles^ le fils dé Marie ne fût devenu gou* verneur, préfet , intendant de quelque village de Judée; mais tenez pour certain auissi , que ni vous j ni moi, ni personne, bous n'eussions jamais entendu parler de Jésus-Christ de Nazareth, Or, ce qui s'est montré au Christ à l'entrée de éa mission, apparaît à chaque holttme , dans le fond dd soii cœur, au ihoment où il veut choisir sa destinée ; de nos jours cela est plus frapptint qu'à aucune époquCi A peine entrez-vous dans la vie , c'est-à- dire, dans votre mission, que l'es^irit du passée rés4 ÏHrit qui craint l'avenir, prenant inille forpies di-»- DE RfiËIOIOM ET DE PHILOSOPHIE. 35 yerses^ munnure^ aa seuil du inonde moral i qui à'ehtr'ouvre devant vous^ sa même formule séctt- IdJre : qiie f en eoÛte-1-il7 Abaisse un moment ton cœur et ton visage. Ne porte pas si ktut ton idéal religieux et philosophique. Transigeons, capitulons, une seiile minute^ h ce moment fatal4 où tu coo- striiis dans Ion cœur ton plan de vie. Si tu es philo- bephe^ cesse de penser, et je te fais académicien; si tues prètrie, laisse Ik l'Évangile, prends la sagesse dès politiques, et je te fais évéque; si tu es soldat, tends-^moi un instant, un seul instant, ton épéa; ][)rei)ds une éiiie bourgeoise, et je te fais général l Eh bien , nOn 1 nous ne capitulerons pas à de si belles conditions; Plus le désordre est frappant daQs la société civile^ plus nDus devons, dans cet empii;e de r^e que nous habitons ici, maintemr notre pes- sée haute et désintéressée. Au milieu de cette mêlée d'intérêts mereenaireS^ il fàdt du moiâs que le drapeau de Tësprit reste absolument &ails tache. Les transactions pusillaninlës se feront ailleurs, dans la vie i^éelle; nous tië pouvods rem{(ècb6r. Mais ici^ dans le monde de Tàme^ nous pouvons n'a- dot-er que ce qui est adorable; ne flatter, ne cou- ronner que ce qui est diviii. Avec cela, il est fort possible que Vous ne devèbiéz jamais ni goûvër- 96 DE LA TACTIQUE EN MATIÈRE neur ni intendant de votre village; mais vous serez des enfants de Dieu ; vous serez des hommes de la vérité ; c'est encore aujourd'hui la dignité la plus rare sur la terre. On a exposé, il y a une vingtaine d'années, com- ment les dogmes périssent. Observez ce qui se passe sous vos yeux. Vous verrez comment s'y prend une doctrine, une école, pour mourir. Quel spectacle étrange et instructif que celui d'une philosophie qui a perdu la foi en elle-même ! Gomme elle se retire peu à peu de toutes les questions vitales! Comme le mouvement l'efifhûel Quelle appréhension de la lutte! Quelle circonspection, quel tempérament de vieillard! Si , par hasard, elle aperçoit une for- mule encore vide, elle va silencieusement, à Vécart, s'enveloppe)^ ile ce suaire. Est-ce bien là cette puis- sance, tour à tour bienfaisante et terrible, qui sous le nom de philosophie avait la renommée d'ébranler le monde à sa guise? Que ceux qui la craignaient au- trefois, la regardent; ils souriront en la voyant telle qu'elle est devenue. Elle prétend désormais être sage; vous savez ce que de nos jours on entend par ces mots. Assez longtemps elle a donné l'impulsion au monde politique et réel; elle veut maintenant se régler sur lui, c'est-à-dire, le suivre de loin, s'ilmar- DE RELIGION ET DE PHILOSOPHIE. 37 che encore , s^arrêter s*il se lasse, mourir s'il dé- &ille ; destinée , amusement d'une ombre qui s'ob^ stine à durer quand elle a perdu sa raison d'être. La conséquence la plus manifeste de cette défail- lance de ce qu'il faut bien appeler l'idéal doctri- naire , réclectisme, c'est qu'il nbse plus regarder '^- l'Ëglise en face. On se sent placé sur un terrain vide, hors d'état d'accepter la discussion dans les questions où la vie et la mort sont engagées. De là , une première nécessité : il faut nous accuser de sou- lever de trop grands problèmes, de toucher aux mystères, d'attirer sur nous des périls qu'on ne veut pas parts^er; car il est certain que nous con- trarions une fausse paix , qui ne ressemble en rien à la trêve de Dieu. De là, en second lieu, tantôt on déclare que le moment de penser n'est pas en- core arrivé ; tantôt on patronne le Créateur ; on ; prend sous sa protection les cieux de l'Ëvangile* Le plus souvent, enfin, pour couper court à toute difficulté , passant de l'excès d'oi^ueil à l'excès d'hu- milité, on établit que la philosophie n'a rien à voir dans la religion , que ce sont là deux mondes par- faitement différents, qui ne peuvent se connaître. On imagine ainsi deux puissances officielles qui n'auraient entre elles que des rapports diplomatiques; \J , 38 DE LA TACTIQUE EN MATIÈRE une sorte d'étiquette respectueuse^ des égardai, du silence , un langage de protocole , tout ce que veut la politesse extérieure j upe espèce d^ fiction parle*- mentaire , diaprés laquelle TÉglise et la philosophie s'iengageraient chacupe à accepter un rôle; mais du reste Jamais uu accent qui trahirait rame, nulle ques- tion d'où jaillirait une lumière imprévue, nul difert pour atteindre, les uns et les autres, à une pensée plus haute, oà la réconciliation peut du moins s'espérer. Ah! que viens-je dé dire! Mais cette trêve dont ils parlent, c'est la guerre dess morts, qui, éternel- lement placés chacun dans sa fosse, n'auraiept éternellement rien à se communiquer, rieu à ^ire , lîen à tenter pour s'unir dans une pensée vivante 1 Comprenez-vous un moment ce silence sans fin, qui laisserait le philosophe et le prêtre, dans sa tombe de gïace , hors de toute espérance de se rapprocher jamais l Pour moi , cela me passe ; cette fiction con- stitutionnelle, s' introduisant jusque dans le dernier repli du cœur de fhomme, m'épouvante comme la vision d'un mensonge éternel. Gardez pour vous votre semblant de trêve ; j'aime mieux, pour ma part, cent fois les attaques à outrance, les violences, les déchaînements habituels de mes adversaires. Dans ces mouvements de pas- DE RELIGION ET DE PHILOSOPHIE. 39 sioii, je reconiiais, au moins , l'homme, fait comme moi, pstrtantd'uoetutre idée> mais ayant comme moi i)ne poitrine, un cœur, plein aujourd'hui de haine, et qui demain ou dans un siècle peut changer (qui lei sait?) cette haine çp amitié. Au contraire, dans ce s;st!^Bçie 4e fiction, dftns ce silence de diplomates, dans cet arrangement de chancellerie au milieu des choses éterneM, daus ce langage de protocoles, appliqué ^ ce qui tire des yeux des vivants les plus tièdes larmes, non, je ne trouve plus rhosnme sem^ Uahle àmoi; je cherche un frère irrité, haineux, peu importe , en résultat, up homme ; je trouve une for- mule surannée. Cette pais Jctive, signée dans te néant , je la repousse é^lement , et pour l'honneur de rÉgbse, et pour l'honneur de la philosophie. Quoil la philosophie, l'amour de la vérité, n'a plus râen à voir dans ee qui, en ma qualité d'homme, me to9<^e et m'intéressç presque uniquement, c'est^ à^irç, dans eps dogmes, ces mystères, ces cultes, oe monde religieux qui m'entourent et me promets tent la vie I Je ferai de la pensée mon iostroment, ma profession , ^ condition de ne l'appliquer jamais à la chose qui, encore upe fois, si j'ai des entrailles hu^ maines, doit me parler plus haut que toutes les au-r toe; ) Depuis quand la philosophie est^lle ûgoc de»* m DE LA TACTIQUE EN MATIÈRE cendue à tant d'humilité et de terreur ! A-t-elle peur que les voûtes des cathédrales ne s'écroulent sur sa tète? quand elle croyait à elle-même , elle se sentait la force de réparer tout ce qu'elle ébranlait. Si elle eût été prise de ce tremblement il y a trois siècles, nous serions encore dans la scolastique de Pierre Lombard. Où est , dans le monde moderne, le penseur qui ne soit pas entré dans Tabtme de Pas cal? Malebranche a-1r-il craint de remuer le chris- tianisme dans ses Méditations; Leibnitz, dans sa 7%^ dicée; Spinosa, dans sa Théologie; Rousseau, dans son Vicaire savoyard; Kant, dans son Traité de la jR6%ton; Schelling, Hegel, Schleiermacher, tous enfin, dans leur enseipement? En soulevant des questions qui ne peuvent plus s'arrêter , la pensée a contracté une dette envers le mcmde ; elle s'est engagée implicitement à rendre à l'homme, sous une forme supérieure, tout ce qu'elle a paru lui ôter; elle a promis de ne pas se reposer qu'elle n'ait contenté la faim qu'elle a elle-même excitée. Et maintenant, que la curiosité, le désir, la soif, la misère morale vous obsèdent, et que l'àme de- mande sa pâture, vous déclarez qu'il faut laisser là ces questions, que l'on vient de s'apercevoir qu'elles sont dangereuses, inopportunes, que l'on ne croyait pas DE RELIGION ET DE PHILOSOPHIE. .41 que le monde les prendrait autant au sérieux! Dangereuses! oui, elles le sont, et le péril est pl,us grand que vous ne pensez vousr-méme! Inoppor- tunes! elles grossissent^ sans intervalle, depuis trois siècles. Qu'est ce donc que cette panique toute nouvelle? Qu'est-ce que ce cri de sauve qui peut jeté dans le monde de l'intelligence? On a con tracté » ai-je dit, une dette de Tâme envers rhumanité moderne; et, le moment venu de faire le compte^ on vous propose simplement de vous payer de for- mules et de mots! Qu'est-ce que cela, encore une fois! il faut le dire, il faut appeler les choses par leur nom. On vous propose la banqueroute spiri- tuelle et morale. Oui, tout cela se tient et s'enchaîne. Dans cha-* que ordre de choses, dans l'étude de la nature , dans les mathématiques même, nulle philosophie n'est féconde qu'à condition de montrer un certain héroïsme {mens heroica). Depuis que l'Église prend la sagesse du monde, il faut que les penseurs main- tiennent la folie de la croix; je veux dire par là qu'une philosophie, une âme à la recherche de la vérité n'est vivante, n'est puissante, que si elle mar- che sans s'inquiéter de savoir si cela platt, oui ou non, à ceux qui régnentsur la terre, dans le présent^ 42 DE LA TACTIQUE EN MATIÈRE^ sur ropinion, si elle est 'survie par un petit ou par iiû grand nombre, si elle a de son côté les coÊi- pl&isances ou Tinimitié du monde. En un mot, dans le dur chemin où nous marchons, quiconque se retourne en arrière pour compter ses amis ou ses adversaires, perd incontinent sa force; il est changé ^ en statue. Ne nous amusons pas à chercher si nous Sommes conformes ou non à la Charte de 1814, ou à • tel ou tel établissement, soîtquMl nous plaise, soitquMl ' nous contrarie. La politique que nous avons à suivre fcl est la politique sattrée qui mène lés^uples lotis eiisèmbie depuis dix-huit cents ans; elfe n'd rien à feiiSB avec d'ètroîts calculs; cherchons donc seule- ment la charte étemelle ; si les convenfiofis inté- ^ ïiéssées, humaines, semblent d'abord la contrarier, sbyez sûrs que tôt ou tard elles lui obéitoht. Dans lé fond, il s'agit entre nous de deuï eèprits essentiellement différents. Sous la ftestauratîon , îâme de k FrabcJe aj^anl: été coinme brisée et diéfi- 'ôrifenféë, la philosophie doctrinaire était foreée de ^ drife' : Ralliez-vous dans le passé; élufdies^ tout ce ' qtf ont pensé avant vous Fantiquité et îe moyéii âge ; disparaissez, autant que vôiis le pouVrei, sous cette * érudition. Traduisez, réglez-vous sur la ligne twi- Vcéé ;^r les siècles; après cela, fl: i vous restera, DE RELIGION £T DE PHILOSOMIIE. 45 ayant de mourir, un jour, une heure pour penser à votre tour; mais c'est là le moins important. Nous, au contriire , nous partons d^une idée opposée ; nous croyons que l'âme de la France s'ei^t enfin retrouyéé ; et de là, si nous respectons et vénérons fantiqiiité, nous respectons peut-'ètre autant Fesprit vivant que chacun apporte avec lui dans le monde. -Nous vous engageons à cfaiercher en voûs-^mèmé cet homme intérieur que vous possédez certainement; dégagez voface instinct moral de l'étr^te des tempâ, ^é^ riiâitati ai oous approchoiKSf des choses saorées> si nous entrons, dam l'omtoe rqr 4outable> et i^i nous savons nous y aiaintenir, c'est précisiément parce que ncms somitiesi pea{de, de coûur et ^'âmoj et que nons Youlons, non pas seules mentuneformule pour nousy eusevdir, mais, comme lui, une vie^ une réalité» une vérité ieq du peuple^ ne reste pas immobile sur sa croix de bois, mais qu'il se )f éveille dans le dogme /qi|Hl grandisse dans i^i'ccburb^ qu'il ne te laisse pas dépasser parlelMeu des-ric^'etifesphildsoplieb) et nous ftû^onbcelâ^ paur que Pahtiqué égalité he SDii pas atteinte dâtis saraèioe; Voilàima pensée ; je n'ai pasàja cachet ^u'oQ la blâipe^ qu'OD la kiue; il n'importe; tous l'aveip tout entièreé î Reinqrqiiezj'bieii qùeidaqi^ ub sens inverse , il se feilisoijeprtf bfiî' quelque cht^e' de eembliible à cp 48 SE LA TACTIQUE EN MATiftiUE qu'a tu le moyen ftge- A un certain moment , le bruit a couru sur la terre que le monde des corps allait finir. Plusieurs déjà s'imaginaient, que la sève commençait de s'arrêter dans le tissu des plantes; ils rapportaient que le soleil pâlissait dès son lever, que les oiseaux de mort traversaient seuls l'espace, et que les fleuves eux-mêmes avaient été vus tarissant à leur source. Rome publiait ce qui était vrai, qu'au-- tour d'elle l'berbe croissait , que la maremipe arri* vait^ que la fièvre planait sur la campagne ; on avait vu une source de sang jaillir dans les Alpes Cotr tiennes. A cette nouvelle delà disparition prochaine du monde des corps, on vendait^ pendant qu'il avait encore un prix, son champ^ sa maison, son patrie moine temporel, et l'on courait au sépulcre de Jé- rusalem. De nos jours, il y a aussi de ces porteurs de nouvelles funèbres; seulement elles ont changé d'objet. Le bruit court que le mpnde, non plus du corps, mais de l'esprit, de l'âme, touche à> son terme, qu'à peine il lui reste un moment. De bouche en bouche, ce bruit passe; il s'aocrott. Beaucoup racontent qu'ils ont vu des signes, que la lumière morale s'éteint, que la sève de l'esprit s'en- gourdit pour ne plus se réchauflfor, que les plus. pro«- DE RELIGION ET DE PHILOSOPHIE. 49 (ondes sources du cœur sont taries, qu*il n'y a plus rien à ei^péfér ni à attendre du monde intérieur/ que demain ou après-demain il aura achevé de perdre tout son prix/ La fin du monde moral approche, Appropinquantemundifine. C'est Tahcien cri d'effroi! — Là-dessus, un grand nombre s'empressent d'à- MénetCy eh toute hâte, non plus leur champ, mais leur âme, leur conscience, leur patrimoine spiri- tuel, pendant que tout cela garde encore quelque valeur vénale; et ils cherchent, pour s'y enfermer, quelque tombeau plus vide que celui de Jérusalem. Mais c'est là une fausse nouvelle; cette panique passera comme a passer celle du moyen âge. Le so- leil de l'esprit se lèvera demain sur le monde, comme il s'est levé hier ; il échauffera le sol moral. La source des idées continuera, sans s'appauvrir, de sortir du sein de Dieu ; les jiouveaux millénaires seront abusés comme les anciens; seulement, après avoir aliéné leur patrimoine moral, s'ils y veulent rentrer un jour, j'ai grand' peur pour eux que la porte ne soit close. Concluons : il est certain que tous ces bruits de mort morale ont un fondement réel. Quelque chose défaille, au milieu de nous, cela est sûr, cela ressort de tout ce' qui précède. Une i^ilosophie s'ensevelit 50 DE LA TAÇTK^Ilj: EN fllATlflRÇ i SOUS nos yeux: ne le voyez-yftus pas? Aprê^ ftypà' rendu des service? éclatants, que persopu^ ud peut songer h nier, réclec|}sme. cède à la loi qui mine tout c)ip9es; il se retire. La philp|^op]îie doptiriaMn^ se meurt, et nous pouyoo3ajoutQr4U¥$i :jelleest roopte; car ce n'est pftsmqi qui lpdift;4î'e4plle- mêpaiç, en déclarant qu'eUe a^axiep, à J^jçe au mi^ lieu des questions nouvelle? qui chs^nt te mondd* ,Par cet aveu, elle cpnfeçse ojiverterowit qu'elle se retjiredelavie. .' Ge mofient est grave pour moU icette «ixU^iop, ,pette (disparition d'une graiide école, est le lait le plils ^i^yp que nous ayou? encore reucoBtr*, icons*iUé, dan? notre enseignement.. ^ous^ voilà désorttiai^ seuls li,yeç,nous*iiièiae^, c'est-^à-dirj^ avec la Frtiiice.PQii- yejl^ L'esprit s'élève à une nouvelle époque. Nous sortons dpsformulpft, nçus.eoJronsdanç la vie. Le flot de la Restauration j^styenijjjusqu'ici. Il s'arrête, il nous quiUe. ^ p}iilQ$qp))ie (}j^ I4 Restsuiratioti est ^ Wprte. Elle «ii^ndoïjpe la place à la philosophie delà révolution, , : -,:. JÇlHOjque je spisÇjCCQiïtçraè à feire .effort îswr moi- ^^ijjème, jamais i>en qç «©'^.pjus coûjl^. quei las pwrolies jjguejp viens 4e dire^^^Qp i}e §e çépare^p^^^aipstaisÉ- ffteutd'upe éçole«lfflf|ew?B, U^ulipr^qdçp^ qui*» 90» m RBLIOIDM ET DB PHILOSOPHIE. SI tejkips a fait, tibrer une génération, et noqs a nous- mtmB ému et éveillé; non, on ne dit pas adieu ^à ces souvenirs poignants sans un déchirement in- teneur^ Ne soyons pas ingrats; rappel^«^T0us ees jours éclatants. Pourquoi ont-ils cessé 1 Quelle élo- quenoet quelle puissance I souvent quelle indépen- dance! Et aujourd'hui, il faut que je me sépare en public de cette communion philosophique^ unique- ment parce qu'elle veut rester immobile; je dois m'éloigher de cette écDlCj, de cette pensée qui, dans mes ibeilleures àhnèeis, ma souvent fait battre le <5CE5ur. Le faut-41? Gai, il le faut; La tiêest aitfei iMeç elle nfe se propage et n' avance qu'à ce prit, delà est triste pour moi, 'mais cela est nécessaire pour tous. 1 Quelques personnes penseront peut-être que ]^ eusse lùieuî fait de dissimuler ce schisme delà philosophie; mais pour quel homme attentif pôu- vait-il être un secret? avait-on négligé une seule occasion de le faire éelater, quand il s'agissait de se déclarer contre nous? d'ailleurs ce choc de doctri- nes atteste la vie. En me taisant plus longtemps, je m'épargnais sans doute quelques adversaires de plus ; mais de grâce, abandonnons une fois pour toutes cette habileté vulgaire dans les affaires de l'esprit; I» DE LA TACTIQUE EN REUGION. soyons persuadés qu'il n'y a rien d'inexpuguabie que la siocérité. LaissezHoaoi une position fraacfae^ et j'ose avouer que je ne crains rien dans le monde; au contraire, mettez-moi dans le faux, et je ne me connais plus, je ne puis respirer. L'année dernière, je disais que j^entrevoyais dans votre esprit un germe d'avenir; aujourd'hui^ je m'avance davantage, et je dis que celui qui ne s'aperçoit pas qu'une nouvelle génération d'idées, un nouveau flot moral bat l'ancienne rive, celui-là est aveugle des yeux, du cœur et de Tàme. Quand même tant d'ennemis qui se concertent finiraient par nous briser avec cette chaire, ce serait aujourd'hui trop tard; ils ne gagneraient absolument rien. L'esprit qui nous fait ouvrir la bouche est désormais en vous; Dieu merci, il n'appartient à aucune puissance de vous briser tous en éclats comme cette planche de chêne. TROISIÈME LEÇON. Un christianisme ayant le Christ. — La Grèce baptisée par Platon. — L^Église primitive dans Tesprit de Jésus-Gbrist. — L'existence de Jésus-Christ niée par le D' Strauss. — Deux caractères de rÉvangile. — Le nouveau Fiat lux du monde moderne. — Sen- timent d'attente dans TÉvangile ; aujourd'hui qu'attendons-nous? — Première division entre les apôtres. Comment elle se résout. Image de l'unité Aiture. •— Église de SainVPierre, église de Saint- Paul. — - Liturgie catholique. Pourquoi s'est-elle arrêtée? — > Les ftinérailles d'un monde. — La royauté de l'esprit ; est-ce une royauté lidnéante ? — Des blasons spirituels, — Les Mémoires de Louis XVI. — Le testament d'une époque. Il ; Il 49H?^s(»^^ 4e lois, d^slç mondç; Yum y. naît du dé&oux^fm9o\, L'fmtrQ |}« l'^p^iunce. Op r90«Qpti:fid«$fa.oiumes qui, a|«ès Mok été aUir^ et troïop^ pr d(9$ théoirtes, «'ayan^ pas ttcmyé wr- Ifi-cbamp. 06 q»'ib ft|t«ndweB)i, ppeimeqt le panlj demplu9ri«Q«)i(9re^Qc; «9i|3^-là ip9.toiA))eQt f§^ d^Ulance dsm le pafs^ ; lenr crQywPi? est iiQf iort^ de diisespoir. J«s de dé^ir^ri ilp sai^ifiisiept ^ iQort ^vea w âioid AOb^riidqieQt. ie? «titres, aii fmirâmr MSwtwàsmM^m/^ff]^ vérité ^vwate, 56 LÉGLISE sont certains de la rencontrer; ils s'élancent au- devant d'elle avec une force suprême ; quoique liés encore à Terreur, leur parole, leur vie, leur âme est féconde. Un peu avant que Jésus-Christ parût sur la terre, ces deux sortes de foi existaient dans le monde païen ; les uns, de systèmes en systèmes, d'attente en attente , retombant dans l'ancienoe communion piuenne;*Iies filtres faisant un effort surhumain pour arracher au polythéisme ce qu'il ne contenait pas. Partout on sentait cette faim de Tâme dont nous parlions précédemment ; de là, que de tentatives pour tordre les symboles païens, pour en faire sortir un esprit nouveau! Dès les temps d'Eschyle et de So-* phocle, rame est altérée d'une soif inconnue; dans ce travail dé l'âme, on entend des mots étranges sortir de la bouche de ces poètes ; ils contredisent toute là vieille civilisatk>n. Proméihée^ les chœurs des ISuppliantesy Antigone sdnt dés fragments de cette grande prophétie qui n'est renfermée dans aucun peuple : devins qui ire savent pas ce qu'ils annoncent; D'autre part, les écoles de philosophie font circuler ite bouche en boiiche l'idée du F«r*«deDieu; œ mot de Platon, court d'Athènes à Alexandrie, à An^* tiôcbe ; ce n'est pitis seulement Iiâaïe ou Daniel, c'est DANS L ESPRIT DE JÉSUS^HRIST. 57 rhumanité qui prophétise. Ayant que le Christ se soit montré^ on respire un christianisme précurseur. La Judée est baptisée dans le Jourdain par saint Jean ; la Grèce est baptisée par Platon ; mais qu'est ce / que tout cela? un baptême dans le torrent! un ba- ptême d'idées ! une attente, une espérance, qui passe comme l'onde, une doctrine de plus ajoutée à d'au- tres doctrines, un sophisme peut-être, une ombre, si la vie, si l'éternel vivant ne vient pas s*en revêtir. Pendant que ces idées, sous une forme vague ^ travaillent le monde ancien et qu'il est près de s'en- gager dans une abstraction sans issue, je vois un maître suivi de douze pêcheurs, dans un des lieux les plus écartés du monde. Il n'enseigne pas au mi-^ lieu des livres, mais dans un temple, sur les places publiques, à l'entrée des villes, sur le haut des monts, en face de la nature entière qu'il prend pour témoin. 11 appartient au peuple le plus malheureux de la terre ; et c'est au nom de cette douleur séculaire qu'il fait une promesse infinie; son enseignement n'est pas seulement dans ses paroles, il éclate dans la moindre de ses actions. Quelle école, quel tem- ple pourrait renfermer sa doctrine? il apprend non pas, comme tous ceux qui l'ont précédé, un système en particulier, mais la vie elle-même; non-seuler 58 t'ÉÈLlSÉ meiit, il rensëijithe^ il là communique. Âvàllt lui, \éé révélateurs avaient montré Biéti sur l'Orèb; Ôàné l'immensité dés mers^ dàbs tout ce c[tié Toil ne |>dii- vâit atteindre; lui; àù ëonfrâîre; inontre le Dieu In- câiné dada Thoinmé. tl saisit lé divin qui |>alpifè', au centre dés cîeux^ dàtisresprltfâitcbair. il révèle ce que personne ne connaissait,' la puissance infinie de rame. k de certains moments, la force morale d'un peu- ple se recueille dans un hotnnle qui le personnifie ; en cet instant, toute la puissance morale du genre hii- ^miain ^^est rassemblée danà lésus-Christ. L'esprit rempli àe pensées divines, cbmment né se seitiit-îl pas senti et proclamé : le fils dé biëu ! Où était alors l'Église î et quelle formé àvàit-ellé dans Tesprît de son auteur? Si Ton cherche ùniqiié* ment le vrai , on reconnaît (Jiiè Pbl)jet boùstànt M (jhrist est de dilater les âmes, dé les déliarràssèr dès forriies, de ressusciter les coedh,' eti soulèvârit lés fardeaui artificiels qui les oppressent. Lé tnirablè permanent qu'il opère est de ramener, dé f etrdùvér la vie sotis les mitrailles blanchies du vieux culte. Que sont pour lui le temple, la liturgie, lé sabbat? Le temple est au Jardin des Oliviers, sur le chemin, dans la maison du Centenier, sur la barque dé Ga- DANS L ESPRIT ïffi JÉSUS-CHRIST. »9 liléè;' pttrtoat où sa parole est entendue. La litufgie, '■ €fiM le mouyen^nt de la yie^ le voyage^ le paa$i^€9u jqpi ohérebe sa pâture, le grain qui tombe dan^Je /àillon, la ifenocHitre d'un étranger, le repcis^ l'bo^- -inlifii aoôeptéè/ te conversation des amis. I^e sabbat ! ^ -ihne le ôonnatt pluÉ, lorsque c'est un empêchement :far des œttvresr aoUveUesi ' Qu'e^tH)e que cela? le voiei ! la^ terre s'était cbéM^- ' géo de ooutumes^ de rites , de symboles antiques ; le passée s'étendant toujours , ôtait la place à l'avenjir. Les temi^ ajoutés aux temples , les usa^s apx -usines, les, livres aux livres^ il nq restait^ pour : aiH dire, dans la religion, plus de place pour Vâme humaine* Alors une voix s'élève ^ et, aus»ti)tyle moindre soupir de l'bomme copsopame plus de. mi* racles que tous les temples^ tous les livres liturjg^iqq^, toiite^ les murç^illes ^e marbre ^ d'or* Ce n'est plys rien de lire le livre de la loi et des prophètes ; il fout ^ètre soi-même un livre vivant, une bible. £|gissantp, une ï^ophétie visible. C'est-à-dire, que l'idéal de ^ l'Église, dans l'esprit dp son auteur, est le mouve- '^ ment de la vie spirituelle. Quiconque s'arrête,, s'en- dort, dans le temple, au milieu de l'encens, cesse d'être de sa communion ; quiconque veille d'esprit et de coeur, fût-il Samaritain , est avec lui. «0 L'ÉGLISE Un savant allemand d'un mérite incontestable^ le D' Strauss * y a exposé sur la mission de Jésn^-Christ un système fait pour exciter la stupeur de TEurope. Dans cette idée, Jésus serait constamment occupé de calquer sa vie sur les prophéties de 1* Ancien Testa- ment ; chacune de ses actions lui serait ainsi com- mandée par un texte, et il ne ferait en quelque sorte que répéter le passé. Autant vaut effacer du monde la vie et la personne de Jésus-Christ pour ne laisser à sa place qu'un système d'érudition. Quand on vit cette figure menacée de disparaître de l'histoire, il y eut de nos jours un frémissement , une fermentation extra- ordinaire; ce fut une immense controverse, où l'on s'aperçut bien que notre clergé avait perdu la pré- éminence, puisqu'il ne trouva pas un mot à dire sur une question qui ébranlait tout le Nord. Il conti- nuait d'attaquer Voltaire, tandis que le corps de Jésus^Christ lui était enlevé, pendant la nuit, sans qu'il s'en aperçût. En Allemagne , les plus impa- tients trouvèrent bientôt que la critique du D' Strauss n'avait pas été assez loin; ils se hâtèrent de détruire ce simulacre de Christ qu'il avait laissé subsister sur la croix , et tout s'évanouit dans un néant plus vide ^ Voyez dans le second volume d'Allemagne et ItaUej la Vie de JitfstM, par le IK Strauss. DANS L ESPRIT DE JESUS-CHRIST. 6i cent fois que celui du baron d'Holbach et d'Helvétius. D'autres^ au contraire, en grand nombre, frappés de terreur, fermèrent leur livre; ils cessèrent de pen- ser; dans la crainte de ne plus être assez chrétiens, ils se firent gnostiques et visionnaires. Blessés ptfr leurs propres armes , ils revenaient à la foi par répouvante. Tel est , aujourd'hui , Tétat de cette controverse. Pour moi , si, laissant de côté la multitude de li- vres que j'ai lus à ce sujet, je suppose, un moment, que je n*aie jamais entendu parler de l'Ëvangile, et qu'il me tombe entre les mains pour la première fois, il y a deux caractères qui me frapperaient d'abord, la personnalité du Christ, et le sentiment permanent d'attente au fond de sa doctrine. Dans tous les livres de l'Orient antique, je sens la vie universelle, et comme la pulsation de la grande âme du monde. Cette âme impersonnelle , froide , incommunicable de la nature s'exhale, par la bouche des Dieux, dans les ouvrages des anciens sacerdoces; mais ici quelle différence ! ce n'est plus le désert infini dans sa vide sublimité ; je reconnais les pas de l'Homme divin sur le sable immaculé ; quelqu'un a passé là. Les livres, les systèmes, ni même cet instinct vrai ou faux qui me pousse vers ce qu'il y a de plus univer- .sel 9 m me feronliiits Ulusioo. AtruYers idj^x^uit • siècles, je reconnais^ j'eutends ioi^ Dpp p»& le miar- . mure de la scieucealei^andrlue, mais le mouy^xiefit ^ d'un grand cœur infim qui s'quvre et qui p^le avec «les lèvres de Thomme » dans la langue de Thûmme. Ajoutez des livres à des livres, des testes à d^s I te&tes, vous pourrez composer une doctrine; seii- l lement de tout cela ne jaillira jamais une person- nalité. Que m'importe que saint Matthieu, saio^Luc et saint Jean ne s'accordent pas sur tous les détails des objets! la personne du Christ est-elle la même chez chacun d'eux? dans tous, est-ce le même ac- cent, le même sang qui circule et reflue dans mes veines, la même âme qui parle et entre dans mon âme? voilà ce qui m'intéresse. — Nous ne connaissons plus assez la puissance électrique d'une parole, d'un regard, d'un geste. Nous croyons que tout se fait par des formules, des doctrines rédigées,^ des systèmes, oubliant que bien souvent la vie parle dans un re- gard, avant que la doctrine se montre. Jésus-Christ n'a encore rien enseigné; d^&.il s'est choisi ses disciples, et ceux-ci l'ont suivi. Yoilà ce qui a le plus étonné quelques penseurs! Quoi! f un maître qui compte sur ses disciples, et les disçi- \ plès qui comptent sur le maitre^ avant qu'aycupe DANS L ESPRfr l^fe JÉSUS-CHRIST. éS dôctriiiè tàî été donnée et repue en ga^e? Offi , èi dette manière de fonder l'Église est Teliârôît le fïliis stiWimë de l'Évangile. Rappéle^Vous ce côtninèn- cémènt! Jésus-Christ, marchant au bord de là nier, rètcontre des pêcheurs ; il lélir dît : Suivèz-nioî. Géux-oiJ quittant leur fllét, le suivent jusqtfâ la crbîî. Oh l'esprit àé sporitariôlté et dé création a-t-îî été jamais mieux empreint? puisque ce rie sont paà dès théories, c'est donciirié t)ersorine qui parlé. Cèi préiniers disciples fae demandent aucun éblaircisse- mént; la vie ; là puissance du inàttrè; a passé en eiix avec la rapidité dû Fiat lux. Ils marchent en silence i ils eritrathèrit déjà avec eux tin nouveau monde. Élan, ravissement de ^enthousiasme, non pas travail dé caiéchumôùé ! dès le preinier mot , leur âme S'est dilatée k l'infini. Ils marchent, ils emportent en eux- mêmes , Rome des martyrs , Bjrzance, le monde mo^ derfaè , et faoùs-toêmès qui soinmes ici. Preiiiîer moiiiènt de FÉg^lise dans l'esprit de soi auteur : îns|)îMtion , élan , spontanéité , mouve- ment pour quitter l'ancien rivage. Pourquoi, de tant d'Églises c(ui croient chacune représehter Jé- sus-Christ tout entier, aucune d'elles ne se lêve-t- elle et rie nous dit-elle plus : Sois-moi ? Sequere me! Nos oreilles ne sotit ps endùrdies j nous ne deman- 64 L^ÉGLISE dons qu'à marcher , à laisser là dos anciens filets dans le vieil Océan. Mais pour qne nous suivions il faut que quelqu'un marche devant nous. Qu'une bouche le prononce donc de nouveau au nom de toutes les Églises dispersées et errantes , ce mot sacré : Suivez-moi, Sequere me ; et de quelque part que sorte cette voix, que ce soit du Vatican , ou du haut d'un trône , ou du fond du cœur d'un peuple y je ne dis pas toute la chrétienté , mais toute l'hu* manité préparée à ce cri reconnaîtra cette parole d'avenir; elle marchera aussitôt après son guide , sans ramasser ses filets ni regarder en arrière. Un autre caractère de cette première- Église dans le Christ est de maintenir l'ftme daiis une attente continuelle. Aucune scène ne se répète ; chaque moment est nouveau dans cette litui^ie vivante. Les patriarches 9 Moïse , les prophètes, les générations éteintes n'ôtent rien aux vivants ; ils ne pèsent pas, avec tout leur passé , plus que les âmes de quelques hommes de Galilée. Salomon lui-même le cède au lys printanier cueilli par un apôtre. Pour arracher le monde à la séduction de ce passé majestueux de Moïse et des patriarches, Jèsus-Christ convie l'esprit à un lendemain toujours nouveau ; il jette dans le fond de l'avenir un attrait surhumain qui ne permet DANS L'ESPRIT DE JÉSUS-CHRIST. 68^ & përfiôntlé de détourner la tête. On le sait; parce que chaque jour rabitne de vie s'entr' ouvre et sfa- graudit. D'abord) c'est un signe muet, puis le signe devient une parole, une parabole, un mystère; puis le lendemain 9 la parabole s'explique ; une autre plus profonjde commence , et l'âme s'engage pluâ avajnt , à la suite de ce maître ; elle voudrait se sus- pendre aux bords de sa tunique sur ce chemin de vie. Quand le premier pas est fait , que l'on com- mence à goûter sa doctrine et qu'on croit la saisir^ il annonce sa mort. Alors l'attente recommence ; l'avenir se rouvre, le maître grandit de cent cou- dées ; et pas un moment de répit n'est donné à l'âme qui le suit ; après sa mort, on attend sa résurrection; après sa résurrection, sa majesté transfigurée sur te Thabor. Voilà jusqu'où il conduit lui-mémerÊglise. Maintenant, qu'attendons-nous encore? Que nous offire-t-on pour nous attirer, selon son esprit > plus avant dans ce chemin de l'âme? On nous ramène au passé ; on nous montre le Christ flagellé 9 humi--* lié , crucifié ; on reprend pour la millième fois le chemin de la Passion , répétant à l'homme, aux peu- ples, au genre humain : Porte ta croix. — Mais ma câroix , je l'ai portée dans tout le moyen âge , et j'ai déliassé mon calvaire. Il y a, pour ceux qui espè- "t xenif un Christ cbnt ¥oim ne mû parlex pins; e'e&A cçlui quj dpit; ^i^tçr , pleia de majesté eX ^9 gUw», dans le3 nuôes. Qu^iid viendn^tHl? pcMmjpiôi ne bm dites-^yoq^ p)f}§ lien de ce cpuroopemenU VcwsTeiis CQi^ient^de yQu^m^ntenir ^ de ^hs censenrer^ te]s q^e vou§ ayez él4; mais vous n^atteodes pka ripn ai| m^ipide, car l'apog^ de retire puibaaDoe estatieÎBt* SUpj$reis*yous qqe les c jeux s'ouvreot pour iBontrer 1§ rpyauté du 9}s de Tbomme? Non y puisque yous wrei qv'i}$ ne s'ouvrirout pas ; vous avez rejeté ^tte espfr* ipipc^ matérielle* Ce ne sont pas les cîeux vaMe$ qui s§ dilateront; c'est le ciel intérieur 9 Vftniey l'esprit^ ûilQ celiii qui a un cœur l'ouvre, et kœa-* jftst4 diyioe y éolatera. Penseurs , duyre? vos poi** tffiuggl llgUsQ catholique, Église protestante, Église gpfiepe, anse^ de disocurdes et de colore i Au lieu de ¥oas rçBSierrer comme des forteroftses fermées, faos- |;i}eft:tes iines mx autres, ouvrezKvous les unes aux at)tre%d«ps une unité plus grande* Église de pierre mffw» 9 élargisses vos portes; Église vivante, ouyiez ^ttà ii^telligeuce, vosdogmes; à la placé de la cou* itmm d'^pin^ qui a courqnné k pa«9é , ce sera la 1WJ0^. , ia royauté , le triomphe , U paix qui éclate^ HP^t:daj)s l'esprit du Fils de l'homme. Personne de nOi^ ne vous defifta^dera plus : quand viendEa^tfilf DANS L'ESPRIT DE JÉSUS^HRIST. 67 Après la «aprt de Jésus-Christ , une époque nou- velle commence pour l'Église primitive. Les apôtres se dispersent ; aucun d'eux ne songe k emporter, dans sa mission, ni le bois de la croix, ni la cou- • ronne d'épines, ni la tunique du maître : Tesprit de vieîes pousse. Qu'ont-ils à faire de ces témoignage» qui ne parlent qu'au corps? Dans les circonstances imprévues, chacun prend conseil de sa voix intérieure ; un même esprit les pousse dans cent chemins différente. Au milieu de cela, un germe de dissension parait; une première discorde éclate dans cet idéal de paix; il faut voir comment l'unité se rétablit, puisqu'on peut la con- sidérer comme l'image dé l'unité future. A peine sortis de Jérusalem, les Apôtres se trou- veut entré deux mondes , le monde juif, considéré comme orthodoxe, et tout le reste de l'univers. Quelle conduite suivre pour les réuûiri c'est la ques- tiotiqui est encore posée aujourd'hui, sous des noms^ dffièrents. Les uns pensent, et saint Pierre est de ce côté, qu^il ne peut y avoir de communion avec les nations étrangères, si elles ne rentrent d^abord^ dans la loi judaïque, dans lés rites, et la circoncisioh d'Abraham : c'était obliger le monde entier d'entrer ' par là porte étroite de la Judée; c'était nier le mou- ' 68 LÉGUSE vement de l'esprit dans tout Tumv^^s, hop de Jéro- salem; c'était contraindre le genre humain de re- commencer la migration des juifs; c'était écrire sur le sable du désert : Hors de là, point de salut. Dans cette première assemblée, il en est d'autres, et saint Paul est avec eux, qui déclarent que la com- munion se fait par l'esprit nouveau, non plus par les rites de Jacob et des patriarches, que dès lors, sans passer par le temple de Jérusalem, les nations étran- gères peuventenirer danslavie et l'unité. De ces deux sentiments, qui contenaient toute la destinée du monde, lequel a prévalu dans ce premier conclave? Le christianisme plus vaste, plus universel de saint Paul, l'emporte, ce jour- Ut, sur le christianisme et la liturgie lapidaire de saint Pierre. Il est décidé, sous l'inspiration de l'avenir, que l'Ëglise de Judée n'en- travera pas l'Ëglise universelle, que les rites du passé ne sont qu'une chose secondaire, que la pre- mière et véritablement l'unique est la vie de l'esprit. Ainsi, cette première division de l'Ëglise naissante se résout par la liberté. L'âme est encore trop élancée pour qu'aucune difficulté de litui^e Yarrèld. Les Apôtres se dispersent de nouveau, donnant chacun sa forme à la parole, saint Paul créant des rites nou- veaux chez des peuples nouveaux^ saint Pierre spi- DANS L'ESPRIT DE JÉSUS-CHRIST. 69 ritualisant les rites anciens chez des peuples anciens ; tous accordant Tunité de l'esprit avec la liberté des formes. Après dix-huit cents ans, qu'est devenu cet idéal ? et quelle idée se forme-tK)n de l'unité future du monde religieux? On se persuade presque toujours que la plus vieille Église doit investir, absorber toutes les autres ; on se forme Finiage d'une unité toute maté- rielle. Assurément, il est grand de penser qu'à telle heure, sur toute la terre, la même parole sera pronon- cée, le même geste se fera, la même voix appellera dans le bruit des cloches, la même page sera lue, le même psaume chanté. Je n'ai pas oublié l'impression que je recevais, lorsque voyageant au loin, de' ville en ville, entrant dans les églises arabes, go- thiques, grecques, latines, d'Espagne, d'Allema- gne, des Cyclades, d'Jtalie, j'entendais partout la même langue, et ces simples mots, dans les siècles des siècles y qui revenaient et résonnaient dans le vide; il me semblait que la noème voix me suivait d'âge en %e, de lieux en lieux, du fond du passé, et que j'as- sistais à l'office d'un peuple mort. Est-ce bien là eu effet le dernier degré de la gran- deur religieuse? n'est-ce pas la sublimité dé la mort plutôt que la sublimité de la vie? Je me persuade que 6 7a L^ËGU!^ sans cette uoité extérieure, oo peut atteiadre à une unité d'esprit qui se concilie avec la jqK>utaQéil;è des peuples; pourquoi, dans cette grande alUancd que l'on imagine^ commencer par briser les esprits des races humaines? Ne sont-ce pas des vases sacrés», faits par le divin potier, pour Qrner le temple éter-» nel? TËglise du moyen âge n'a compris quelle cbaat à l'unisson» celui où toutes les voix s'évanouissent eo une seule. Mais un art supérieur a révélé une bar^* monie plus haute, plus sainte, celle où chaque voix conserve son accent et son âme dans l'accord généraU De même, dans cette vaste Église^ dont les églises particulières ne sont que la pierre angulaire^ dans ca grand chœur de l'humanité, pourquoi ne. pas ad- mettre que, par uâe liturgie supérieure^ ^que e^ prit de pcMple conservera sa voix au milieu de Vhêt* monie de tous? Aujourd'hui, Rome dit, comme saint Pierre, à tout ce qui lui reste étranger ; Parle ma langue I suis mon rite! entre par ma porte dans la région de vie» Mai» saint Pierre s'est repenti de cette doctrine étrx)ite; il a cédé à saint Paul qui a élargi la voie de toute lalajTgeur de l'esprit* Dix> huit siècles ont passé par cette porte, et ne l'ont pas obstruée : est-ce nous qui la laisserons murer? DANS L'ESPRIT M J^SUS-CHRIST, h\ Voulez-vous voir comment ratitorité et la Bbertè se concilient, suivez un moment saint Paul. Il se sent emprisonné dans Tancienne Judée ; Pombre dtl vieux temple pèse sur lui ; il ne respire à Taise qu'au milieu des peuples étrangers, lorsque sur les deux rivages de TAsie et de l'Europe il embrasse le genre humain. Il emporte avec lui les paroles du maître ; mais quelle indépendance, quelle audace d'interprétation! Vous voyez, heure par heure, l'É- glise nouvelle se lever, s'épanouir, grandir dans celte âme. Où s'arrètera-t-elle, au milieu de cet in- fini? il a une sorte de jalousie sublime ; le voisi- nage des autres apôtres l'embarrasse; il lui faut, comme à un aigle, un horizon qui soit tout à lui $ dans son mépris du passé, il veut des âmes neuves, des villes neuves où la parole n'ait pas encore germé. Cette indépendance, cette spontanéité, il la com- munique à ses Églises. Jusque-là le Christ et les Apôtres ont seuls paru dans la liturgie naissante; désormais il arrive quelque chose de nouveau. C'est la commune, le peuple assemblé, qui, saisi à son tour de l'inspi- ration, parle, agit, se lève, tressaille ; la puissance de Tapôtre s- est communiquée aux masses. Elles nn restent pas inertes, elles inventent, elles créent elteâ^ n L EGU^ mêmes des prières, des chants, des hymnes: le cri des entrailles de la foule entre dans la liturgie. UÂ- pôtre frappe, par ses épttres^.sur Gorintbe, Athènes, Thessalonique, Ëphèse; cymbales sonores, elles répondent en achevant la pensée de saint Paul; l'Ëglise se bâtissant ainsi chaque jour, grandit tout ensemble dans l'àme de l'apôtre et dans l'âme du genre humain ; voilà le véritable idéal d'une liturgie et d'une Église vivante. Or, je le demanderai, voyons-nous quelque chose semblable à cet esprit, ou seulement qui s'en rapproche de loin, et montre que Ton vit sur ce modèle? Où sont les cris, les accents de l'humanité moderne dans les rites et la litui^e de notre temps? L'Église puise-l-elle, renouvelle-t-elle ses rites dans l'Éternel vivant? Le cœur du peuple est-il mort? ou est-ce que vous ne savez plus le faire vibrer? Je vois figurées les époques des patriar- ches,des martyrs, des docteurs, comme si le monde eût dû s'arrêter là! il a continué de vivre, brs même que les rites ne me disent plus rien de ce qui a suivi. Si l'Église est la représentation visible de la Providence, pourquoi ne réfléchit-elle que ce grand passé, déjà si loin de moi? la litui^e s'est fixée, mats Dieu ne s'est pas fixé à un siècle plutôt qu'à DANS L'ESPRIT DE JÉSUS^HRIST. 73 raa^. PourqiMM donc, pas un soupir, pas un élan de rhumaoité Douvelle n'est-it représenté dans un rite nouveau? On répète les anciennes prières; est* ce que Tàme n'en exhale plus? chaque siècle n'a* t-tl pas son pain quotidien à demander; et celui où je suis, plus qu'un autre peut-être? J'admire la re- présentation des anciens temps sous des cérémonies majestueuses; et pourtant je voudrais sentir battre le cœur d'un vivant au fond de ces siècles qui ne me connaissent pas. Quand rien ne me parle de ce que la vie m'a montré, il me semble quelquefois que j'assiste, au milieu de cérémonies sublimes, aux funérailles d'un monde. Mais cela, dira-t-on, c'est exiger de ^l'Église une inspiration^ permanente, une jeunesse toujours non* velle, une vie intarissable; et moi, je Tenteads bien ainsi. Qui a jamais pu prétendre que la royauté de l'esprit et de l'âme puisse devenir une royauté fainéante? Dans les monarchies temporelles il ne suffit pas de dire : J'ai fait autrefois de grandes cho- ses; je suis le fils de Clovis, de saint Louis. Car, si l'on se contente de parler ainsi aux hommes, si l'on ne fait soi-même des actions glorieuses, si l'on ne saisit dans son siècle l'espèce de grandeur qu'il ren. ferme, le plus grand passé du monde ne sauve pa^ n vtALiit une couronne; elle tomN; eHe m m fdlëfe pas. GombieD à plus forte raisoa, en esMl ainsi de cette monarchie de Tàme, de ces dynasties spiri-- tnelles qui reulent régner toujours I leur sutira- t-il de dire : Je suis fille d'Élie et de David! j'id consommé autrefois des miracles^ j'ai délié des énig« mes y j*ai écrit avec la langue de feu les ouvrages des Saînls-Pères, N'est-ce pas assez de travaux, de grandeur, pour que la légitimité me soitaccordée de siècle en siècle? Non , cela n'est pas assez; puisque nous qui vivons, nous voulons des œuvres vivantes. Les dynasties religieuses ne se sauvent pas en sus-- pendant ainsi des armoiries et des blasons spirituels aux yeux du monde. Nous ne demandons pas de nouveaux miracles pour le corps, nous deman- dons seulement des miracles de l'intelligence et de l'âme. La Providence a jeté à notre siècle de nou- velles paraboles qui nous restent obscures. Expli- quez-les. En face de difficultés nouvelles, nous avons be- soin de nouveaux docteurs ; pour conserver le trône de l'Esprit légitimement , il faut acquérir par l'es- prit, chaque jour, le droit divin de régner sur nous. Si non, les révoltes commencent, et les mitres si'ébianlent comme )es couronnes. P&m VtSKLn DE JÉSUS^GHRBST. 75 Umi»^ XVI itoit kl chef de lâ ^m graade moD&r«« chia du aftoûde; il personbigait le vieil ordre Usm-* por6l ; il ftYftit tos plus belles armoiries de la terre } il étail juste ^ il TOidait le bien ^ et néaûaK)ias il ett tombé; lui-même, sans le savoir, eu écrivautses Mémoires, a expliqué jour par jour la chute de cet ancien monde politique. Dans ce livre manuscrit, où Ton respire le vide le plus étrange qu'on se puisse imaginer, dans ce testament d'une époque, il est un mot écrit en face de chaque journée, et qui la ré- sume. Tournez la page ; la même parole reparaît : Dimanche^ rien. Lundi, rien. Mardi ^ rien du tout ; et la semaine se raconte ainsi, et les mois et les années de ce règne! Ce mot fatal est écrit le matin même de la prise de la Bastille. L'ancien ordre de choses politiques est tombé parce que chaque matin, au lieu d'être et d'agir, il écrivait sur le livre de vie, rien y rien du tout, et que le monde voulait être et faire quelque chose. Com- bien donc ne serait-ce pas une chose plus effrayante et plus tragique, si, au milieu des questions qui nous ébranlent intérieurement, le pouvoir spirituel, ces- sant d'agir par la pensée , se contentait de vouloir écrire sur le livre sacré, en face de chaque siècle, de chaque abtme, rien^ rien^ rien du tout ! une révo- 76 L'ÉGLISE DANS L'ESPRIT DE JÉSO&^HRIST. lutioD immense serait à la porte ; car, nous aussi y nous sommes insatiables de vie , comme nos pères ^ et comme leurs pères, parce que nous croyons à un Dieu éternellement insatiAle de grandeur, de lu- mière et d'esprit. QUATRIÈME LEÇON. Le dogme chrétien se développe sans Rome. — Première forme de la papauté; un droit de procédure. — Principe des conciles; le vote dans la cité divine. — Les Pères de TÉglise ; comment ils ont en- tendu les rapports de TÉglise et de la philosophie. — Arianisme ; Athanase. — Contradiction entre TËglise primitive et TÉglise mo- derne. — La déclaration des droits de Dieu, du clergé, de Thomme. — ^Un catholicisme païen avantrÉvangile.—L'Église, le lien entre la race romaine et la race germanique. — Le christianisme légitime les Barbares. — L*époque la plus croyante est-elle la plus propre aux arts? — L^ËgUse dans la solitude ; la société se renoue au désert. QUATRIÈME LEÇON. LB CHRISTUMSUB SANS RO»E. . L'Église primitive est fondée; Jésus-Christ Fa liguée aux apôtr es, ils la répandent dans le inonde, et ils meurent. Après eux, comment se poursuit cette histoire? qui va se charger de développer l'hé- ritage des apôtres? A ce moment suprême, où se produit la doctrine, où s'enfante le dogme, ce qui éclate, c'est l'absence ou plutôt le néant de la Je ne sais comment on n'a pas remarqué cette imi- puissance absolu de Rome^ aussi longlemps qu'il / 80 LE CHRISTIANISME s'agit de créer la vie spirituelle. D'immenses ques- tions sont posées dans le christianisme naissant; partout on pense, on discute, on écrit, on combat par l'esprit, en Grèce, en Afrique, en Asie. De sim- ples diacres donnent tout à coup une direction au monde; l'âme rayonne de chaque lieu; Nicée, Alexandrie, Laodicée, de simples villages, les sables même des déserts parlent. Dans ce moment de for- mation, de création, Rome seule garde le silence; seule elle n'apporte pas une pierre vivante à cette cité spirituelle qui grandit à vue d'œil ; il faut des- cendre jusqu'au quatrième siècle, pour trouver un grand homme sur le Saint-Siège. Jusque-là* les doc- trines, les systèmes passent devant la papauté sans qu'elle ait l'air seulement d'exister. Ce n'est pas elle qui dit anathème aux hérésies. Ce n'est pas elle qui construit le dogme ; ce n'est pas elle qui convoque et préside les conciles. Que fait-elle donc? elle at- tend ; elle ne produit pas la vie, elle la reçoit ; loin d'enfanter le monde religieux, c'est à peine si elle le suit. Sitôt que ce grand travail de l'âme semUe achevé, que les plus vastes intelligences se sont consumées à développer l'esprit du christianisme, et qu'il n'est plus besoin que de régner, on voit Févèquede Rome SANS ROME. 81 s'établir au sommet de ces œavres de vie^ comme s'il en était le principe et la source. Il s'approprie, pour son domaine particulier, les conquêtes spiri- tuelles qu'il n'a pas faites; il s'institue le roi du dogme, auquel il n'a pour ainsi dire pas concouru. D'autres ont pensé pour lui ; c'est lui qui portera la couronne de l'esprit. Voulez-vous toucher les premiers commence- ments authentiques de cette puissance, vous serez étonnés devoir combien ses progrès ont été lents et incertains. Rome a été longtemps avant de croire elle-même à sa destinée nouvelle ; l'océan dans lequel on a prétendu tout engloutir n'a été pendant qua- tre cents ans qu'un ruisseau caché sous des ruines. J'arrive jusqu'au concile de Carthage, en 419, sans trouver la marque authentique d'aucune distinction effective du Saint-Siège. Dans ce concile, un prêtre latin, Aurélius, demande que les évêques condamnés par un premier jugement puissent appeler à l'évêque de Rome; pour cela il s'appuie sur une résolution du concile de Sardique. Un autre membre de l'as- semblée, Alypius, évoque de Tagaste, se lève, et déclare que dans les textes connus on ne voit i rien qui ressemble à cette décision. Ainsi, au cin- | quième siècle^ un droit contesté d'appel, en matière H^ LE CHRlSTIANfôME de disciplina, voilà tout ce qui marque la primauté de Home* Attendes; quelques néeles^ oh laisse dor- mir cette réclamation, puis elle se réveille. Alors le procès a démesurément grandi. La question de pro** cédure se change en un droit de suprématie univer- selle. Aurélius devient Grégoire VIL Si les papes n'ont pas été les continuateurs im- médiats des apôtres, quelle a donc été l'institution qui a développé TÉglise à ses commencements? les conciles. On peut dire que dans l'établissement seul de'ices assçmblée^ se résume tout Tesprit de la ré- volution chrétienne. C'est une idée qui ne fut jamais venue dans l'antiquité païenne de réunir des hom- mes de divers points de la terre, pour délibérer et voter sur la croyance, constituer et développer Ves^ prit divin à la majorité des voix. Les hommes se rassemblaient dans l'Aréopage , le Forum, pouf traiter des affaires des hommes ; ils eussent été stu- péfaits, si quelqu'un leur eût proposé de délibérer sur ce qu'était ou n'était pas Jupiter, de voter au scrutin, dans le coquillage, la prééminence ou la déchéance de Saturne, l'éternité ou la défaite des* enfers et des cieux ; ils eussent considéré comme une impiété de vouloir établir sur la terre le conseil des dieux plyiQpiens. |>'ailleursy h quoi bon eroire &ANS ROItK« » âutri chose que ce que croyaient leurs pères? i\$ recevaient la tradition ; ils ne la faisaient pas. Dans rétablissement des conciles, on part^ au contraire, de cette idée, que l'âme de Dieu s'est mêlée à celle de l'homme. Tous savent qu'en se réunissant les uns aux autres, des miracles de lu# mière peuvent jaillir de leur conscience; ils ont fol | dans cette âme qui éclate de toutes les âmes; ils ^ croient apercevoir les langues de feu qui descendent avec l'esprit sur leur front* Ils décrètent tranquille** j ment les mystères, comme s'ils habitaient en Dieu. De nos jours, nous restons suspendus aux discui**-: »ons des assemblées politiques ; nous en suivrions em core, par habitude, les incidents, mèm^e sinoussavions qu'aucun principe vital n'estau fond de ces débats, et que l'on pourrait discuter ainsi un siècle, sans qu'il en sortît aucun résultat pour nous ou pour le monde. Que dirai -je donc de ces assemblées qui mandaient à leur barre le ciel et la terre? La majorité et la mi** nofité se disputaient, en Dieu, la substance môme de l'avenir. Elles décrétaient non des lois particui lières, mais les idées et les dogmes sur lesquels air* lait se former le monde nouveau. De terribles lutti^ s'engageaient; on se poursuivait jusque dans le fond de» déserts; jaq^ l'esprit humain n'a montré une 84 LE CHRISTIANISBfE . audace plus merveilleuse, qu'au moment où il aviût plus d'humilité. L'éternité, Dieu, le passé, l'avenir du monde, la vie, la mort, la création, quelle que soitrimmensitë des objets de délibération, toutse ter- m à la fin par ces simples mots : cela vous pMUlà tous? Cela mu$ plaît. — Placetrne hoc ommbus? — Placet. Qui est-ce qui décrète ainsi à son bon plaisir les choses d'en haut? sont-ce des fils de Dieu? Ce sont des hommes. Et nous aussi nous sommes des hommes. Ne perdons pas le droit divin d'apporter notre voix dans la délibération toujours pen- dante des affaires éternelles. Chaque siècle a sa question qui lui appartient ; et quoique l'on ait fermé depuis longtemps les portes du concile, il continue ; partout où sont rassemblés des hommes de bonne vo- lonté, les questions reparaissent avec des langues de feu. Consultez-vous vous-mêmes ; l'Église ne deman- de plus à haute voix, par la bouche du notaire : Cela wusplaîhil à tous ? Placet-ne hoc omnibus; mais l'Es- prit vous le demande. Avant de mourir, vous devez lui répondre. C'est votre vote intérieur, dans ces questions, qui vous donne le droit de bourgeoisie, de souveraineté dans la cité divine. Les conciles, toutefois, n'eussent pas suffi àdéve^ SANS ROME. 8S lopper le dogme, s'ils n'eussent été préparés ou con- duits par les hommes que Ton appelle avec raison les pères de l'Église. Aujourd'hui, le clergé et quel- quefois les philosophes nous conseillent de croire à Dieu comme des enfants; les pères de l'Église sont d'un sentiment tout différent ; ils veulent croire à Dieu, comme des hommes; voilà pourquoi ils s'as- similent, autant qu'ils le peuvent, ce qu'il y a de vivant et d'immortel dans la philosophie antique. Ils s'y plongent même au point que la simplicité des pêcheurs de Galilée et des évangélistes disparaît presque entièrement. Aucune autorité visible ne te- nant les rênes de leur esprit, ils s'élancent avec une impétuosité extraordinaire au fond des mystères. Cette liberté, qui fait la fécondité de ces premiers siècles, laisse à chacun sa figure particulière. Que de nuances dans ce mélange d'audace et d'humilité, depuis la gravité et la précision de saint Irénée, la violence et la fierté de Tertullien, la tolérance ency- clopédiste de saint Clément d'Alexandrie, le déisme à peine converti de Lactanee, la majesté savante d'A- thanase, la subtilité profonde de saint Augustin, précurseur du moyen âge, jusqu'aux élancements d'Origène , qui tend la main au dix - neuvième siècle I dans le fond , une même pensée les inspire : t» LE CHRîftTlÀNIBME concilier le Christ de Judée avecla vérité mattifettée ^ dans le reste du monde, à l'esprit humain. On répète que le christianisme naissant a été la ruine de la philosophie ; dites plutôt qu'il en a été l'apothéose ^ La sagesse, le verbe de l'antiquité, pu«- rifié de temple en temple, d'école en école, s'iden-» tifient avec la personne de Jésus^Christ. L'abstraction du philosophe et l'enthousiasme du pécheur de Ga*» lilée se rencontrent; la tête et le cœur du genre hu- main s'entendent; c'est là, la première œuvre des pères de l'Ëglise. Ne croyez pas que tout fût fini parce que Jésus^ Christ avait paru sur la terre; tout, au contraire, restait à décider. Après le premier éblouissement, il était immanquable que l'esprit humain cherchât à se reconnaître. Même parmi ceux qui avaient subi la parole de Jésus-Christ et qui vivaient de l'Évan- gile, cette question devait s'élever : Qui est-ce qui a paru en Judée? Qu'est^-ce que Jésus-Christ? Est-ce une apparence, une réalité, un fantôme divin? Il se« * Le terme même de philosophie est dans quelques pères grecs, une parole sacrée qui emporte avec soi Tidée de la vertu suprême de rintelligence, de rinspiration de TEsprit saint. Philosophons donc en toutes choseSf dit saint Jean-Chrysosthôme. ^ùjoctofStfitv roivuy h olhçusiv. Homil. il. — Philosophons en paix, répète Grégoire de Na- lianxe. Epist. SANS ROME. 67 reconnatt plusieurs fois inférieur à son père ; le fils de Dieu est-il Dieu lui-même? Toutes ces questions ne pouvaient manquer de se précipiter aussitôt sur le monde. Quelle issue l'esprit humain n'a-t-il pas cherchée d'abord chez les croyants eux-mêmes pour se sous- traire à la divinité de Jésus-Christ ! Plus d'une église commence par le regarder comme un fantôme d'idées. Il y a un moment oh, de tant de sectes, on ne voit pas clairement laquelle prévaudra. Celle qui essaie le plus vite de concilier le paganisme et le christianisme, est celle des Gnostiques;]^ respire les ténèbres profondes des temples d'Egypte. Dans sa première surprise, ce paganisme converti ne nie aucun fait de l'Ancien ni du Nouveau Testament; seulement, il les interprète par une abstraction sans bornes; aussi, les mystères d'Egypte re- naissent de chaque verset de l'Évangile ; les dieux impénétrables des temples de Thèbes, Horus et la Nuit Athor, semblent parler encore par la bouche de Jésus de Nazareth. On dit qu'un reste de ce génie i inspire aujourd'hui Schelling, au fond de l^Àllema- ( gne, celtp Egypte moderne. Mais dans le commence- ment du christianisme le monde avait besoin, avant tout, de viey de réalité, de personnalité. Qu'aurait- 88 LE CHRISTIANISME il fait de ces abtmes d'abstractions? Le danger n'était plus là. Le monument canonique qui succéda à la prédi- . cation des Apôtres eut quelques-uns des caractères \ de cette première hérésie : c'est l'Apocalypse. Le monde a été frappé, renversé dans son ancienne intelligence, comme saint Paul, sur son chemin de Damas. Le premier mot de l'Église naissante est in- cohérent, rêve de l'humanité après le baptême ; tous les objets de la veille, les idoles, les dieux mugissants de l'Afrique, les villes antédiluviennes reparais- sent, se heurtent d'une manière formidable à travers ce songe de Tesprit endormi, dans la première nuit du christianisme. Qui peut assister, sans line espèce d'effroi, à ce sommeil, à ce délire sublime, à cette folie toute divine de l'Église? Qui est-ce qui ne re- doute pas un moment -que l'équilibre de l'intelli- gence ne soit rompu pour toujours, que l'humanité ne soit frappée à la tête, et ne se relève pas de cette ivresse de l'âme? Quelques chefs de la chrétienté pourront peut-être supporter cet état permanent d'extase ; ils interpréteront, d'âge en âge, le rêve de la chrétienté; mais les peuples, les multitudes, com- ment sauveront-ils ^ la fin leur raison, si l'Apoca- lypse devient le ton unique de l'avenir? Ce breuvage SANS ROME. 89 est trop puissant pour Tesprit de Tbomme. Imagi- nez un moment les siècles entrant les uns après les autres plus profondément dans cette vision, ne buvant qu'à cette coupe, ne s'éclairant que de cette lumière du rôve de Patmos. Je vois peu à peu l'hu- manité visionnaire comme une somnambule, s'agi- tant, marchant, les yeux fermés, dans un songe per- pétuel; mais cela ne doit pas être, il faut veiller et non rêver, pas même en Dieu.} Aussi, à peine ce songe de l'Apocalypse a-t-il marqué le premier moment d'extase de l'humanité moderne, elle se réveille au milieu des discussions solennelles des pères de l'Église. Comparez les Pères aux Évangélistes, ne voyez- vous pas quel travail s'est accompli dans l'inter- valle qui les sépare? Les disciples, dans TÉvan- gile, ne savent pas précisément ce qu'ils doivent penser de Jésus-Christ] ils sont accablés de sa sa- gesse, de sa puissance ; à proprement parler, ils ignorent qui il est ; le nom qu'ils lui donnent marque leur incertitude ; ils se contentent de l'appeler Maître. Combien , au contraire , cette figure a grandi dans l'esprit des saints Irénée, des Athanase, des Origène ! Le maître, des bords du lac de Galilée atteint chez eux à la voûte des cieux, à la profondeur des enfers^ 90 LE CHRISTIANISME A véritablement parler, les pères de r%lise ne font rien autre chose que parcourir dans tous les sens le monde de rintelligence, pour agrandir l'idée du Dieu vivant; en déployant leur esprit et leur âme, ils sem- blent déployer le Dieu lui-même. Ils ressemblent à ce saint des légendes, qui, ayant reçu dans ses bras \ le Christ enEaint sur le bord du fleuve, le sent grandir^ 1 et le dépose géant sur Fautre rive. Que conclure de là? une seule chose : que nous aussi, nous portons, comme toutes les générations, à notre tour, un grand inconnu, qu'il faut franchir avec lui le torrent, et ne pas croire trop tôt que nous ayons déjà rencontré la limite de Dieu. Vers la fin du troisième siècle, le paganisme cède, les martyrs ont cessé; l'empereur se s(Himet au Christ; alors la grande difScultë commence; la Christ a vaincu ; les chrétiens se divisent. On ne niait plus que le monde, appartiendrait à TÊvangile; restait à savoir seulement quel était ce Christ auquel on se rendait. La moitié. du monde dé- clarait que le culte antique était légitimement tombé, qu'aucun regret n'était donné à ce passé, que l'uni* vers acceptait le Christ ; qu'il avait en lui la vérité, la force, l'avenir; que néanmoins on ne pouvait se décider à l'identifier absolument avec Dieu mème^ 8ÂNS ROMI. m q^epmK^n'A était «on Fito^ il n'avait pàfi été de toute étâfnité; que tout gtwd qu'il était, il avait été Mt ddrien; qu'oD lui accordait d'avoir servi d'in&tru^ ment à la création, et qu'on était prêt ainsi k tout lui abandonner^ hormis la vraie divinité. C'est là l'Aria- BÎsiBe qui fut longtemps une autre chrétienté, en &ee de celle des Pères. 11 est aisé de voir que ce système mit l'Église en , danger plus que tous les bourreaui du monde* On [ fie sauvait par là également du scepticisme des 1 païens, et des mystères des enthousiastes. Jèsus^ Christ n'était ni Dieu ni homme; c'était une sorte de demi^^dieu, qui présidait au monde, depuis le commencement du temps. Cette Église (peu s'en Mut qu'elle ne pût être appelée un moment l'É- glise universelle) baptisait au nom du Père incréé, du Fils créé, et de l'Esprit qui sanctifie. Elle a eu ses ^cmcites^; le Sainf^Siége s'y est soumis un moment; k plupart des empereurs étaient pour elle ; on a pu efoire que le monde entier recevrait ce baptême* Mais en y réfléchissant, vous verrez qu'il ne suffisait pas pofir rMotiveler la terre. Qu^était^e au fond que i TArianisme, si ce n'est une transactiob, un juste mî* / lieu, entre le paganisme et l'Évangile? le pcT^anisme renonçait à ses idoles, et recevait une moitié du dieu K LE CHRISTIANISME nouveau. L'Ëvangile renonçait à son premier mys^ tère^ et acceptait le dieu mortel du paganisme. Con* cession prudente qui pouvait convenir aux chefs d'une société vieillie, mais qui ne satisfaisait en rien la soif de prodiges qui dévorait les hommes nouveaux. L'esprit avait besoin de se renouveler dans les mys- tère ; il y était déjà trop plongé pour pouvoir ou vou- loir reculer. Tout ou rien, c'est le mot des époques sacrées. Selon la parole d'un Père ^, la transaction la plus prudente n'est alors qu'une pensée enveloppée de boue. Dans ce moment suprême où il s'agit^ pour le Christ-Dieu, d'être ou de ne pas être, ne tournez pas vos yeux vers Rome. Je l'ai déjà dit : pas une parole puissante, éclatante, ne s'échappe de Ronœ tant que dure ce procès. Elle se tait comme saint Pierre, à la porte de Caïphe, quand le Christ est livré au grand-prêtre. Même elle renie par deux fois, avant que le coq ait chanté ; la première, elle renie par la bouche du pape Libère; la seconde, par celle de son légat Hosius '. Il faut pourtant bien que quelqu'un se lève pour soutenir la cause du Christ ; c'est Àthanase. i Athanase. * Lapsus Liberii, lapsus Hosii. Quaod TOUS ouvrez ces pages écrites dans l'exil, sous la tente 9 dans l'endroit le plus impéuétrable du désert, loin de tout cooipagnon, tous sentez que TËglise menacée va se réfugijEîr dans un grand cœur pour y ramasser toutes ses forces. Sans doute, l'imminence du danger, l'ébranlement des colonnes de l'Église avant qu'elle soit achevée, puis, tant de. cris qui partent des peuples, taut de périls, tant de haines; une armée entière envoyée pour chercher et poursuivre l'écrivain, imprimeront des mouvements terribles^apocalyptiquesà cette voix qui vacrier dans le désert. Mais le moment est trop grave ; il n'y en a pas eu un autre pareil, dans le christianisme ; il faut laisser là l'éloquence et se presser de vaincre. Quels soDt^ pense2*vous, les arguments dont Àtba* nase se sert pour relever et sauver la divinité .de Jésus-Christ? ses œuvres consommées dans l'Évan- gile, ses miracle», sa mort, que J.-J. Rousseau di- sait être eelle d'un Dieu? Nullement. Du premier bond, il s'élève plus haut; il monte comme sur un Sinaï métaphysique au sommet des idées de Platon. Réfugié au faite de toutes les vérités découvertes par l'aueienne société, il brave, il interroge le monde à moitié arien« Sa pensée, qui le plus souvent s'ac-^ cofde avec lagraoddur impassible et la majesté nue 9 94 LE CHRISTIANISME du désert, éclate ^ par intervalles, avec véhémence, comme si de ces rochers il parlait à la foule; il semble que Ton entende les échos de ces solitudes la porter, au loin , avec fracas dans toutes les villes chrétiennes. Le Christ est la sagesse de Dieu, Or, la sagesse n'est- elle pas éternelle comme lui , immuable comme lui , innée comme lui? Les trois termes de la Trinité de Pla- ton peuvent-ils être inégaux? Le Créateur, est-ce un Dieu fatigué qui ait besoin de se donner un fils pour achever son œuvre ? Voilà à quelle hauteur il se place, dans la môme solitude qui enfantera plus tard Taria- nisme de Mahomet. Si Ton y regarde de près, dans ce moment de péril, on s'aperçoit qu'il unit le christianisme à la philosophie, et les développe éga- lement l'un et l'autre ; après quoi, le Moïse chré- tien descend de sa montagne, apportant, au miUeu des flots du peuple qui court à sa rencontre , le dogme de la Trinité orientale, renouvelée dans l'es- prit de vie. Lorsque je vois de quel air ces grands hommes écrivent sur le sable des pensées aussi vastes que les cieux, avec quelle puissance ils se soumet- tent les idées qui ont paru avant eux; comme ils les entraînent dans leur courant de vie, comine SANS ROME. 95 ils se fortifient toujours par la vraie force, ^i que je viens tout à coup à penser aux petits moy<*.ns qu'emploient aujourd'hui ceux qui croient leur suc- céder, à la peur que leur causent les découvertes de Pintelligence, je me demande si c'est bien là le mê- me christianisme, la même religion, quand le pro- cédé est tout différent ; et je suis effrayé de la dégéné- ration dans une institution, qui, pour être quelque chose, a besoin d'être éternelle. Les Ariens vou- laient ramener le Christ dans les formes du culte des héros, et ils mirentàcelaune ardente industrie. Athanase, pour sauver le christianisme, le porte, au contraire, en leivant même de la philosophie, là où l'esprit humain n'était pas encore arrivé. Compren- dra-t-on ce langage? Les pères marchaient en avant du monde ; l'Église, aujourd'hui, marche en arrière; mais nous ne laissons derrière nous que nos morts : il serait bien temps que quelqu'un entrât au désert, et sur le sommet de* toutes les vérités nouvelles sauvât la croix une seconde fois. Enfin le voilà assemblé, ce concile de Nicée qui va tout décider. 318 évêques y sont présents, l'em- pereur Constantin y assiste, l'âme d' Athanase le remplit. On a souvent dit que ce jour-là la terre s'est agitée pour une syllabe ; mais cette syllabe, {|6 LE CHRISTIANISME c'était un Dieu. Le Christ de plus ou de moins dans le monde, cela valait-il la peine d'une discussion? Ellefut solennelle, quoiqucla liberté n'y ait pasété entière, puisque la minorité fut constamment me- nacée par TEmpereur, et, à la fin, obligée de se dé-* dire. Cette minorité se repliait dans une loule de détours ; on chercha, hors de TËvangile, dans la langue philosophique, les mots les plus précis, pour ôtcr toute incertitude. Les pécheurs du lae de Galilée n'eussent pas compris cette profes- sion de foi; Platon Teût entendue. Ce fut le ^ traité de paix entre rÊvangile et la philosophie anti- que, sur les hauteurs les plus élevées de l'Esprit. On déclara le Christ de la même substance que son père, c'est-à-dire Dieu comme lui. Alors tout fut dit. L'humanité nouvelle, encore incertaine, eut son Credo, sa charte divine, sans peut être en voir encore toutes les conséquences. Le travail intime des trois premiers siècles fut résumé dans une parole; le Dieu* homme fut fait Dieu lui-même irrévocablement; le moyen de s^étonner que pour cette parole, qui contenait un monde, tant de génies aient été aux prises? Il y a quinze siècles que cela s'est passé, et c'estj Sftos nuJi 4oute^ un spectacle sublin^ de vpir Tune répétant d'une manière immuable les termes dii €redo de Nicée. Mais dans le travail et la substaùCé de ces quinze siècles, n'y a-t-il pas aussi quelque pâ* rôle qui puisse être ajoutée à rancienne proftessioft de foi? Les saints mêmes l'ont pensé* Dans le fond, ce Credo a été continuellement dé-*- veloppé. Le concile de Nicée a décrété ce que Vùû peut appeler la déclaration des droits de Dieu ; tout le moyen âge a travaillé à la déclaration des droits do l'Église ; enBn, les temps modernes ont ajouté, dans l'Assemblée constituante, à l'antique CredOy la déclaration des droits du genre humain. Or, ces professions de foi, faites en des temps différents, semblent d'abord se contredire et se heurter, quoi- qu'elles soient nées les unes des autres. Qui les con- ciliera? qui rassemblera dans un esprit, dans un symbole nouveau, ces fragments de la législation divine et humaine? c'est là le travail qui, aujour- d'hui, divise et oppresse le monde. ' Quand on veut faire le procès à l'esprit de îiotre temps, on ne manque pas do le comparer à Tépoqùâ de la décadence du monde païen. Un seul point renverse une si belle analogie : la société antique arrivée son dernier moment «ans le savoir; elle 98 LE CHRISTIANISME va mourir, et elle ne le pressent pas. Nulle part vous ne trouvez chez elle le deuil, la plainte qui précèdent la chute. Réunissez tous les poètes qui assistent à ce moment suprême d'une civilisation; ce n'est qu'image de paix, satisfaction du présent; dans Théocrite, Bion, Moschus, Lucien, Longus, lé monde grec meurt en souriant. Jamais la pensée leur vient-elle de s'inquiéter de la ruine des croyan- ces ! l'histoire ne leur ayant pas encore montré à nu la chute d'une société^ l'idée ne leur vient pas qu'une civilisation puisse disparaître de la terre. Aussi ils assistent de corps, non d'esprit, à l'agonie d'un monde; au lieu d'en recueillirl es plaintes, d'en marquer les pulsations , quand chaque moment vaut un siècle, ils vont chercher dans l'imitation homé- rique une vie fictive. Déjà la société antique a dis- paru; ils chantent encore l'âge de Saturne. Qui ne voit que l'esprit de notre temps incline à un extrême tout opposé? il affecte de porter d'avance son deuil, il tire vanité de ses propres funérailles. S'il y a un principe de douleur dans le monde mo- derne, n'a-t'il pas été exhalé comme à plaisir? la plainte est allée quelquefois jusqu'à énerver l'intelli- gence. Cette douleur féconde qui se connaît et s'ai- guise chaque jour, est précisément le contraire de SANS ROME. 99 cette décadence stérile qui s'ignore et se couronne de myrte. Au moment où a éclaté l'Évangile, le monde an- cien marchait de lui-même vers un catholicisme païen. En rassemblant chez elle tous lés dieux, tou- tes les croyances de la terre, Rome tendait, avant le christianisme, à une ébauche de papauté; son Panthéon était le Vatican de la mythologie. Ponlife de la tertre, l'empereur personnifiait en lui l'univer- salité' de l'Église païenne; le pape n'eut besoin que de s'asseoir à sa place, et de suivre la pente des cho- ses, pour personnifier l'universalité de l'esprit chré- tien^ D'autre part, l'alliance n'était pas moins naturelle entre l'Église et les Barbares, puisqu'un lien com- mun les umssait dans le combat contre l'ancienne société. A mesure que les Barbares approchaient, le christianisme leur expliquait à eux-mêmes leur voca- tion de colère. Comment auraient-ils résisté à une croyance qui célébrait en eux les exécuteurs des jugements de Dieu ? Leurs déprédations en recevaient un caractère sacré. Ce n'était plus des hordes sans mission. Ds devenaient autant d'ambassadeurs des vengeances célestes, ils avaient été annoncés par les prophètes; leur titre de noblesse remontait aux me- î(» LE Gttftt^lANt^E naces de T Ancien Testatneat. Isafelégiliviaît Alartc. Qu'était^ d*ail leurs, la religion de la race germ^ nique, pour lutter avec le christianisme? Au milieu d'un hiver étemel, sous le frêne sacré, ces dieux à la chevelure de neige puisaient leur force dans l'âme du nord. A peine descendaient-ils dans les Gaules, en Italie, en Espagne, sous le ciel de ces contrées, tout contrariait, démentait la fiction. Rien nerappe^ lant le monde qu'ils représentaient, leur âme de brume se dissipait au premier souffle ; avant que l'Évangile eût parlé, la nature tout entière les avait réfutés à chaque pas. Ainsi s'explique la chute aisée du paganisme dans le midi de l'Europe, sa résistance obstinée dans le nord. Il a fallu huit campagnes à Charlemagne pour baptiser, de l'autre côté de l'Elbe, ceux qu'une journée convertissait au sud des Pyré- nées et des Alpes. Sitôt qu'avec le christianisme une âme nouvelle entre dans le monde, on doit croire que cet enthou- siasme divin va éclater par des merveilles d'imagi- nation et de poésie : il n'en est rien. La religion est déjà toute formée, que l'art nouveau se montre à peine en germe ; tant il est faux de dire que la foi la plus obéissante est la plus propre aux arts. Les poètes chrétiens des premiers siècles, Prudence, 8AI9S vjms,. tôt Paulin d@ Nola, célèbrent académiqueioeiit Vèr^ poutelle avec l'accent artificiel d'Horace et de Vir- gile. Us auraient la i^incérité du martyr, ils n'ont pas celle du poêle ; les saints redeviennent païens d^s qu'ils veulent, de propos délibéré, être des auteurs. Trop près de l'idéal nouveau, pour le regarder en face, ils touchaient le Christ ; ils n'osaient le con- templer; comment auraient-ils pu le peindre? Le vé- ritable hymne harmonieux d*un saint, Paulin de Nola, c'est sa vie ; ses odes chrétiennes ne sont que virgilicnnes. Combien de poëmes ont élé alors écrils au fond du cœur, qui jamais n'ont dépassé les lèvres! cantiques muets, gestes de l'âme qui parle à Dieu, hymnes que les lions seuls ont entendus* Le chef- d'œuvre et le résumé de tout cela, est la liturgie de l'Église, épopée vivante, œuvre anonyme de la chrétienté tout entière. Un trait frappant, dans les premières époques du christianisme, est la soif de solitude, aussi longtemps que Ton travaille à la constitution du dogme. Quand la vieille société se dissout, les hommes n'ont plua rien à se dire les uns aux autres; et pourtant^ ce n'est pas la haine de la société qui les chasse^ hors des villes,. au milieu des sables. Tout au contraire: à m^ure que la solitude morale augmente dans les lOS LE CHRISTIANISME villes, à Alexandrie, Byzance, Athènes, les hommes vont dans le désert pour recommencer la société, en renouvelant leur alliance avec Diea. Ils s'aperçoi- vent que la vie n'est plus où elle avait coutume d'être, dans les institutions, dans l'Aréopage, dans le Forum, au foyer domestique ; par amour de la vraie vie, ils fuient un monde qui n'est plus qu'ap- parence. Comme des oiseaux qui pressentent les orages, ils s'éloignent ; ils vont bâtir au loin la cité nouvelle dans des lieux et sur un plan qu'aucune invasion de Barbares ne pourra atteindre. Au temps" de saint Basile, de saint Jérôme, de saint Augustin, il y avait un reste de Forum et d'A- réopage ; on y contrefaisait encore, çà et là, les grandes choses de Rome et d'Athènes. Partout, le monde antique se drapait; il jouait le vivant, dans les lois, les discours, dans une ombre de sénat. Comment des homnles nouveaux qui partaient de ïagaste ou d'IUyrie, attirés par la majesté des noms, n'auraient-ils pas été stupéfaits d'abord, puis révoltés ensuite, quand, au lieu des choses, ils ne trouvaient plus qu'une fiction, un mensonge? ils fuyaient épouvantés dans le fond des rochers, 1^ où jamais l'homme n'avait mis le pied. Ils tombaient à genoux, et le moindre insecte qui cherchait sa pâ- SANS ROME; 105 ture, œuvre vraie du Dieu vrai, leur semblait mar- cher dans la voie droite, cent fois mieux que ne fai- saient Rome et Athènes sous leur niasque de théâ- tre. Le moindre murmure de Teau était un discours véridique pour des oreilles fatiguées des sophismes de Byzance. L'homme se séparait de l'homme, cela est vrai; et jamais pourtant il n'avait été moins seul, car il allait converser avec Dieu. Chacun prend un chemin particulier vers la solitude. Mais cette solitude est peu - plée; tous ont le même compagnon et sont occupés de la même pensée. Si les corps ne se voient plus, les esprits se touchent; ils sont incomparablement plus voisins que lorsqu' ils discutaient ensemble sur la place publique, sans pouvoir se concilier. Séparés, en ap- parence, ils habitent en commun dans la même idée* De ce désejrt, il n'y a qu'un pas au type et au renou- vellement de la société moderne, fondée sur V indi- vidualité et Tassociation tout ensemble. De nos jours, aussi, on éprouve, malgré soi, quel- que chose de semblable; nous courons d'abord au- devant de la société, croyant trouver un foyer de vie dans cbacun de ses établissements. Par malheur, la vie n'est pas où nous la cherchons ; nous la de- mandons à l'Église : et l'Église ne nous la donne pas ; lOA LE CHRISTIÂJNISME SANS ROME, aux asseioblées politiques : elles oe bous répcDdept pas; à la famille : souYent elle nous laisse orpbe* liii$. La fictioQ nous enveloppe peu à peu. Nous aspirons vers la vérité, et nous, k notre tour, nous trouvons un masque. Nous cberchoiis une cité meil- leure; aussitôt une autre Byzance s'élève avec ses sopbismes, et nous eneeint de ses murailles de mensonges. Oix fuirons-nous donc? il ne s'agit pas de fuir au désert, ni de retourner dans les sables. Rentrons en nous^mèmes^ avec sincérité. L'bomme relrouvera encore une fois, dans ces sables vivants, la trace des pas du Dieu perd^i. CINQUIÈME LEÇON. Rapport des dogmes chrétiens et des institutions sociales. — Comment rhistoire universelle découle des dogmes. — Qu*ils sont la cité des idées dans la philosophie de Phistoire. '—Les conciles, les as- semblées constituantes du moyen âge.— Pourquoi le christianisme est représenté par l'Église et les gouvernements comme uhe chaite et une vérité d'outre -tombe. — Du miracle dans le monde mo- deme. -* Que le Christ s'incarne depuis dix-huit cents ans dans le droit chrétien. — Après la passion du moyen âge, la résurrection dans l'ère de la Révolution française. — L'Église était la pierre qui enfermait Tesprit dans le sépulcre. — Pourquoi le dogme de la fraternité humaine s'est inscrit si tard dans le droit civil et politique. — Saint Augustin, le législateur du moyen âge. — Une féodalité éternelle dans les cieux, type de la féodalité temporelle sur la terre. — Des seigneurs suzeiains du ciel, des serfs de l'enfer. — L'orga- nisation du moyen âge existait en idée avant d'être réalisée par les Barbares. — De la cité de Dieu, de la cité de l'homme. — Qui marchera au-devant des nouveaux Barbares? — N'y a* t-il plu» de peuple de Dieu? CINQUIÈME LEÇON. ht Là CITJ DB DIEU ET DE LA CITE DE l'hOUHIB. Je conçois tin ouvrage dont pas une ligne n'existe encore. Il consisterait à établir les rapports du dogme chrétien avec les formes politiques et sociales du monde moderne. D'autres ont montré les ressemblances nécessaires entre les systèmes de philosophie et les diverses formes de gouvernement depuis Tantiquité ; ils ont établi une loi d'analogie entre la scolastique et la féodalité, la philosophie de Descarteset la monarchie moderne, Véclectisme et la charte de la Restauration. Reste à 108 DE LA CITÉ DE DIEU voir comment chaque développement du dogme s'est réfléchi dans l'histoire et dans la société. Presqi:e toujours les penseurs se contentent de dire que le christianisme, n'étant fait que pour les cieux, ne peut se réaliser dans les institutions; que, seulement à l'approche de la Révolution française l'homme s'est aviwsé de faire descendre la loi di- vine dans la loi humaine. Pour moi, j^e pense que ce qui a été décidé pour le dogme se réalise tôt ou tard dans les faits, que le travail des quatre pre- miers siècles du christianisme est l'idéal, le plan sur lequel se développent tous les siècles qui ont suivi; je crois fermement que celui qui connaîtrait, dans ses détails, la formation du dogme, connaîtrait dans son esprit la formation de l'histoire civile et politi- que. L'humanité moderne est faite comme Tan- tique, à l'image de son Dieu; il n'est rien dans cet idéal suprême que nous ne devions prétendre réali- ser un jour dans les institutions et les lois. Tout ceci va s'expliquer par un exemple. La divinité de Jésus-Christ reconnue par le con- cile de Nicée, utie nouvelle question se présente, et tout le monde s'en préoccupe au quatrième et au cinquième siècle. Quel est le problème qui tient ainsi la terre en suspens? Rien ne vous paraîtra ET DE LA CITÉ DE L'HOMME. 109 pent-être plus subtil; et, pourtant, l'avenir social de dix siècles est dans ce mot. Demandez aux diacres, aux évoques, aux peuples chrétiens de Byzance, de Chalcédoine, aux catéchumènes des déserts, quelle idée occupe et trouble leur esprit : ce n'est pas l'ap- proche des Barbares; non, la menace des massacres ne les réveille pas, tant ils sont absorbés par la né- cessité de pousser jusqu'au bout la logique chré- tienne. Si Jésus-Christ est Dieu-Homme, voici la question que l'esprit humain se pose aussitôt : ce Dieu-Homtiae a-t-il une double nature, une double volonté, l'une divine, l'autre humaine? N'oubliez pas que tout l'univers tremble sous les pas des Bar- bares; chaque jour ils font un pas; on entend déjà leurs clameurs ; et pourtant, l'humanité chrétienne ne peut se détacher des questions qui viennent de s'élever ; elle ferme l'oreille à tout autre bruit; elle dit, h première, en l'étendant au monde, ce mot de la Convention : « Périsse l'univers, plutôt qu'un principe. » Les Pères écrivent dans la solitude , les conciles se rassemblent au bruit de la terre ébranlée; et à la fin, le monde occidental décide qu'il y a dans le Christ deux natures, deux volontés, que la pre- mière eât de Dieu, la seconde de l'homme. Il était temps quer la question fût résolue; le moment d'à- no DE LA CITE DE DIEU près, les Barbares viennent clore toute discussion. Elle n'est pas, il semble, destituée de grandeur, cette persistance de l'esprit humain à suivre la lo- gique des idées divines, au milieu du renversement des États. Il fallait bien que les hommes qui s'obsti- naient , sous le bélier, à résoudre ces questions, pressentissent au moins de quelle importance elles seraient dans l'avenir. Vous êtes tentés d'abord de croire qu'ils n'ont ajouté qu'un trait nouveau , une idée à la figure de Jésus-Cbrtst ; mais cette idée, s'in- camant dans l'histoire, va porter pendant mille ans tout le monde social. En effet, sitôt que le concile a établi deux natures et deux volontés dans le Dieu chrétien, il arrive que le monde social, se formant sur ce plan, se partage en deux volontés, en deux natures, l'une divine, qui est l'Église, l'autre humaine qui est l'État? Voilà la constitution du genre humain profondément chan- gée par cette^ seule déclaration qui, tout à l'heure, paraissait stérile.. Qu'est-ce que le moyen âge, si- non l'application sociale de ce dc^e? pénétrez- en un moment l'esprit, et toute l'histoire civile, po- litique se déroule devant vous. L'antiquité cesse le jour où se brise l'unité de l'empereur et du pontife. Deux volontés, deux ! ET DE LA CITÉ DE L*HOMME. Ui tures surgissent du cœur du genre humain et en deviennent les mobiles. Elles s'appellent, selon îo cours des temps, Rome et Constantinople, l'Église et l'État , le pape et l'empereur, Léon et Attila, Grégoire VII et Henri IV, Pie VII et Napoléon. D'abord ces deux volontés s'entendent comme dans l'enfance du Christ; elles n'en forment proprement qu'une seule; pendant les premiers siècles on ne les distingue pas. Puis Tàme du genre humain se dé- chire comme celle du Christ dans le jardin des Oli- viers ; c'est une agonie qui dure des siècles. L'em- pire tombe à genoux au onzième siècle devant le pape du moyen âge; il dit: Mon père! éloignez de moi ce calice ! maisxe calice, on ne l'éloigné que pour un moment des lèvres du genre humain. Môme aujour- d'hui, il reparaît; et celte division profonde insti- tuée à l'origine, continue ; elle éclate encore au mo- ment où je parle dans les affaires civiles et politiques de tous les peuples qui l'ont admise dans le prin« cipe de leur religion. Ce peu de mots suffisent pour montrer les dogmes sous un esprit nouveau. Comment n'être pas frappé de cette logique souveraine qui établit, à l'origine de l'histoire moderne, un certain nombre d'idées divines, lesquelles deviennent aussitôt la ii2 DE LA CITÉ DE DIEU substance et la loi des événements et des révolutions politiques? on explique ordinairement le moyen âge, la féodalité^ par l'arrivée des Barbares; ils ne sont rien qu'une cause secondaire; la première est dans les dogmes^ moules profonds où viennent se jeter et se fondre les peuples nouveaux. Dans ce sens, les conciles des quatre premiers siècles sont les vérita- bles assemblées constituantes du monde moderne. Chacune de leurs décisions imprime un mouve- ment particulier à la terre ^ il semble d'abord qu'ils ne règlent qu'une politique sacrée; mais ce conseil divin se traduit sur la terre dans les faits, les lois, la formation des États, la succession des races. Cessez donc de chercher dans les abstractions de l'école le plan idéal sur lequel se bâtit la société vivante. Cette cité des idées qui domine et qui règle le monde po- litique et social des modernes est elle-même une réalité ; elle vit dans les dogmes ; c'est là la vraie et la plus haute philosophie de l'histoire. Sans doute, il est commode pour les gouverne- ments et pour le clergé de montrer toujours dans l'Évangile et l'Église primitive un idéal tellement sublime qu'il ne doit exercer aucune influence sur les affaires terrestres et la politique du monde. Dans les temps modernes, les chefs de l'État politi- ET DE LA CITÉ DE L HOMME. 113 que et de l'Église s'étaient entendus pour dire par mille bouches aux peuples : « L'Évangile est un ^y; excellent livre, un ouvrage divin; il se réalisera quand vous mourrez; avant cela, vous auriez le plus grand tort d'exiger de nous que nous fissions entrer ses doctrines dans notre politique. Feuilletez-le en songeant au tombeau qui est près de vous ; au de- meurant, n'embarrassez pas de cette sainte utopie les hommes qui conduisent le monde, » Pendant combien de temps les multitudes n'ont- elles pas mis toute leur espérance dans le jugement dernier qu'on ajournait de siècle en siècle ! Elles écoutaient avec patience le livre des promesses, pensant que peut-être avant que la page fût tournée, la mort allait réaliser ce que refusait la vie. Mais la mort n'est pas venue si vite qu'on l'attendait ; et dans cet intervalle, à l'insu môme des hommes qui croyaient cela impossible, le dogme chrétien des- cendait peu à peu dans la politique universelle. L'hu- manité stupéfaite a fini par reconnaître que le Christ s'incarne de siècle en siècle dans l'histoire. Or, ce qui se faisait sans que personne en eût conscience, doit s'accomplir désormais avec le concours et la li- berté de l'esprit humain : tel est le signe et le ca- ractère de l'époque dans laquelle nous entrons. Les 114 DE LA CITÉ DE DIEU peuples ne se contentent plus d'entendre TÉvangilè comme un murmure avant-coureur de la cité des morts ; ils veulent sciemment le réaliser dans la vie sociale ; ils ont compris que^ de toutes les religions de la terre, le christianisme seul ne peut pas être condamné à rester impossible. De ce moment, ils travaillent silencieusement et sans relâche à rappro- cher la société de son idéal; dans cette voie toute nouvelle, Dieu seul peut dire où ils s'arrêteront. Comment ! le paganisme a réalisé toutes ses pro- messes; il a fini par rendre les hommes d'Athènes, de Rome semblables à ses dieux ; il a élevé sur la terre une société régie par les mêmes lois, les mêmes formes que la société des Olympiens; il a mis la couronne de Cybèle sur le front des reines, de Clèo- pâtre, de Sémiramis; il s'est résumé en substance dans un code païen : il ne s'est arrêté qu'à la fin de son œuvre. Et le christianisme, au contraire, réduit à être une utopie, une chimère éternelle pour les vivants, ne deviendrait une réalité que pour les morts! et il serait dans l'impuissance avouée de faire entrer son levain de justice, de vérité dans les choses et les institutionià humaines! il ne pourrait établir un droit chrétien ! Non, cela ne doit pas être. Puisqu'il a commencé. ET DE LA CITÉ DE L'HOMME. 115 il faut qu'il achève. Tout ce qu'il renferme fP esprit, de vie, le droit idéal, la législation sacrée qu'il enve- loppe dans les replis de la lettre, doivent tôt ou tard, sous une forme ou sous une autre, pénétrer les lé- gislations positives. Le monde ne se reposera pas que cela ne soit consommé. C'est une tâche immense pour les gouvernements qui s'élèvent; mais il serait aussi trop commode, pour eux, de n'octroyer jamais que des droits, une justice, une charte, une vérité d'outre-tombe. Ni on ne trompera, ni on n'a- musera plus le genre humain par une ordonnance, une bulle, dont il se repaîtra pendant des siècles. Vous l'avez nourri dix-huit cents ans d'un idéal de société ; il est trop tard pour extirper cet idéal du fond de son âme. Un article de loi, un amendement ne suspendra pas sa course. Vous lui avez montré une loi d'affranchissement, il veut la pratiquer; vous lui avez enseigné un abîme de justice, il veut s'y plonger avant la mort. Qui est-ce qui l'en empêchera? est-ce l'Église? Pourquoi donc nous conseiller toujours d'attendre la réalisation du christianisme dans le tombeau? a- t-on peur de déshériter les morts? Pourquoi atten- dre? les jours sont longs, quand on les passe dans le faux. 416 DE LA CITÉ DE DIEU 11 semble que l'Évangile et TÉglise primitive, repo- sant, en partie, sur le miracle, il était impossible que celle idée reparût et se réalisât dans la société mo- derne; cependant, elle a pu s'y produire, puisqu'il est juste de dire que la société repose sur le sentiment de la toute-puissance de l'esprit, en face de la nature. Si un païen reparaissait parmi nous, nul doute que notre monde entier, notre histoire, notre science, notre vie, lui sembleraient un miracle continuel. L'Église a cessé de faire des miracles ; mais l'humanité, et la France en particulier, en ont fait à sa place, c'est-k- dire qu'elles ont cru qu'un sentiment, une volonté de l'âme, pouvaient commandera la matière dëchatnée. Il y a aujourd'hui justement une année que je passais devant le port de Païos, d'où est pîirti Christophe Colomb. Suivez de« yeux avec moi ce point noir qui s'avance dans l'Océan : il suit une ligne droite, inflexible; il ne se dirige ni sur la terre, ni sur les cieux; il obéit à la pensée d'un homme, et cet homme voit d'avance, au fond de son esprit, le rivage inconnu qui l'attend. Sans se dé- tourner, il y aborde, par le chemin le plus court, avec la régularité d'une planète. Jamais un homme de l'iintiquité païenne n'aurait eu cette foi tranquille dans la puissance de l'esprit. Qu'est-ce que cela? ET DE LA CITÉ DE L HOMME. il7 Qu'esl-ce que cet univers , qui , k l'appel d'un croyant, émerge du fond de la création? Cela ne peut-il pas être mis à côté de plus d'un prodige de la légende? Combien de miracles que l'Église ne connaît pas ! Nous sommes entourés de merveilles qui changent autour de nous le monde matériel ; et chacuned'ellesestsortied'uu moment, ou pour mieux dire, d'un acte de foi en la toute-puissance de l'âme sur le monde. Dans l'ordre moral, que de peu- ples boiteux, il y a un siècle, ont été soulevés de leur grabat par un mot , liber lé ! Pendant com- bien d'années de la Révolution, la France et ses armées n'ont- elles, pas été rassasiées par cinq pains, que multipliaient l'enthousiasme et la reli- gion d'une bonne cause! Le tenaps des miracles n est pas passé, quoiqu'ils ne se consomment plus dans l'Église; s'il y a des peuples morts, le monde n'attendra pas jusqu'aux derniers jours de l'Apoca- lypse pour les voir renaître. Ainsi, la société chrétienne se réalise dans le mon- de, depuis le jour où l'Évangile a paru. Seulement une chose étonne d'abord, c'est que l'idée qui sem- blait devoir éclater avant toutes les autres , celle d'égalité, de fraternité, a été, au contraire, la derniè- re à pénétrer dans la vie sociale. Des dogmes ab- 118 DE LA CITÉ DE DIEU straits deviennent la loi du monde; et la pensée qui tient le plus au cœur de Thonime; reste enfermée dans le saint livre, sans presque aucune applica- tion. Lorsque, pour la première fois, éclate, dans rËvangile^ le dogme de la fraternité, vous vous dites involontairement que les peuples vont pousser un cri de joie, que les esclaves, les affranchis, Tim- mense plèbe du monde antique, vont, d'un com- mun accord, relever la tête, réclamer, sans perdre une heure, que la servitude cesse, que Taffran- chissement divin soit une réalité; vous croyez qu'ils vont eux-mêmes rejeter leur fardeau et pren- dre dans la cité le rang que leur donne la loi su-* prême. Mais, loin de là, cette parole magique d'égalité, de fraternité ne semble pas entrer dans les oreilles des peuples ; ils la répètent machinalement, sans la comprendre, ou sans y ajouter foi. L'i- dée ne vient encore à personne que les franchises de l'Évangile puissent, sur cette terre, s'établir dans le droit positif* L'esclave devient serf, il se croit trop heureux. Dans ce moment de surprise du monde antique, nulle révolte, nul effort de la part de la foule pour effacer les stigmates de l'inégalité sociale. Au commencement du septième siècle, les habitants des côtes de l'Italie vendent leurs enfants ET DS LÀ CITÉ DE L HOMME. Il» pour payer les impôts. On est étoooé et effrayé de voir combien il faut de siècles pour que l'homme se relève de la glèbe, et commence à se persuader que ^ ce qui est écrit dans le livre peut s'écrire dans la vie. Avant la consommation des siècles, tout le moyen âge se couche dans le sépulcre ; il attend la trompette de l'ange. Quelquefois, sans doute, dans ce laps de temps, il est des heures lumineuses, au moment de l'affranchissement des communes, de la renaissance, de la réformation, où l'homme, se ré- veillant en sursaut, tressaille; il a senti qu'il porte dans son âme le monde de l'Évangile, et que, sous ce soleil,^sur cette terre, il peut établir le commen- cement du règne de la justice. Mais ces lueurs ra- pides s'évanouissent, et l'Église aussitôt le raille de son utopie^ Le christianisme reste ainsi enfermé dans les tombeaux jusqu'à Theure de la Révolution fran-^ çaise, où l'on peut dire qu'il ressuscite, qu'il prend un corps, qu'il se fait^ pour la première fois, tou-» cher^ palper par les mains des incrédules, dans les institutions et dans le droit vivant. Sorti des morts, ce christianisme qui apparaît dan; la vie sociale, porte encore la marque des clous et de la croix du moyen âge ; mettez le doigt dans la plaie ou-* iiO DE LA CITÉ DE DIEU verte par le coup de lance des époques de vio* lence et de guerre; c'est à cette marque que vous pouvez le reconnaître. Les peuples, en s'appe-^ lant frères, commencent, comme les disciples d'Emmaiis, à voir cet esprit <{ui s'assied au milieu d'eux, k la table des vivants. Chose étonnante, au moment où la Révolution française se rencontre dans les lois, face à face avec ce grand Christ éman- cipateur, elle écarte l'Église qui, pour quelques an- nées, se brise d'elle-même. L'Église était devenue la pierre qui enfermait l'esprit dans le sépulcre. Il fallait que cette pierre fût ôtée un instant; l'ange de la France Fa soulevée, et l'esprit s'est montré. Toutefois, l'Évangile n'eût pas tardé si longtemps k éclater dans les révolutions politiques si un dogme dont je n'ai encore rien dit ne l'eût comme en- chaîné dès le commencement : l'idée de la. prédesii" -\ mUon. Quand les quatre premiers siècles eurent achevé de déterminer l'idée du Dieu chrétien , l'homme finit, au milieu de cette sublimité conti- nue, par retomber sur lui-même, et par se deman- der ce qu'il était, ce qu'il pouvait, ce qu'il devenait dans cette révolution de la vie divine. Avec cette lo- gique extraordinaire dont je parlais plus haut, les conciles, qui ne s'étaient occupés que de Dieu pen-» ET DE LA CITÉ DE L'HOMME. 121 dant les quatre premiers siècles, ne s'occupent que de l'homme pendant le cinquième. Ce qui l'inquié- tait était sa liberté morale : l' avait-il sauvée ou per- due? Voilà ce qu'il voulait savoir, avant de fermer la discussion qui durait depuis cinq cents ans. Saint Augustin fut celui qui répondit à cette der- nière question. Vous savez comment il refusa la li- berté à l'homme, comment il établit une inégalité irrémédiable en Dieu même, comment il imposa aux uns la fatalité du ciel, aux autres la fatalité et la glèbe de Tenfer, allant jusqu'à dire que, pour ces derniers, la prière même, était changée en crime ; comment, en un mot, il fonda, dans le dogme, une sorte de féo- dalité étemelle des seigneurs suzerains de la vie et des serfs liges de la mort. Ce grand docteur est véritable- ^ ment le législateur de la vie sociale du moyen âge. Avant que les chefs barbares fussent arrivés et que la conquête eût courbé personne vers la glèbe, ilinstitue en Dieu toutes les inégalités sociales qui paraîtront plus tard marquées du sceau sacré ; il établit au pied du Christ deux conditions éternellement et irrévoca- blement distantes de toute l'étendue des cieux, sans que le mérite y soit pour rien ; il reconnaît, il sanc- '; tienne l'inégalité de Jacob et d'Ésaii. Désormais les Barbares peuvent arriver. Ils n'ont rien à faire 10 1^ DE LA CITÉ DE DIEU qu'à réaliser cette société idéale que le grand docleyr fait planer sur leur esprit ; les vainqueurs^ nouveaux venus, enlèveront par surprise le droit d'atnesçe des anciens peuples. Sur cette féodalité divipe s'éta- blira la féodalité civile et réelle que vous connaisses. Ceci fait comprendre la Icmgue patience- du monde sous le joug des inégalités des conditions. Puisque l'inégalité est dans le ciel, commeQt ne serait-elle pas sur la terre? Pourquoi les uns ne seraient'ils pas immuablement prédestina |t jouir de la vie présente, puisque (l'autre^ soQt immuablement prédestinés à jouir de la vie future?  quoi bon essayer d'ébranler les donjons, 1^9 W^af^ noirs? ils reposent sans doute sur le roc immwblq des volontés divines. Quelques-uns, sans mérite, pv le bon plaisir de Dieu, occupent le trône inviablej pourquoi quelques autres, également sans rien faire, n'ôccuperaient-ils pas de droit divin les trônea visi-» blés? Un petit nombre d'élus dans le ciel, un petit nombre d'élus sur la terre; ne doutez pas que ces idées ne se soient liées, souvent, dans les esprits, et I que ce ne soit une des raisons pour lesquelles Ici I principe de Tinégalité sociale a si longtemps persista i i;ans contradictioQ au milieu même des révolutiomi reli^^Qusesu ET DÉ LA CITÉ DE L'HOMME, 123 Saint Augustin, représentant Tancien esprit ro- main, vient clore la discussion libre des idées ; il fonde l'autorité ; il ferme, d'un triple sceau, le grand livre des pères de l'Église, Moment solennel ! le travail du dogme est achevé pour longtemps; tout ce que l'es- prit avait à faire est consommé pour des siècles ; tout est écrit, résolu, comme le testament d'une époque qui va finir. L'idéal est tracé; il faut maintenant que le monde d'action s'ébranle pour le réaliser. En effet, à peine saint Augustin a-t-il déposé la plume, les Barbares frappent à la porte. Le plan de la so- ciété future est marqué ; ils viennent la construire. À la vue de ces étranges ouvriers qui commen- cent par tout renverser, un cri s'élève dans l'an- cieii monde : c^est la faute des chrétiens; les an- ciens dieux se vengent!... A ce dernier instant de ce monde qui croule, saint Augustin, comme la plu- part des pères de l'Église latine, a besoin de rasseoir son esprit. Cette grande Rome de l'antiquité, qui semblait inexpugnable, a été prise et saccagée. Pourquoi cela? il s'explique aisément cette condam- nation de la vieille société par les erreurs, les crimes du paganisme; mais il ne se. contente pas de cette raison. Il veut que le monde se réjouisse de cette ruine; à la place de cette cité croulante, édifiée par \U DE LÀ CiTË DE DIEU les hommes, il montre une autre cité de Fàme, qui grandit dans le monde invisible. Dirai-je ce qui me frappe dans cette consolation que saint Augustin jette à la terre? C'est qu'on n'y entre- voit pas le moindre pressentiment des choses et des siècles à venir. Le fils de Monique n'imagine pas une seule fois que cette cité des esprits pour- rait bien se bâtir, après lui, du moins en partie, dans les temps qui vont se succéder. Il admet que la ville de Dieu a été construite sur terre par le peuple hébreu, et après ce peuple, c'est un gouffire où rien ne surnage ; il ne découvre pas cette suite, cette société de saints, de docteurs, qui lui tendent les bras du fond du moyen âge ; il ne trouve pas un mot pour répondre d'avance aux hymnes, aux cantiques qui se préparent dans l'avenir, sous les arceaux des cathédrales enfouies encore dans le bloc des rochers; il ne voit pas de loin cette Église visible, qui s'élève et se réalise dans l'âme du genre humain. Tout cela, il le cherche, il l'attend, dans la seule communion des morts ; et jamais, au bruit de la cité que les Bar- bares renversent, il ne dit, il ne pense, il n'espère qu'une autre puisse s'élever ici-bas sur le plan de la cité de Dieu. Nous aussi, nous sommes en des temps où l'on as- ET DE LA CITÉ DE L'HOMME. 425 sure que de nouveaux Barbares s'approchent de la vieille sociétés Les voilà, dit-on, déjà au seuil; ils demandent à entrer. Vous savez que Ton appelle ainsi les multitudes illettrées, nues, misérables, qui ont en effet conservé la sève de la barbarie, et font entre elles presque tout le genre humain. Elles nous assiègent déjà de tous côtés, par la faim, par la dou- leur, par les besoins du corps et de Tâme. L'invasion approche. Que ferons-nous? qui marchera au-devant des nouveaux Barbares, comme un nouveau saint Léon? Dirons-nous que le monde va finir? nous dirons qu'il va recommencer une époque nouvelle, qu'avant d'être surpris par ceux qui frappent à la porte, il faut préparer un nouvel esprit, rouvrir le sceau fermé des grandes discussions, et travailler encore une fois à Tachèvement du christianisme. Atten- drons-nous tranquillement, sans rien faire, le ju-. gement dernier? mais il a déjà commencé, la trom- pette a déjà sonné. Tout ce qui est du vieux monde est jugé ; il s'efface, il disparaît, il passe à la gauche, comme une ombre, à Tinstant où il croit ressaisir l'existence. Dirons-nous encore aux nouveaux Bar- bares qu'il y a deux cités inconciliables, que nous leur abandonnerons Tune et que nous garderons l'autre? mais cette division est précistMiient ce (|ni a lie ùËU CITÉ m bifec afiienè les choses humaines au point où elles sont aujourd'hui. Quand la cité terrestre n'était que la cité de rhomme, elle était trop étroite; la violence s*êû emparant, y hahîlaît presque seule, et, pour le plus graûd nombre, il tallaît camper loin de son en- ceinte, hors du droit, dans des déserts sans nom. Que feste-t-il donc à faire? le voici. Établir la trêve entre la cité de î)ieu et la cité de Thomme ; réunir rune êl l'autre dans le même principe, agrandir la seconde eh y arborant la loi et le droit de la pre- mière; et qu'est-ce que bût cela, si ce n'est re- connaître que, dès cette vie, nous pouvons bâtir une maison de justice, de liberté, de vérité, assez grande pour nous tous abriter? Ne sentez-vous pas en vous-même, en des instants choisis, des élans d'espérance comme si vous saisis- siez quelque chose de palpable? Ce ne sont pas de vains songes ; ils prendront, tôt ou tard, un corps. Instinct précurseur du droit nouveau, c'est le cri étouffé des siècles à venir, qui feront ce que nous nous contentons de dire. Rome païenne, avec ses cirques, devient pendant tout le moyen âge la ville sainte , la cité de Dieu. Étendez cela à la terre en- tière, il faut que la ville sainte s'élève partout où l'homme habite. ET DE LA CITÉ PB L'HOMME. 127 4 entendre le langage actuel de l'Église, ne dirait- on pas que, prétendre, dès cette vie, réaliser çq par- tie le christianisme danslqs institutions,^ c'est frus- trer et dépouiller les morts? Comme si Toci n^qUflit d'appauvrir le tombea^u^ eu usant ^ #s, içi-baS;^ 4fi denier de l'Évangile I çonime s'il ^tait nécessaire 4p diminuer la terre pour enrichir les cieux ! Qu'ôtez- vous à votre immortalité , en commençant à vivre dès les jours qui vous sont donnés? A-t-on peur d'abréger l'éternité en datant de cette heure l'ère dévie? Nous n'absorberons jamais si bien dans la société visible l'éternelle justice, qu^il n'en reste pour alimenter éternellement les morts. Élever, ici- bas, une loi vivante, où ils puissent reconnaître le môme souffle qui les soutient par delà le sépul* cre, est-ce rompre notre communion avec eux? Je pensais que cela s'appelait la réaliser. Saint Augustin, et après lui Bossuet, reconnais-» sent que la cité de Dieu a été élevée d'abord ici-bas par le peuple hébreu ; ils admettent encore qu'elle a continué de grandir visiblement avec les premiers peuples chrétiens ; mais, depuis ce moment, le si^ lence s'étend sur elle; personne n'en parle plus; on pourrait croire qu'elle est écroulée et cachée sous les ronces^ Notre tâche^ celle des hommes qui viendront 128 DE LA Cnft DE DIEU. après nous, sera de montrer que le peuple de Dieu n*est pas tout en Judée, qu'il lyt aussi parmi nous ; que la cité de Dieu n'est pas en ruine, qu'elle con- tinue de grandir au milieu de nous et par nous, chaque jour, cimentée de notre sang, de nos sueurs et souvent aussi de nos larmes. SIXIÈME LEÇON. Condition fondamentale de la papauté : tout pape doit être un saint. — Le Saint-Siège remplit-il cette condition ? — L*iuégaiité d*espnt entre les Barbai*es et Rome, une des causes de la suprématie spiri- tuelle de la papauté. — Que TÉglisc a changé de formes comme les gouvernements temporels. — L^ambition de Grégoii-e VU n*«st plus assex grande pour nos temps* — Pourquoi ? — Il fait naître d*uue fraude Ou d'un crime cous les pouvoirs politii^ues. — Sa vraie grandeur. — Grégoire VII, un ancêtre de la Révolution française. — Un tent>risme moral, un 93 spirituel. — Principe identique du Saint-^ge au onzième siècle et de la Convention : que les empe- rem's et les rois sont les vassaux de Tesprit. — Le droit d*anathèroe est inhérent à la constitution du monde chrétien. —Qui jette Fana* thème dans le monde moderne? li SIXIÈME LEÇON. LE PAPE. Le iniraele par exceUeftçe dans le monde^ est VapparitiaQ d'une idée nouvelle; il suflBit d'être homme pour avoir assisté à ce prodige, puisqu'il jû'est personne à qui il n'ait été donné de décou- vrir un des détails infinis de la vérité. Au moment où votre esprit languissait, une pensée fond sur vous. Où était-elle uû mstant auparavant, cette idée qui n'avait pas encore paru sur la terre? de quel ciel est- elle tombée? Vous avei beau chercher, vous la sen- tez, vous la f ps^édez^ et vous ignorerez toujours i32 LE PAPE. le cbeûiiu qu elle a suivi; également incapables de la devancer ou de la fuir. Cette commotion sponta- née du vrai marque la venue de Dieu dans un es- prit ; et ce qui arrive pour vous arrive aussi pour le monde. Tel peuple est réveillé en sursaut par une idée que ses pères n'ont pas connue ; il se lève, il se trouve renouvelé par cette effusion d'une pen- sée sortie des abîmes inconnus de Fintelligence. Plus une nation est remplie de ces idées spontanées qui sont tombées des cieux comme une pluie de justice; plus sou histoire est sacrée. Au milieu de ce miracle permanent, je rencontre une institution, la papauté, qui seule, à l'écart, s'as- seyant bors du temps, se vante de n'acquérir et de ne perdre rien par les années, d'avoir toujours pensé sur cbaque cbose ce qu'elle pense aujourd'hui, de n'avoir jamais ni subi l'explosion instantanée d'une idée vierge, ni connu une seule de ces révolu- lions qui transfigiirent un individu, un peuple. Donnons-nous largement le plaisir de l'impartia- lité; soyons envers la papauté plus libéraux qu'elle-même, en montrant qu'elle aussi a vécu, qu'elle a changé de forme, qu'elle a grandi, que le sang des vivants a coulé dans ses veines, que la flamme spontanée de l'esprit s'est allumée pendant LE PAPE. 135 des siècles sur son front sans rides, qu'enfin, elle n'a pas toujours été le vieillard centenaire du Vati- can moderne. M. de Maistre, avec le ton impérieux que vous lui connaissez, croit avoir tout résolu quand il a dit : « S'il y a quelque chose d'évident pour la raison « autant que pour la foi, c'est que VÉglise univer- « selle est une monarchie. » Qu'elle soit devenue telle, et la plus absolue de toutes les monarchies, cela, en effet, frappe les yeux. Mais ce qu'elle est aujourd'hui, l'était-elle autrefois? Attribuer aux papes des premiers temps la suprématie spirituelle de Rome moderne, autant vaut dopner à la royauté de Chilpéric les formes et la puissance de Louis XIV. Où était cette dictature de la papauté, dans les quatre premiers siècles, lorsque la pensée du chris- tianisme se développait dans lès conciles, partout ailleurs que dans Home; lorsque Antioche, Alexan- drie, Constantinople étaient tour à tour la capitale du dogme, que l'élection des prêtres, des évoques appartenait au peuple, que dans son premier essor la vie religieuse éclatait spontanément du fond de l'antiquité renouvelée? Si quelqu'un eût annoncé à ces assemblées, à ces communes, qu'elles avaient un chef absolu, un roi spirituel dans l'évoque de 434 LE PAPE. Rome, cette prétention n'eût pas même été com- prise. On se sentait encore trop près du Dieu chré- tien pour abandonner à un homme, quel qu'il fût, le droit de régner à sa place. Qu'était-ce donc que ce gouvernement de l'Église primitive? Ou l'on abuse des mots, ou il faut y reconnaître une grande démocratie, une république d'États confédérés; les conciles représentaient les anciennes assemblées du peuple ; les évèques étaient les magistrats élec- tifs de cette république sacrée. Elle avait tous les inconvénients de la vie, puisqu'en même temps qu'elle fertilisait le dogme, elle donnait libre car- rière à la variété des pensées : d'où cette multi- tude d'hérésies qui marquent la fécondité spi- rituelle de cette époque. De loin à loin, le nom de l'évêque de Rome est prononcé avec respect; mais nulle marque d'une obéissance particulière. Yoilà la première forme de gouvernement dans l'Église. Au lieu de cette origine modeste, les historiens vous montrent la papauté siégeant dès le commencement sur son trône immuable. Ils veulent frapper l'esprit par le spectacle d'une institution qui, échappant à la loi du progrès, échapperait aussi à la loi du dé- clin. Ils élèvent hors du temps» sur une ruine de Rome, la figure de l'éternité visible; mais, pour LE PAPE. 135 peu que vous approchiez de cette figure, vous eper* cevez que le temps qui l'a faite, travaille aussi h k- changer. Cette première découverte vous étonne j elle vous conduit à penser que cette institutioDi tout extraordinaire qu'on la dépeigne^ peut avoir à la fin le destin de toutes les autres. J'ai montré que tant que le travail du dogme t continué, Rome est restée sans prépondérance; elle trouvait partout des maîtres ou des rivaux quand U s'agissait de penser. Sitôt que ce travail de l'esprit est achevé, et qu'il faut non plus produire, mais conserver, non plus créer, mais se souvenir, le rôle de la papauté commence ; elle entre dans une époque où l'autorité lui arrive par la force des choses. Nul ne peut habiter Rome qu'il ne se sente grandir d'une coudée ; fassiez-vous dans la condition la plus humble, vous êtes là, à chaque pas que vous faites, le centre vivant d'un monde, le chef d'un passé sans limites. Que sera-ce d'une institution jetée dans ce moule? elle prendra d'elle-même la forme de cette immensité. Sans l'invasion des Rarbares, jamais la papauté n'eût pu aussi aisément se saisir du monde. Si la vieille société fût restée ce qu'elle était^ il y wr^| eu trop d'égalité intellectuelle pour qu'aucun lieu 136 • LE PAPE. s'attribuât la souveraine puissance sur tous les autres ; la Grèce n'eût jamais cédé à Fltalie. Mais, entre les Barbares et Rome la différence d'esprit était si pro- digieuse, que cela devait à la longue légitimer tous les genres de prétentions de cette dernière. Quand les invasions eurent tout renversé, il y eut un point qui, restant lumineux, servit à rallier le monde. Dans cette époque, la papauté se sent grandir le cœur; et rien n'est plus beau, en effet, que de voir en ce moment cette puissance à qui tout réussit sans qu'elle ait besoin d'aucun effort violent. Elle se contente de nier au patriarche de Constantinople le titré d'ëvèque universel; elle ne se l'attribue pas en- core. Dans la ruine des anciens éléments de socia- bilité, elle surnage comme une arche d'alliance ; ftgede force, de modestie admirablement personnifié par Grégoire L C'est lui qui ferme ce que j'iaippelle- rais volontiers Tépoque de sainteté de la j[>apauté. Les œuvres morales de saint Grégoire ont peu d'é- clat, encore moins d'invention ; mais, au milieu du débordement des violences mérovingiennes, il est impossible de ne pas être frappé de vénération pour tant de placidité. Sans avouer ouvertement leur am- bition^ les papes sentent que l'avenir vient à eux, qu'ils n'ont besoin de rien fairo pour le précipiter LE PAPE. 157 Une joie intérieure , une sérénité extraordinaire éclatent dans leur langage , leurs lettres, leurs ho- mélies ; eux seuls semblent sourire quand tout le reste du monde se noie dans le sang; ils habitent alors une région infiniment supérieure à celle où se déchire la société politique et civile ; ils régnent et méritent de régner. Tournez la page de cette histoire , tout change : dans le neuvième et le dixième siècle où est l'Ë- glise î elle semble abîmée sans retour. Après avoir résisté d'abord à la barbarie, elle s'en laisse péné- trer; dans ce premier choc elle a perdu le plus pur de sa pensée ; elle a élevé les Franks et les Vandales, mais elle s'est abaissée à leur niveau ; et il se fait dans ces temps une effroyable égalité entre le prêtre et le laïque. Changeant la candeur des anciens temps contre la ruse de la barbarie, l'Église se fabrique, en silence, de faux titres, de fausses donations, une fausse législation, dont le secret ne sera reconnu que six siècles plus tard. La supériorité morale est per- due pour un moment ; on la remplace par des décrets frauduleux. En face de cette Église menteuse^, les rois chevelus, qui s'étaient prosternés, se relèvent avec une ironie effrayante. Quelle étrange chose que cette moquerie du neuvième siècle dans la bouche i58 LE PAPE, d'un roi anglo-saxon ! Vous croyez que c'est fait du monde chrétien; et si vous regardez sur le Saint- Siège, tous les débordements y sont représentés avec une audace que les chroniqueurs du moyen âge peu- vent seuls atteindre. Laissons ces papes Jean XII, Jean XIII, Be- noît VII, Jean XV, ces Héliogabales du Saint-Siège. Nés de papes, ces adultérins mettent la papauté à l'enchère ; ils livrent les croix d'or, les calices du Christ à leurs concubines; ils ordonnent leurs diacres dans les écuries de leurs chevaux. Qu'est devenue cette sainte Église de Rome? les femmes romaines, selon le mot d'un témoin contemporain, n'osent plus y entrer, craignant les vices et l'impu- deur des souverains pontifes. Et c'est l'empereur qui est obligé d'arriver des frontières de la Barbarie pour remettre une apparence de dignité dans ce chaos. Pourquoi faut-il redire ces choses? est-ce pour profiter de ces misères? au contraire, c'est pour montrer quel ressort prodigieux est caché dans cette institution, puisque le moment où vous la croyez souillée, déshonorée pour toujours est celui où elle atteint sa plus haute splendeur: nous venons de la laisser dans la boue^ elle va remonter au ciel. Nous quittons les saturnales de la papauté du dixième LE PAPE. 159 siècle, nous nous trouvons déjà en face des austéri- tés de Grégoire VIL Pour relever en un clin d'oeil l'Église tombée dans le gouffre, ce héros, Grégoire VU, avait besoin d'un grand principe qui vînt légitimer tout ce qu'il voulait tenter; et je ne puis trop m' étonner que personne, dans le clergé, ne dise plus rien de ce premier fon- dement (îe son autorité ; on revendique chacune de ses prétentions, excepté la seule qui donne à toutes une sanction irrésistible,. Je savais bien qu'il devait y avoir dans cette grande âme une idée, un sentiment particulier qui lui servait de levier pour ébranler le monde. En le cherchant je l'ai trouvé, ce levier ; et, véritableijientj la découverte n'était pas difficile, puisqu'il l'a montrée lui-même dans sa langue lapi- daire. C'est une chose immense, que l'autorité qu'il a demandée pour lui et ses successeurs ; être le roi de la pensée, sans qu'on ait même le désir d'élever une contradiction ! Transporter comme il lui plaît Taù- torité, la royauté, la propriété ! Et pourtant, cette puissance jênorme, je m'engage à la reconnaître et à laisser toute discussion, si le Saint-Siège remplit, de son côté, sans intervalle, la condition que pose Gré- goire VII : a Tout pape, dit-il, élevé 3ur le Saint- « Siège, devient un saint. » Quod romanus pontifex V. iAO LE PAPE. efficitur ommnb sanctm. Comment les philosophes n'ont-ils pas vu cette idée au fond de l'âme d'Hilde- brand ? le système tout entier est là. En effets Tesprit même de l'institution du Saint- Siège suppose dans celui qui l'occupe la nécessite delà perfection morale- Ce n'est pas une monarchie comme une autre, qui, née des conventions des hom- mes, porte au front leurs faiblesses. Si vous voulez que je reconnaisse sans contestation la représentation permanente de la divinité sur le Saint-Siège, si vous voulez légitimer à chaque moment de sa durée une institution si extraordinaire, il faut, comme le décrète Grégoire VII, que vous me montriez sans interrup- tion, sur le trône de Dieu, une sanction également extraordinaire , une dynastie de saints , omnind sanc'- tos; c'est la condition : à ce prix le monde admettra ce qu'on exige de lui. Pour exercer la toute-puis- sance morale sur la terre, il ne suflit pas que -d'au- tres, en d'anciens temps, aient été sublimes à votre place ; il faut que nous voyions luire Tauréole autour de votre front ; et, comme vous prétendez à une soumission non interrompue de l'esprit, il est né- cessaire que vous exerciez vous-mêmes cette autorité non interrompue d'une âme vivante. Ne me dites pas que Grégoire, Léon, Urbain, Innocent et tant d'au- LE PAPE. 141 très dont vous empruntez au moins les noms ont été des saints il y a mille ans; je yeux que vous en soyez un vous-même aujourd'hui pour que tout le monde moral se mette sans contestation a vos genoux. Cette idée n'est pas seulement le fond de l'esprit de Grégoire VII; elle est celle qui a présidé à l'éta- blissement du Saint-Siège, et lui a donné, à ses ori- gines, la force de se produire et de croître. Lisez les noms des cinquante premiers papes, c'est-à-dire, de ceux qui soutiennent l'édifice. Ces fondateurs sont tous des saints , des héros du monde moral. Par là, vous voyez dans quelle voie la papauté s'est engagée et à quelle condition la terre l'a ac- ceptée dès l'origine. Le principe de ce contrat so- cial entre le Saint-Siège et le monde, est la sain- teté. Otez-la, toute sanction disparaît. Pourquoi, après ces cinquante noms, la liste est-elle comme épuisée? A une institution qui doit éternellement re- présenter Diisu, je n'accorde pas un moment de dé- faillance ni d'interrègne; car, on aura beau faire, jamais le monde ne consentira aisément à ce que le vicaire de Jésus-Christ puisse être un fourbe, un violent, un libertin, ou seulement une âme com- mune. Nous pouvons, sans révolte, voir passer des hommes vulgaires ou même criminels sur les trônes 442 LE PAPE. des hommes; nous les rejetons à la postérité, et cela même répond à la défaillance de notre nature. Mais sur le Saint-Siège de Jésus-Christ il en est au- trement; nous n'admettons là pour légitimes que les saints ou les héros du genre hyinain. Je suis})ien exi- ^çaijt, allez^vous dire î Et vous, ne Vêtes-vous pas, qui prétendez occuper sans rien faire le trône de Dieu ! A quelques égards, Grégoire VII est le Napoléon de l'Église; il a fait le 18 brumaire du catholi- cisme ; nouvelle révolution dans le gouvernement spirituel qui prétend n'en subir aucune. La dé- mocratie de r£gli$e priuiitive avait été remplacée par la féodalité des évêques; ces barons de TËglise se brisent dans les mains du moine Hildebrand; il reste un pouvoir unique, absolu, infaillible. Gré- goifeVII a comme Napoléon ses assemblées muettes^ ombre des anciennes délibérations : il y a autant de différence entre les conciles de Rome et les conciles de Nicée, qu'il y en a entre le Corps législatif et l'As- semblée constituante. Quand on lit les lettres de cet çmpçreur de l'Ëglise, on vpit que son grand cœur jetait continuellement déchiré par la situation de la jDhrétienté^et par les obstacles terribles qu'il ren- contrait^ h sa réforme, dans less seigneurs du clergé* Qç qjoi rendit sa victoire légitime et po^sible^ o^est LE PAPE. il? qu'en \>Tiamt l$t j^u^er^i^çté des barons spirit^els^ il j rentraijt par li dans h vieille ^alité de rÉglise prir / jpitivi^» Combien de fois n'est-il pas arrivé quç^ dat^ lesmonienls de p^ril, le grand peuple de l'ïlgliçi^ tournait les yeçx vçrs Grégoire VII, comme s'il eût absorbé en lui toute la chrétienté ! C'est ainsi que U monde voyait dans Napoléon l'image vivante de la démocratie; le capuchon do bure a couvert l'usure pateur de l'Église, comme la redingote grise Tusur* ' pateur de la Révolution. J^ais aujourd'hui, qui sera assez avisé pour éterniser l'absolutisme de saint Pierre sans Fàme et les lettres de Grégoire Vil? il serait plus aisé d'éterniser l'empire sans Marengo et l'Empereur. Voyez, d'ailleurs, de plus près, quel a été le but de ce grand homme, et pourquoi, légitime en son temps, son ambition n'est plus assez grande pour les nôtreis. Étudiez les monuments de Gré^ goire VU, vous, arrivez nécessairement à ce ré-* ^Itat^ que, s'il a pensé de loin à loin aux misèrei des peuples, il s'est eontenté d'asrarer les droite et la liberté du prêtre. Au milieu des entreprises con-» tiûuelles de la violence, tracer dans l'humanité une enceinte de flammes, où la force aveugle. n'entrerait jamais; faire du sac^doce. une race sacrée, unpeii« iU LE PAPE. pie d'élection, un refuge assuré, une condition indé- pendante y à l'abri des passions des rois, des princes, des barons, la fierté seule de cette idée étonnait le onzième siècle ; il a fallu un cœur de feu et de bronze pour aller jusque là. Aux yeux de Grégoire VII, la "^ société, l'humanité réelle c'est l'Église; le citoyen, c'est le prêtre ; le reste est une ombre. Voilà pourquoi il ne réclame rien, à proprement parler, que la con- stitution des droits du sacerdoce, la liberté de l'homme d'Église. Il s'élève au sommet de l'édifice social tel qu'il le comprend, et sa devise, qui contient tout son . système, est celle-ci : ne touchez pas mes prêtres, mes Christs : Nolite tangere chrisios meos . D'autres fois, il ajoute : celui qui les touche, touche la pupille de mes yeux : Qui ws tangit tangit pupillam oculi meL Tout ce qu'il eatreprend a pour résultat d'établir des garanties absolues, au profit de cette société par«* ticulière, qui s'appelle le clergé. Il faut que les puis- sants de la terre apprennent ce que c'est qu'un prêtre, quanti vos estisy ce qu'il peut, guidpotestiSy et que le monde se soumette à sa charte. Spectacle nouveau que celui d'une âme qui saigne, en secret, à chaque blessure de l'homme d'Église, dans toute l'étendue de la chrétienté. Du fond de la Hongrie ou de l'Angleterre, inquié- LE PAPE. UÉ ittdd^ plaifite/ ail^iâse, \e moindre soupir du prêtre va retentir daj3s le cœur de Grégoire VIL Malgré cela^ si Ton demande pourquoi ce système est àuranné^ pourquoi le monde ne veut pas y rentrer, l'Église de nos jours ne semble pas môiîîe s'en douter. Elle croit que nous accusons Gré- | goire VII de trop d'ambition ; c'est tout le contraire^ j Ses projets ne sont plus assez grands.* Le môindi'e * d'entre nous est aujourd'hui plus ambitieux qu'Hilf ^ debrâûd 5 éai* ée qu'il sô contentait de démandef pour ses prêtres, comme un privilège, nous lé de- mandons âujauîrd'hui pour la charte de chaque ] hommes NotiS Voulons que, ùon-seulement le dkcrë Ou révèque^ mais toute créature humaine, et Id feffiîtie aussi biefl que l'homme, soient entourés d^un oéMe sacré, que ne puisse franchir la Violence ded princes et des rois, dans le temporel ni dans le spi- rituel. Nous voulons que la maison, le seuil privé, soit gardé dé tôtité offense par uri archange, comme 1^ îttoftastère du liioyen âge; et nous nommons cela léS garanties de la liberté individuelle. Ne touchers tAê Mes christs, noUte tangere ckristos meos, ce ffiot nous l'appliquons à èhaque personne morale. Gré- Ifoire VII seûtatt la Société vivante dans le clergé ; nous la sentons dans toute l'humanitèt' Grégoire VU 12 146 LE PAPE. ne réclamait que la liberté de l'Ëglise, pro liberUOe Eccîesiw; et nous^ nous réclamons dans notre esprit la liberté du monde. Voilà pourquoi, tout ensemble, nous admirons Hildebrand, et ne pouvons reculer jusqu'à lui. Peut-être vous étonnerez-vous si je dis que. Gré- { goire VII, l'homme de Dieu, vir Dei^ est un ancêtre de la Révolution française ; néanmoins cela est évi- dent. Dans sou effort contre les pouvoirs politiques, dans ses instructions à ses soldats spirituels, espèces de proclamations qui précèdent la bataille, il ne donne pas aux royautés de la terre un autre fonde- ment que la violence, le crime, le mensonge. « Qui ne sait, écrit-il à ses ^ évêques, que l'autorité des rois et des chefs d'État, vient de ce qu'ignorant Dieu, livrés à un orgueil, à pne cupidité sans frein, ils ont, à l'aide du prince du mal, prétendu dominer leurs égaux, c'est-à-dire, les hommes, par l'insolence, les rapines, la perfidie, les homicides, enfin, presque tous les genres de scélératesse? » Ce sont là, mots pour mots, les expressions dont le tiers- état, dans sa première ferveur, eu 89, et plus tard les Montagnards, se servaient en marchant à l'as- saut de la royauté absolue. La ressemblance est si * £pist.ad Herimannum Episcopum. LE PAPE. 447 frappante dans le» termes^ que Ton dirait qu'ils ont p^ssé littéralement des bulles du onzième siècle dans l'âme de la Convention. Il est certain, en effet, qu'en voulant briser la société laïque par la société spirituelle, Grégoire YII a donné le premier ébran- lement révolutionnaire au monde. Un biographe contemporain, un pauvre moine s'in- terrompt en racontant les anathèmes du pontife, la misère de l'empereur, agenouillé, pieds nus en che- mise, au bas de la fenêtre du pontife, et il s'adresse cette question prophétique : Qiioi donc! mais si le pape et l'empereur, si TÉglise et l'État se trompaient l'un et l'autre! Quid ergo! numquid errât ulerque? Exemple rare, presque unique de la manière dont se sèment et se forment les révolutions humaines. Ce n'est d^abord qu'une question, une opinion crain- tive, un germe égaré par la tempête au fond de l'âme d'un solitaire. Les murs de sa cellule gardent longtemps le secret de cette pensée imprudente, elle meurt avec lui; puis des siècles se passent^ après quoi, il arrive que tout le monde a la fois répète cette même question : Est-<îe que FÉglise et la royauté se trompent? Numquid errât uterque? Une voix ano- nyme, qui est celle d'un grand peuple, répond : Oui; alors l'époque commencée, obscurément, dans la lis LE PAPE. pensée du moine du onzième aûècle, éclato et se coDsomme dans l'Assemblée constituante et dans la Contention* Remontait d'un seul bond à l'esprit du cbristkt- ttisme dW9 sa force première ^ Grégoire VU a senti qu'il portait eu lui la conscience du moym 6ge ; de là^ le droit d'interdit, d'excommunication/ qui élevait aux empereurs leurs empires^ n'était qu'une conséquence naturelle et légitime. Dans le monde cbrétien^ les pouToirs politiques sontfon** dés sur l'esprit; il faut qu'il y ait quelque part une autorité supérieure qui les ôte et qui les donne au nom de la pensée» J'aime à voir ce grand homme, les' yeux fixés sur l'idéal du royaume Spirituel, exercer une terreur morale sur les royau- mes politiques à mesure qu'ils s'écartent de ce ' modèle* Quand l'âme des peuples était encore en- dormie, qu'ils étaient séparés les uns des -autres par des barrières infranchissables ^ ir fallait bien qu'une personne morale fût la conscience vivante du monde de Fesprit. A ce inoment d'une oî^anisatldn barbare, la conscience de chaque peuple est, pour ainsi dire, hors de lui-même; mais du moins elle existe quelque part : elle vit dans le Vatîcaïu. Pendant que le serf est pendié sur la glèbe et LE PAPE. U9 le bourgems tout occupé de 3a misera, présente, i\ y asuv la' terre ub homme qui^ avec les yeux de Tfti*^ gle^ discenie, suit les proJBt8dereiupereqr,dHrDi, des, nobles, deréyèque;qu6lquefoisiUvertitles rois qu'il, sait oe qui se passe au ibnd de leur esprit* Avea cett» lumière da l'âme, il voit dans l'épaisseur des mufail*. les, des donjons, des églises ; et il balance, il braodit incessamment sur le monde l'épouvante de la mort spirituelle, qui souvent amenait la mort pby3ique#. Aucun livre ne donne Vidée de ce système^ ni de cet homme : imaginez un terrorisme moral, un 93 spirituel qui tient l'anathème en permanence »v»^ pendu sur les âmes des suspects. On peut dire que Péchafaud des révolutionnaires modernes est peu de chose en comparaison de ce glaive de l'eir eommunicatioB qui jetait Thomme, le roi hoBS du ban de l'humanité et de Dieu pour ce monde et pour l'autre. Un abîme s'ouvrait où le plus brave ne sth* vait à quoi se prendre ; la terre et le ciel se retiraient,, l'enfer seul restait^ Aussi, tandis qu'il n'est pas rare que les hommes courent avec joie à l'écbafaud , noi parle t^n de personne qui ait pu soutenir jusqu'au bout, sans chanceler, l'interdit de Grégoire VIL Suivant les légendaires, la flamme dea arcb^ngtts sfallumaît sur sa tète. ^ 450 LE PAPE. Ce qui marque ce génie tout nouveau dans le monde, c'est qu'en ôtant aux rois leurs royaumes, il ne doute pas un moment du droit qu'il a de les dépouiller. Son clei^, à qui manque la vie mo- rale, ne croit pas, comme lui, à ce privilège de l'âme; et Grégoire VU se plaint de la Iftcheté de ses évêques, pareils, dit-il, à des chiens qui n'osent pas aboyer devant le loup. Oh est donc la fcnrce de Grégoire VU? dans cette idée, vraie en soi, que pour le monde moderne , l'autorité politique repose sur la conscience, que les couronnes, les sceptres, la no- blesse, les fiefs, sont la propriété de l'esprit, et qu'à l'esprit seul appartient d'élever les couronnes , de confirmer ou de destituer les duc^, les rois, les empereurs et tous les maîtres de la terre. Au reste, il ne suffisait pas de porter en soi cette idée essentiellement révolutionnaire; il fallait que Grégoire VII se sentit personnellement le droit de l'exercer ; or, ce droit il l'avait par la sainteté du cœur et l'héroïsme de l'esprit. Il savait, il sentait qu'il habitait réellemeîit un monde meilleur que n'était la société de son temps; sans hésiter, il puisait dans sa conscience une de ces colères de Dieu, tram Dei^ un de ces rayons de flamme, que tout le monde re- connussftit; il jetait cette flamme vivante au front LE PAPE. 161 des rois; tout était ébranlé; le coup tombait de haut ; le monde de la force cherchait son titre dans l'intelligence. Il se rasseyait un moment sur le droit de la pensée. Dans ce sens, Grégoire VII a devancé Tavenir. Il a posé le droit chrétien pour fondement du droit politique; c'est là son étemelle grandeur. On avait parlé avant lui du célibat des prêtres ; même, on avait tenté d'abaisser la féodalité épisco- pale. Mais c<»kstituer l'esprit comme le suzerain, et toutes les royautés comme ses vassales, c'est-4i- dire, commencer à réaliser dans le monde poli- tique la cité del'Ëvangile, personne ne l'avait encore imaginé. Voulez-vous savoir pourquoi, depuis la fin du moyen Age, vous n'entendez plus parler d'inter- dit jeté à la face 'des chefs des sociétés mo- dernes? N'y a-t-il plus depuis trois siècles d'em- pereurs rebelles ou hérétiques, de mauvais rois, dé gouvernements qui restent au-dessous de leur mission? Et, qui pourtant a ouï dire qu'aucun pape ait enlevé, de fait, à personne, depuis le moyen ftge, le sceptre ou la couronne? Pense-t-on que si l'âme de Grégoire VII vivait encore quelque part, s'il en restait seulement une trace, une étincelle, l'interdit du feu et du sel et de l'eau n aurait pas de- ■ iSî LE PAPE. mandé compte de la Pologne {ifemperenr de Russie^ de rirlande au gouvernement anglais, et de tant de / ruisseaux de sang àla monarchie d'EspagneTL'Église se travaille pour continuer de croire au principe de Grégoire VII ; seulement, on ne se sent pins in- térieurement le droit moral de déposséder les forta. On n'est pas assez sûr de représenter la consdence de l'univers, pour se charger ainsi spontanément des représailles de la Providence, avec la certitude que le jugement sera exécuté. La parole de vie et de ' mort hésite et tremble sur les lèvres du pape mo- derne; elle ne vibre plus dans le cœur de l'athlète de Dieu, aihleia Deiy comme une flèche qui tue : elle ne part plus du sommet dû monde moral. Sans se l'avouer, la papauté commence à s'apercevoir que cette puissance de prononcer, sur les empires et les dynasties, le jugement d'en haut, ayant passé à d'autres, ne lui appartient plus. Dans le sommeil où l'Église est tombée vers la fin du moyen âge, qu'est-il arrivé? que les chefs de la société politique ont profité de cette défaillanee de l'esprit, pour établir leur légitimité sur la seule violence, la conquête. Le fait est partout devenu le droit. Alors, contrairement à l'idée de Grégoire VÎI, toute principauté temporelle s'est donnée comme sa- LE PAPE. 1S3 ' crée et inaliénable. La théorie du droit divin atta- ché à chaque couronne, date de la décadence de r%lise. Avoir possédé un moment lacouronne, parut alors une raison divine pour la conserver toujours. Quand l'Église eut perdu la force de déposséder les dynasties, naturellement chaque fils de roi ou de prince se crut maître de son héritage pour l'éternité; la puissance qui, au nom de l'âme, avait exercé le droit de donner ou de reprendre l'empire, la pro-- priété, la noblesse, les terres, renonçait à cette auto- rité. Les nobles, les rois, les empereurs, débar- rassés de cette unique crainte^ regardèrent au* tour d'eux I ils ne virent rien paraître^ à la place de l'autorité morale qui les dominait ; ils j ugèrent qu'au- cun anathème ne les atteindrait plus ; et l'époque de la monarchie absolue s'établit sans contradiction* Cessant d'être les vassaux de Dieu^ les souyeraios crurent qu'ils devenaient les propriétaires inaUéna- bles des peuples et des couronnes. Mais Dieu devait les ressaisir par une voie dont ils ne se doutaient pas. En effet, le droit d'anathéme est inhérent à la constitution du monde chrétien; il ne peut pas dis* paraître* Écrit au fond de toutes les chartes non* velleâ^ il e6t identique avec le cri de la consciencei Dès que la papatité s'en.dépouillait en j'éalité^Jl était 154 LE PAPE. immanquable qoe la oonscience morale fit explosion sous une autre forme. Ce peu de mots renferme la nécessité et Fesprit de toutes les révolutions modernes; depuis que la papauté n'a plus le cœur de prononcer les excom- munications politiques et la déchéance des souve- rains^ les peuples sont contraints de faire cela à sa place. Que sont toutes les révolutions, depuis ^ trois siècles, si ce n'est un anathéme sorti de la conscience du monde? L'Angleterre, TAmérique, la France, l'Espagne, la Grèce ont jeté, cha- cune a leur tour, une de ces paroles de feu qui, autrefois, ne sortaient que de l'âme de Gré- goire YII. L'une après l'autre, ces sociétés ont compris ce qu'il avait avancé le premier, à savoir, que les dynastiiBS, les empires, les royautés, les no- blesses, les principautés, les duchés, les marquisats et les comtés, împeria, regna^ principatuêy ducaïas, marckiasy comUains, ne sont que des vasselâges de l'esprit, et que l'esprit, en se retirant, abolit tcMJs ^ leuw titres. Dans chacune de ces révolutions, après le cri jeté par la conscience publique, on voit les anciens pouvoirs absolus, condamnés par une force surhu- maine, se dépouiller eux-mêmes, descendre de leurs LE PAPE. 165 sommets, et venir, les pieds nus, tète basse, passer les trois jours d'épreuve à genoux sous les fenêtres des nations nouvelles, comme l'empereur Henri IV sous les fenêtres de Grégoire VIL  peine l'ana- thème est sorti d'une bouche, il est répété par toutes; et celui qui en estFobjet, fût-il entouré d'une armée, toute sa force se retourne contre lui ; le pain et le sel lui sont refusés. Vous avez vu cela il y a quinze ans. Qu'ai-je besoin d'en dire davantage? Vous savez si rexcommunication jetée par la bou- che d'un peuple est pesante aujourd'hui sur la tète d'un prince. Ainsi, d'une part, tant que l'Église a mené le monde, son gouvernement a subi les révolutions de la vie; démocratie, aristocratie, monarchie, il a traversé ces dififérentes phases. D'un autre côté, la puissance de lier et de délier les empires a passé d'une main à l'autre; et ces changements se sont faits pour que le plan du christianisme entrât de plus en plus dans le monde politique et réel. Assurément, la Révolution française ne pensait pas accomplir, çn l'agrandissant, l'idée de Grégoire VII; et pourtant elle n'a pas fait autre chose quand elle a établi un droit supérieur à la possession séculaire de l'autorité, de la noblesse, delà couronne. Le régime f M LE 9kPR. éeterreor qu6 le grand pontife t iiopoâé M tMfen ig0 ft Mes pu an momeni ie retouimer càittre ses dâsMàis en Im empêchant de se féalis^ §cm la forme qu'û voulait kur donner; mais le pntfdpe de si politî^ sacrée n'a pas laissé de gr&ifdir et fédi,-^ ter dans la codsoienceido monde i&odertid. Il éfi est de même de Cette terreur xpn s'attache m nom de la Résolution fmnçaîsë; ses anathèmes sanglants Ont pu fiire reculer d'épôUvatite tine partie dd mondée Ils n'empècbemût pas qnt le droit de rËvan^le, d'abord réservé pouf le prêtre, plus tard étendu au genre humain , ne se consomme iiîl jour sous des forme» que n'ont pd prétoîr ta le pttpe du Ofi2ième siècle^ iii la réVôlutiôii dd dix- neuvième. SEPTIEME LEÇON. Origines du mahométisme. il commence le jour où le catholicisme 8*arrête. — L*unité de Dieu manifestée trois fois dans le désert. -^ Le Coran et la Bible. — Allah accomplit les menaces de Jehovab. L'islamisme expliqué par Tarchitecture arabe. — La mosquée. <--> L'Alhambra. — Esprit de terreur. L'Orient antique épouvante rOrient moderne. — Le Coran, un monologue de Dieu. — En quoi rislamisme diffère du christianisme ; il se réalise instantanément dans les institutions politiques. — La propriété. — Les femmes. — L'esclave. — Quelle a été la mission de Mahomet? — Pourquoi la société musulmane est immobile? — Impuissance du catholicisme À terminer la guerre entre l'Évangile et le Coran. — La France et l'Algérie. 13 SEPTIÈME LEÇON. LE BIAHOMBTÎSMB. AU moment où la papauté $ vers le temps de Grégoire-le -Grand, saisissant la dictature spirir tuelle^ ferme par Fautoritè la discussion de^ idées et des dogmes, il semble que la victoire du catho- licisme soit consommée. Les natioifô nouvelles ont accepté, sans examen, le joug de TÉglise} le pa-^ ganisme a disparu. De quel côté peut naître dé- sormais le danger ou seulement la résistance? eeîa échappe à tous les yeux. Le chef de la chrétienté dut croire que les temps de F unité uiiiv^selle 160 LE MAHOMÉTISME. étaient yeuus. Ce fut un beau jour pour TÊglise et pour le monde. Cette joie était prématurée ; et, au contraire, sitôt que les dogmes paraissant achevés, le mouvement d'esprit s'arrêta, la moitié du monde brisa ralliance. Les idées, que Ton se contentait désormais de con^ damner, comme mortes, sous le nom d'hérésies,sans les discuter plus longtemps, se dressent tout-à-coup en face de la chrétienté; au grand étonnement de rOccident, elles forment, daus le mahométisme, une religion rivale. La papauté s'était trop pressée de fermer le cercle des choses religieuses; la moitié de la terrene pouvait y trouver place. Le jour même où l'esprit, en Occident, voulut se reposer dans le passé sans y rien ajouter, l'islamisme apparut; on avait mis le sceau sur les Écritures, en déclarant qu'au- cune puissance ne les augmenterait d'une ligne; pour toute réponse, une race d'hommes se cherche un nouveau livre; elle le trouve dans le Coran. Laissons pour un moment l'accusation de fraude, de mensonge ; seule, elle ne suflBra jamais à expli- quer le miracle de ces peuples qui, dispersés à l'ori- gine dans le désert, se réunissent soudainement, comme s'ils eussent entendu la trompette de l'ange Gabriel. Ce n'était d'abord qu'une poignée d'hom- LE MAHOMÉTISME. 461 mes, une tribu ; en quelques années, c'est un monde, et il va heurter un autre monde. Par quelle puissance a été ressuscitée celte race d'hommes que l'on croyait éteinte depuis le temps des patriarches? Par l'autorité d'un livre qui, poésie et réalité tout ensemble, jette chaque membre de la tribu, de la nation, dans une extase morale semblable à celle de l'homme auquel il a été inspiré. Quelques vers, quelques hymnes, rien de plus; mais chacun de ces vers reflète une action ; chacun de ces hymnes, est descendu des cieux qu'habite l'âme de la race arabe. Remontons nous-mêmes à ce premier moment d'où est sortie la destinée de l'Orient moderne. A consi- dérer la situation actuelle du monde, TAsie investie de toutes parts par des peuples missionnaires, la tâche qqe la France vient de se donner en Algérie, ja- mais il ne fut plus nécessaire qu'aujourd'hui d'en- trer impartialement dans l'esprit et dans Vâme du Coran. Un grand fait domine tous les autres. Par trois fois, la même race d'hommes annonce au monde l'unité de Dieu dans le judaïsme, le christianisme, l'islamisme. Au point de vue humain. Moïse, Jésus, y Mahomet sont de la même famille. Et comme si l'alliance par le «ang n'était pas assez claire, consi- 162 LE MAH0MÉTI8ME. dérez, J6 vous prje^ que par trois fois cqUq idée de / r^nitë pure de Diôu se révèle, éclitte diins le mèm^ lieUi dans le même désert d'Arabie ou de Syrie, là oh la nature est abolie par elle-même* Au milieu â« OQs sQlitifdps éternellement vides, la pensée de Dieu 00 se montre k l'homme sous aucune image, puisr qu'elles y manquent toutes également, ^i sources, ni fleuves k adorer; point de forêt sacrée qui enve- loppe le mystère. Sans laisser de trace sur le sable, l'esprit seul visite et paroourt \e désert, au milieu . du silence de l'univers consterné. Pendant que partout ailleurs le monde se fait des dieux visibles qu'il peut entendre et palper, les villes du désert, Jérusalem et ]a Mecque restent fidèles à l'esprit éternellement solitairOt Jehovah, Allah, sans autres coinpagaons que leur ombre, sans de- Pierre fixe,^ ^ la parole embrasée, portent l'un et l'autre sur leur face l'empreinte, ou, pour miew dire, le tempérament du désert. ^i }e dieu de; Mabomqt est, dans son principe, le pieju dô Moî>ei;i si l'un el; l'autrç sont marqués di| n^êrae scçau, vous aperçevçz déj^ pu quoi ils dif* feront. Jehpvab est le dieu d;es Hébreux; il s'est choisi uft ppupie privilégié entre fqHs;Jl cher- che, i détruireî.nqn à epny^ftir les autr^, î?af1out LE MAHOMÉTISME; 463. OÙ il s'arrête il fait autour de lui un désert so- cial; son peuple étant trop faible pour lui donner Fempire du monde, il se contente de se séparer des infidèles. Il vit à l'écart. Pourvu qu'il se conserve, sous les pieds des colosses de Chaldée, de Perse, d'Egypte, c'est un miracle sufBsant. Il attend pa- tiemment l'avenir. Tout autre est la politique de Jehovab renouvelé par Mahomet. Premièrement, il n'est plus le dieu d'aucun peuple en particulier; son affection n'est plus enfermée dans une tribu, ni dans une race. Il est devenu le dieu du genre bu- main. Voyez, d'ailleurs, combien tout 3ur la terre a changé autour de lui I autrefois il était accablé par les énormes empires idolâtres qui l'entouraient ; maintepant ces chaînes sont tombées; la Perse, la Chaldée, l'Egypte ne l'obsèdent plus, ne l'étreignent plus. Les barrières qui le renfermaient se sont ren- versées d'elles-mêmes. Que s'ensuit-il de ces énormes changements? que si dans l'antiquité il était réduit à se défendre, désormais il peut attaquer. Il s'isolait dans la loi de Moi^e, il va se répandre au dehors dans l'islamisn^e. Longtemps contenue dans les murs de Jérui;ale)U3, sa colère déborde sur toute la face de l'Asiej ^^ jette l'interdit non plus seulemeqt sur le payç de 164 LE MAHOMÉTISME. Cbanaan, mais surtout TOrient. Allah va accomplir la longue menace de Jehovah. Tel est le lien du judaïsme et de l'islamisme ; d'où il résulte que la condition de la révélation nouvelle est la conquête. Il faut qu'elle aille purifier par la sainte colère du glaive la terre trop longtemps souillée des impuretés du passé; et il est impossible de pénétrer le caractère du mahométisme si vous ne le rattachez à la loi de Moïse ; car il porte dans son sein les colères, les menaces et tout l'héritage de haine des prophètes. Aussi sa révélation éclate dans le cri des batailles, son paradis est à l'ombre des épées; il emprunte ses paraboles aux mouve- ments des combats; pour sacerdoce, il a le cime- terre ; son livre de la loi est la proclamation du dieu des armées. Voulez-vous toucher dans la pierre et le marbre la vraie pensée d€ l'islamisme, jetez avec moi les yeux sur une mosquée ; je choisis celle de Cordoue, parce que je l'ai visitée à loisir, et qu'élevée dans l'époque de splendeur du mahométisme, il n'en est pas qui soit une image plus fidèle du Coran. Ces longs murs armés de créneaux et de tours militaires, senties re- tranchements d'une forteresse : c'est la maison de Sébaoth, de la divinité des batailles. Au^lossus de la LE MAHOMÉTISME> i6& citadelle sacrée, le minaret porte dans la nue la senti- nelle de Dieu; en priant, elle veillesur l'armée desfidè- les. Si l'on approche, quel seuil hérissé ! les créneaux etlesmeurtrières de ces tours dedéfense sont faits pour les anges de colère ; armés de leur carquois couleur de feu, ils aiguisent en secret leurs flèches d'or. Tout est menaçant, comme les apprêts d'un combat éternel. Mais osez franchir cette porte mystérieuse, pénétrez dans l'enceinte et dans l'intimité d'Allah, quel changement ! quelle douceur î quelle oasis de colonnes innombrables 1 Vous vous égarez dans cette forêt de palmiers aux troncs de marbre. Ajoutez que les hardiesses de nos monuments gothiques sont des oeuvres prudentes et raisonnées, en comparaison de ce qu'ose l'architecture arabe. A voir ces voûtes qui s'élancent Tune surl'autre sans appui, vousdiriez que ces pierres ne restent debout depuis des siècles que par la puissance de la parole et le miracle du Coran. Nos cathédrales fondées sur une même pen- sée, à l'extérieur et à l'intérieur, ont la sublimité de l'harmonie ; au dedans et au dehors, leur physiono- mie est la même. Mais il y a aussi une majesté sai- sissante dans cette brusque transition des souvenirs des batailles, à la paix immuable des forêts célestes; il semble qu'après avoir passé sous la voûte des 166 LE MAHOMÉTISVE. épées, vous vous trouviez dans le jardin d'Allah. Je dirai de l'Âlbambra quelque chose de semblable. Ce monument qui éveille tant de rêves vous étonne par le même contraste. Levez les yeux vers le sommet de ces hautes collines : ces tours massives, ces bas- tions énormes, sans aucun ornement, ces citadelles hérissées que rien ne déride, est*ce bien là le palais enchanté d'où s'exhalent les parfums de tant de poètes? Je ne vois rien, encore une fois, que la face irrir tée du génie de la guerre. Mais, que je traverse ' cette porte dérobée, le changement n'est pas moins soudain que dans la mosquée; les murs émaillés des fleurs des oasis, les sources jaillissantes à chaque pas; cette architecture qui, pour ainsi dire sans * toucher terre, bâtit autour de vous la demeure des songes ; les mots de félicité, félicité, écrits et brodés sur les murailles, à côté de ceux-ci : Dieu seul est vainqueur ; cette soUtude embaumée, ce mur- mure perpétuel de Teau, ces pavillons, ces tocadores qui s'ouvrent sur des jardins de citronniers et d'o- rangers; de loin à loin, un murmure qui mopte de Grenade, comme un souvenir de la terre ; tout ce monde de délices, que dérobe aux yeux le dieu ja- loux de l'Orient, comme la perle dans sa nacre, n'est- LE MAHOMÉTISME. 167 ce pas riraage réalisée du paradis de Tlslam? C'est du moins celle du Coran; comme TÀlbambra, il a le front du soldat, le cœur de Tange; il cache ses pro- messes et son ciel derrière une enceinte de menace et de terreur. Représentez-vous le sentiment d'épouvante porté au comble, consacré par les traditions de la Bible, poursuivant les vivants comme les morts, les anges pomme les hommes, devenant pour toujours le principe non-seulement de la terre, mais de l'u- nivers entier; vous concevrez comment l'horreur ^ du jugement dernier est dépeinte dans le Coran, en | traits vivants qui laissent loin derrière eux les inveur | tions de Dante et de Michel-Ange. Vous trouvez là, j dans la réalité môpie, ce tremblement, ce grincer ment de dents dont parle rÉcriture, Le jour irrévo- pable approche, l'heure s'avance ; voilà la parolQ qui retentit le plus souvent. Les cheveux des enfants blanchissent d'effroi ; les cieux se fendent de peur, JMais dans ce monde de terreur est enveloppé un monde de délices ; les bienheureux, au bord des sources, aperçoivent de loin les damnés; les extases des saints sont ravivées par la vue de l'enfer; vo- , lupté qui confine au supplice. Jusqu'au milieu de la joie des anges se glisse un reste d'épouvante. Dans i6B LE MAHOMËTISME. VAlhambra, la salle du meurtre des Âbencerrages, avec ses laides taches de sang^ regarde les voûtes embaumées de la sultane chérie Linda*Raja ; mé- lange qui fait le fond de toute la vie musulmane. Puis, toute la terre est prise a témoin ; ce sont des serments de colère, tels que l'Ancien Testament ne pouvait les connaître : « Je jure par les tempêtes, je « jure par les nuées grosses de la foudre, par les « chevaux rapides, par le mont Sinaï, par le livre te inspiré, par le temple visité, par la mer écu- « mante, le châtiment approche, il est là ! » Savez-vous, en outre, de quel argument formi- dable se servait le Prophète? il avait recours à une preuve visible qui manquait en grande partie à l'Oc- cident; il montrait* aux, peuples de l'Orient nouveau les villes ruinées de l'Orient ancien, lescitès sans nom, aux grandes colonnes, dont les peuples avaient été lapidés par les anges. Elles aussi avaient refusé d'é- couter le Prophète, et elles avaient été emportées par les vents, comme des branches de palmiers, ou mêlées comme la paille sèche à l'argile. Avouons que cette éloquence était parlante, dans le voisinage des ruines de Babylone, de Persépqlis, de Thèbes, de Tyr, quand Mahomet pouvait ajouter : « N'avez- * Le Coi-an, cap. VU, 3; c. XIX, 97; c. XXIÏ, U; c . XLI, 14, etc. LE MAHOMÉTISME. 169 VOUS donc pas parcouru le pays ? n'avez-vous pas vu de vos yeux 7 Ces sociétés, ces nations se disaient l'une à l'autre, en voyant le nuage s'avancer vers leurs vallées : C'est un nuage, il nous apporte de la pluie, — Non ! c'est la tempête ! elle vous ap-r porte le châtiment*, » Ainsi, la nature consternée du désert porte le sceau de l'épouvante, et donne elle-même témoi- gnage à l'islamisme. Les squelettes de ces anciennes sociétés, épars dans les sables, se relèvent et par- lent pour le prophète présent. Mahomet excelle^ à épouvanter le monde moderne à la vue du monde antique; il fait, de ces ruines mystérieuses, de ces cités ensevelies au fond des lacs, autant d'êtres qui assiègent les vivants. Où est, dès lors, la merveille qu'une immense terreur ait saisi les peuples, au spectacle de ces vastes demeures abandonnées; elles ouvraient, en quelque sorte, la première scène du jugement dernier. Qu'étaient devenu? ceux qui les avaient habitées ; on croyait déjà entendre le bruit des chaînes, de soixante-dix coudées qui les liaient à Satan. De là, le sentiment de hâte, de précipitation qui est un des traits du Coran. Puisque les signes sont si près, si palpables, on n'a que faire de discou- i Le Coran, ch. XLVl, aa. m LE HAHOMÉTISME. rir, ni de chercher le dogme; il faut agir. Les antî- ilùes murailles s^écrouletit, la trompette va sonner. Tout le passé de FOrient se retournant ainsi contre lui pour Teffrayer, est-il bien étonnant que les peu- ples se soient précipités en toute hâte sur leurs che- vaux pour devancer l'heure funeste? s'ils se retour* naient en arrière, ils voyaient le spectre des peuples morts traînés sur le front dans le chemin de Fenfer, et ils accéléraient leur course. Oubliez pour un moment, avec le dix-neuviêmé Siècle, le christianisme lui-même. Ne Voyez autoiir dé vous que le désert, qui partout, dans les ruines, se hérisse d'effroi. Que des messagers rapides vous apportent, l'un après l'autre, chacun des sermentj de colère du Dieu nouveau; représentez-vous ijué vous êtes, non pas rassemblés dans des villes, où voué pouvez vous interroger, vous consulter, vous ins- truire les uns les autres, mais disséminés à travers dé vastes solitudes, et que vous y receviez isolément la même nouvelle du dernier jour qui s'approche; êtes- vous bien sûrs, môme sans aucune fraude, que votre cœur, votre esprit ne finiraient pas par être ébranlést Du livre des musulmans, cet esprit passe dans leur histoire ; îl explique toute la différence des invasions des Barbares, et de celles des Arabes. Les Barbares LE MAHOMÉTISME. 171 se poussent; les uns les autres, pendant cinq ou six siècles ; avides de posséder une terre qui n'appar- tienne qu'à eux, ils s'arrêtent où ils la trouvent, ils s'y établissent et s'y enracinent. Mais les inva- sions orientales ont un autre caractère : un Dieu les mène et éperonne leurs chevaux. L'heure presse, le jour approche! cri d'effroi que matin et soir le Coran répète. 11 faut franchir les monts et les fleuves sans s^airêter nulle part, courir de la Perse aux Pyrénées, des Pyrénées aux Indes, et avant le jour irrévocable remettre la terre entière sous l'autorité d'ÀUaL Ainsi, l'histoire arabe se consume en une Journée. C'est peu de dire que l'unité de Dieu est le fond du Coran; il s'agit de voir quelle sorte de sublimité particulière lui prête cette doctrine appliquée dans toute sa rigueur. La première conséquence est que le prophète, le médiateur disparaît, pour ne laisser parler que le Dieu. De là, le ton, l'expression unique qui distingue le Coran de tous les livres religieux du monde. C'est un monologue de Dieu avec lui-même. Que j'ouvre la Bible, l'Évangile, ou les Épî- tres, je trouve toujours les paroles de Jehovah ou du Christ rapportées par un homme, à la suite d'un récit. Toujours un homme^ entre Dieu et moi; disait 172 LE MAHOMÉTISME. Rousseau. Au contraire, dans le Coran, le discours céleste ne passe par aucun organe intermédiaire. Il éclate dans TinGni ; Dieu converse, dans la solitude, et discute avec lui-même ; il s'interroge, il se répond; il commente du haut des nues ses anciennes Écri- tures; il se fait, dans son désert, les objections des incrédules; il ne les résout pas; il les amasse, il les recueille comme une vengeance. Il se réjouit d'avance, en se peignant le dernier jour. Soliloque qui, sans être jamais interrompu par la voix d'aucune créature, a le monde pour écho. — « Nous crierons à l'enfer : Es-tu rempli? et il répondra : Non! Avez- vous encore des impies? » — Ce monologue fer- mente ainsi, au haut des cieux, comme un orage qui pèse sur toute la surface de la terre, saus s'adresser à un lieu, à un peuple, à un homme plutôt qu'à un autre. Quelquefois, c'est une familiarité sublime . « De quoi s'entretiennent-ils? — de la grande nou- velle, du jour inévitable, de la Résurrection. » Vous diriez le souffle haletant du désert. Cette tempête se promène en grondant sur le monde. Tous les points sont menacés; aucun n'est encore atteint ni frappé* A la fin, ce discours, qui enveloppait toutes choses, se concentre sur un point particulier. Il s'arrête! il éclate; il frappe une tribu, une ville. LE MAHOMÉTISMÊ. 473 la Mecque, ou Médine, quelquefois le Prophète lui- même; plus la parole a été longtemps suspendue, plus le coup est terrible. Or, ce n'est pas là une rare saillie de géHÎe dans le Coran; c'est l'esprit de cha- cune de ses paroles sans exception. Autant de chapi- tres (et ils sont plus de cent), autant de ces monolo- gues d'Allah. Tout l'univers se tait et se cache sous le sable ; le Prophète lui-même reste muet ; la race arabe qui passe dans le désert s'arrête ; elle entend ce dis- cours qui, mêlé d'interrogations et de pauses, roule avec fracas sur sa tête. L'humanité surprend , par ha- sard, au miUeu des solitudes, le secret de l'Éternel. Voilà l'originalité et le sublime du livre de Mahomet. Dans ce que je viens de dire, sont implicitement contenus les rapports du prophète et du Dieu. Ma- homet reçoit le commandement sans le provoquer. Il n'e3t pas le fils, il est l'esclave d'Allah. Si le livre de Vévidencej comme on appelle le Coran, eût con- tenu des récits, on eût pu le nier j des doctrines, des paraboles, on les eût controversées. Mais des ordres précis, des commandements militaires, au milieu de la mêlée des choses humaines, ne se discutent pas; il faut y obéir. C'est trancher dans le vif le principe de la discussion. Le prophète nouveau ne voit plus Dieu face à face, ni dans le buisson ardent, 14 474 LE MAHOMÉTISME. ni dans la fumée de l'holocauste, comme faisaient les envoyés de Tancienne loi. Une voix intérieure le / réveille au milieu du silence des nuits et il la répète / au peuple; souvent ce n'est qu'un mot : a Parlel dis4eur! ac^eriis-les I demandeAeur ! » Tel est, en gé- néral, le préambule de la révélation. Lorsqu'on pense qu'au temps de Mahomet, l'Asie occidentale, déjà éprouvée par le christianisme, reje- tait d'elle-même ses anciennes croyances, que le sen- timent de l'unité de Dieu rentrait de toutes parts dans le monde, que c'était là le cri des choses, il n'est certes pas impossible que Mahomet, saisi, obsédé plus que personne par cet instinct, ait cru sincèrement être l'écho de cette parole inarticulée, qui était au fond des événements et de toute l'histoire contemporaine. Ce n'est qu'un poète, disaient les tribus incrédules^ et elles ne se trompaient pas; seulement, la poésie était pour lui la vérité même. Il ne composait pas arbitrairement ses rhapsodies sacrées, comme Hor mère ; il était bien plutôt de la famille de ces rhap- sodes orientaux, hindoux, de Valmiki par exemple, qui écrivaient leurs épopées sous la dictée immé- diate de Dieu. Plus tard la politique se mêla évi-» demment àsa mission. Mais qu'il y ait eu un moment où l'inspiration poétique et la révélaliofi d'en haut LB MAHOMÉTISME. i7S S6 «oient confondues siDcèrement dans sa pensée, voilà uqe chose dont je ne puis douter. Un poëme, une épopée intérieure, prise d abord à la lettre, comme une réalité, par Tauteur lui même, et qui devient ainsi un culte, une religion, c'est dans son origine Tesprit de Fislamisme. Il faut un instant de vérité, un levier de sincérité à rbomme même pour déplacer un ver de terre; qu'est-ce donc pour remuer un monde! Toute la destinée du génie arabe, ces victoires de la foi, ces miracles de Tépée, ces conquêtes instan- tanées, ces cinq ou six siècles de grandeur, ce moade ^lendide qui s'étend de la Perse à l'Arabie, à l'Espagne, tout cela a vécu un moment enfermé en gerotô dans le cœur du Prophète. L'histoire de l'Orient moderne, avec toutes ses vicissitudes, n'est rien que la gmude Ame de M^met, déployée comme un drapeau de siècle eu siècle. Voltaire, dans sa tragédie, n'a vu que le politique; c'est commencer le drame où il finit, en cffeL II resterait une tnigédie bien plus sérieuse k composer, si l'on montrait dans le moment supr^e de l'inspi^ ration Mahomet partagé entre la poésie et la foi, as« sailli par sa propre pensée, qu'il ne connaît pas en- core, ne isachaAt si la voix qu'il ^tend au déasrt est i76 LE MAHOHÉTISME. la sienne, ou l'écho du Dieu de Moïse dans les ro- chers du Sinaï, si c'est le cri d'un homme ou le cri de rËternel, si, en un mot, il est un prophète ou s'il n'est qu'un poëte. Drame terrible dont l'histoire n'a point conservé do trace. Peut-être cette lutte a-t-elle rempli les quarante années obscures de la vie de Mahomet. Sitôt que sa vie publique commence, la tragédie s'arrête. Soit qu'il engage le combat comme une prière, soit qu'il prêche dans la chaire de la Mecque, vous ne trouvez pas en lui la marque d'un seul de ces combats intérieurs qui ont ébranlé jus- qu'au bout le prophète du Nord, Luther. Pas un moment de défaillance, de contradiction, d'incerti- tude. La poésie est devenue vérité, action; et comme il ne tolère pas la délibération chez les autres, il a commencé par se la rendre impossible à lui-même. Au seul point de vue politique, la différence entre le christianisme du moyen âge et l'islamisme est aisée à marquer. Le premier ajourne ses promesses après la mort, le second veut faire entrer, sans per- dre un jour, ses doctrines dans la constitution de la société civile et temporelle. Considérez un instant l'Orient moderne après Mahomet. Sitôt que Tunité de Dieu a remplacé les castes de dieux inégaux qui formaient l'idéal social de l'ancienne Asie, sitôt que LE MAHOMÉTISME. 177 la Révolution religieuse est consommée dans le dogme, quel changement apercevez-vous sur la terre? Partout où l'islamisme s'étend, les castes dis-. paraissent. Cette institution, qui était le droit indi- gène, indestructible de TÂsie, est abolie. L'idéal et la réalisation, ces deux moments séparés par dix- huit siècles dans notre Occident, ces deux périodes^ marquées pour nous par l'Ëvangile et par la Révo- lution française, se pressent et co-existent en Orient dans le même instant. Mahomet est tout ensemble la tète et le bras, le Christ et le Napoléon de l'Orient moderne; il établit le nouveau dogme religieux, et il le réalise inconti- nent dans le monde social. Vers le sixième siècle, voyez, depuis la Perse jus- qu'aux frontières d'Espagne, ces énormes inégalités sociale$,débris d'un passé quepersonne ne peut comp- ter ; ces nations, assises les unes sur les autres comme autant de cariatides ; ces distinctions immémoriales du laboureur, de l'artisan, du soldat ; ces classifica- tions désespérantes où le malheur enfante éternelle- ment le malheur ; cet édifice de servitude, où le prêtre seul est afiFranchi. Tout cela disparaît en une journée devant le cimeterre du dieu niveleur. Tan- dis que, dans notre Occident même ces inégalités ITt LE M AHOUÉriSAffi. s'appeàantisseot sur tout le moyen k^^ en Orient l'armée des croyants forme une société de frères ; et l'armée c'est le peuple* Tout soldat est prêtre du dieu des batailles. Ne cherchez plus pourquoi les conquêtes de l'isla- misme furent si rapides. Qui donc aurait pu ou voulu résister à l'autorité du dogme noiireau et à l'application instantanée qu'on en faisait? Consè*- quent avec lui-même, l'islamisme commençait par promettre l'égalité des droits sociaux aux peuples convertis. Comme le dieu de l'unité est le dieu de l'égalité, il offrait à toute la terre d'entrer sans combat, sans discussion, dans la communion de l'ë- pée. Un idéal qui se réalise dans le même moment, est ce que Ton n'avait encore jamais vu; Taffran- chissement civil suivait immédiatement l'afifranchis- sèment volontaire de l'idolâtrie. Le soldat-prêtre portait avec lui, non pas seulement un nouveati li-^ vre, mais un nouveau droit social. Il est visible qu'on ne peut rien comprendre au gé- nie de l'Orient moderne, si Voix ne remarque cette suppression du temps, celte simultanéité foudroyante l f de ridée et du fait, cette identité de la religion et de la politique, cet éclair qui illumine à la fois leciel et la terre, l'Église et l'État. Lés voyageurs s'étonnent LE MAHÔMÉTISMË. i7d de Findiffèrence apathique des Orientaux sur ce qui noua touche; j'ai pu moi-même observer, dans de graves circoDstances^ combien ils sont à peine ef- fleurés par le bruit de nos affaires. Mais, admettez que rOrient a rassemblé dans un moment ce que nous avons répandu à travers les siècles, qu'il a vécu en un jour de la vie de mille années, qu'il a eu tout ensemble, à la même époque, son Messie et son Contrat social, la prédication de ses apôtres etsa Révolution de 89, son concile de Nicée et sa bataille d'Ârcole, son Église primitive et son Assemblée constituante. Des hommes qui ont été frappés instantanément de cette double révélation dans le temporel et dans le spirituel, et comme in-« Yestis de tous côtés par l'intervention d'Allah dans l'Église etdansl'État, ont quelque droit d'affecter peu de curiosité pour nos agitations ordinaires. Voyant dans leur passé un moment unique sur la terre, ils dédaignent tout le reste. On ne s'aperçoit pas qu'ils remarquent très-bien que dans notre Occident l'Église dit une chose, et l'État une autre; ne pensez pas trouver ailleurs la cause principale de notre impuissance à nous les associer. Cette division les frappe comme une infé- riorité dé notre part; elle est, pour notre monde 180 LE mahomëtisme: chrétien, le défaut de la cuirasse. Les mahométaus ont atteint avant nous l'unité religieuse et sociale; nous leur offrons d'en déchoir pour entrer avec nous dans la contradiction. Comment accepteraient- ils rechange? cela est impossible. Cette simple idée nous permet de marquer, d'un mot; la question de l'islamisme qui n'est pas encore ^ posée. Nous l'attaquons par nos missionnaires ; effort parfaitement inutile ! les Orientaux savent comme / ' nous, que nous avons des doctrines, des théories, des ] I iilées,un Évangile. Ce qu'ils demandent, c'estlaraison ( ) pourquoi nous ne faisons rien de si belles théories. Tant que Ton se contentera de leur montrer un livre, ils ne tourneront pas même la tète de notre côté ; ils commenceront seulement à s'émouvoir, s'ils appren- nent, un jour, que cet idéal, ce livre est réalisé dans la . / vie, la constitution d'un peuple, et que le Coran de I l'Occident est appliqué comme celai de l'Orient; car, alors^ l'avantage qu'ils ont ou qu'ils croient avoir sur nous, ils l'auront vraiment perdu. Réconci- lier le mahométisme avec la grande association de l'humanité chrétienne, est-ce l'affaire d'un obscur prédicateur? Pour cela, il fautjun fait, le mira- cle d'un peuple, d'une société, qui montre enfin l'accord de l'idéal religieux et du droit social, de LE MAHOMËnSME^ 181 l'Église et de l'État, daos un esprit supérieur à celui du Coran. L'islamisme a le premier commencé à réaliser'le principe d'égalité ; reste à voir ce qu'il a fait de Tins* titution de la propriété. Si Ton conquiert le monde dans un but spirituel pour le rendre à son maître légitime, qu'en résulte*t-ilî que toute terre occupée par la victoire appartient à Dieu seul, que l'homme en a seulement Tusage et l'usufruit. Le mabomé- tisme ne recule pas devant cette conséquence; et si vous allez au fond du droit oriental sans vous laisser abuser par les apparences et les usurpations, vou9 trouvez ce fait extraordinaire que l'on commence à découvrir et que chaque jour met de plus en plus en lumière ^ : à savoir que les terres conquises par les musulmans n'ont point été, à l'origine, partagées ni tirées au sort, comme cela est arrivé chez les Francs et les Barbares de l'Occident. Elles sont restées la propriété inaliénable, de qui? d'Allah, du Vivant, de l'Éternel. ♦ Quelle clarté ce résultat jette sur l'histoire et la condition des personnes et des choses dans l'Orient moderne! Il s'ensuit que vous ne trouvez * V. De la constitiUion territoriale des pays musulmans^ par M. le D' Worms. Rswte de législatihn et de jurii^H^udmcef i, y. im UE HAHOHtnaiiE. là réellement point de grands pro{»*iétaire8 foà-» ciers; que ceux qui se parent de ce nom ont usurpé un titre qu'on ne pouvait leur céder, puisqu'il n'ap- partenait k personne; qu'ils ne sont rien que des dé* positaires, des détenteurs des biens de rÊterneL Par là je m'explique un point vraiment incompré-* hensible auparavant, qui est la mobilité arbitraire^ l'incertitude de la propriété dans la société mabomé^ tane. Le visir, le délégué de Dieu enlève comme il lui platt à chacun ses domaines; de riche, il le fait pauvre en un moment; et ces caprices, non de la fortune, mais du chef de l'Étal, forment, pour ainsi parler, le fond des institutions. Le pacha d*£gypte vient de déposséder ses sujets. C'est une fantaisie, dites-vous, une confiscation. D'accord; mais quand une fantaisie dure depuis un millier d'années sans contestation, elle repose sur un fondemeilt inébranlable. Ce fondement, vous venez de le voir : la terre étant à Dieu, l'homme n'a que l'usufruit, sans le droit d'hérédité. Le calife qui lui ôte son domaine ne fait que rendre à Allah ce qui n'a pas cessé d'appartenir à Allah ! ^ Malgré cette rigueur de logique, il est deux points sur lesquels l'islamisme a cédé devant la tradition de l'Orient antique; les femmes et l'esclave ont ern- LE MAMOMËTISMÊ. 18S barrasse Mahomet. Ce n'est pas qu'il n'ait profonde^ ment changé l'institution de la famille patriarcale; fl l'a si bien altérée qu'il l'a, pour ainsi dire, dé- truite. Comme il n'y a plus, sur la terre, de peuple élu, il n'y a plus, dans l'État, de familles privilégiées. Dans le droit de succession *, plus de droit d'aînesse, l'égalité entre tous les membres, le principe de notre Code civil, appliqué dès le septième siècle. Chaque race humaine se perd dans le grand peuple d'Allah ; chaque famille privée, dans la famille musulmane. Au milieu de cette révolution, que devient la con- ; dition des femmes? Mahomet commence par les i dépouiller dans le dogme. Allah n'a point de pa- \ rents, point de fils, point de famille; pour la • première fois, les femmes, devenues orphelines, ^ n'ont point de mères dans le ciel. 11 n'y a pas, ' dans le firmament de l'islamisme, une vierge, une ■: madone, qui leur serve, à la fois, de protection . et d'idéal. Rien de plus extraordinaire que la • violence avec laquelle Mahomet repousse l'image des anges aux traits de femme ; il veut évidem- ment extirper l'idée du sexe, dans sa Ihéodicée. Après y avoir bien réfléchi, je reste convaincu que celte inflexibilité du réformateur a été toute systé- * V. Ganz, Erbrecht, t. II, p. 175, m LE HAHOMÉTISME. matique ; elle vient de la nature même de ridolàtrie qu'il avait à combattre. Où faisait-il sa révolution religieuse? Ne l'oubliez pas. C'était dans le lieu, dans la race même ou la nature avait été presque toujours divinisée sous la figure d'une femme. Ne vivait-il pas au milieu des vestiges partout renaissants, de la grande Déesse, Âstarté, Alilab, qui enivrait la terre, depuis Babylone jusqu'à la Phénicieî N'était-ce pas là que plus d'un roi hébreu avait marié Âstarté à Jehovah? Pour renverser d'avance cette alliance im- pie, en extirpant dans sa racine le principe tou- jours renaissant de l'idolâtrie indigène, Maho- met repousse obstinément tout ce qui tient de la femme, dans la constitution de son Dieu. Aux lieux mêmes où avec Sémiramis, Artémise, Cléopàtre, Athalie, Zénobie, les femmes avaient ré- gné tant de fois, Mahomet les découronne dans le dogme; elles restent aussitôt dècouronnées dans l'État; il leur ôte, au même moment, leur droit de souveraineté, dans le ciel et sur la terre. Pour l'esclave, il en est autrement; le système n'obligeant à rien, la loi de Mahomet retrouve ici son équité naturelle. L'esclave n'est plus cette chose sans nom qui faisait le fond de la vieille société. Qu'il soit croyant, il entre dans l'association, il peut LE MAHOMÉTISME. m atteindre à tout, à la famille, à l'État, au gouverne- ment même. Tel était esclave hier, qui est aujour- d'hui chef d'armées, bey, émir, sultan ; sur cette rapide transformation repose en partie la poésie des Mille et une Nuits. Mais, je veux montrer quelque chose de plus parlant que tout le reste. Rappelez- vous de quelle manière l'Egypte a été gouvernée depuis le moyen âge jusqu'à l'expédition de Napo- léon. Tout nourris que vous êtes dans l'esprit d'éga- lité, vous n'inventeriez rien de semblable. L'Egypte était gouvernée par les mamelouks, c'est-à-dire, par. des esclaves achetés sur les marchés de Circassie. Nul n'entre dans cette classe privilégiée, s'il n'a passé par la dignité de Vesclavage. C'est là son titre de noblesse. Ainsi, il y a au monde une société ré- gulièrement instituée, dans laquelle le gouverne- ment appartient à une dynastie d'esclaves, légiti- mement, par droit de servitude ; et cet établisse- ment dure des siècles. Imaginez-vous rien déplus radicalement contraire à l'ancien Orient et au principe des castes? le dieu de l'islamisme n'apas émancipé l'esclave; il l'a conservé, il l'a adopté, il l'a épousé, il a fini par le couronner. Aussi simple que sa doctrine, la mission de Ma- homet est de fermer pour toujours à l'Asie le retour iSa LE MAHOMÉTISHE. vers le culte de la nature. Entre TOrient antique et rOrient moderne, il place le cimeterre; nul ne ren- trera vivant dans le passé ; telle est sa première loi. Le christianisme, sorti de sa simplicité primitive^ était devenu une doctrine trop composée pour 09 pas $e dénaturer dans les esprits des Orientaux* Aussi, du cinquième au sixième siècle, l'Asie se mér prenant constamment sur la plupart des symboles catholiques, les interprète dans le sens de son paga;» qisme indigène. L'Orient baptisé menace de rentrer presque aussitôt dans son ancien système, auquel il donne seulement un qom nouveau. Mahomet voit ]& danger ci il délivre pour jamais le monde de ce paa<^ théisme matérialiste qui renaissait de toutes parts sons la forme dçs hérésies du christianisme asiatique* Il fait comme un hommç qui, menacé par TiiK cendie dans \fi temple, renverse en toute hàbi les murailles, les péristyles, afin de sauv^ au moii^ le sanctuaire. Il tranche au vif dans la traditi^ universelle; il rejette à pleines mains les croyas- ces pour en garder une seule. Avec une sorte de fu* reur, il s'acharne sur tout le reste; et le poiot foa** damental qu'il veut sauver est si bien dimsi, que peraipoe m monde ne pourra jamais ie loi 4^^- t^« Af^ cette œuvr« toirible^ l'Asie déconcertée UE MÂHOMÊTISMË. 187 est traosporiée hors de sa nature, de son tampéra-^ Boeot, de son histoire, dans un chemin opposé àce*^ lui qu'elle avait suivi jusque-là. Dépaysée, elle cherche vainement l'ancien sentier. Le Prophète Ta arrachée àses fondements; en la ramenant au dés^rt^ il Ta comme égarée dans Tample sein d'Allah. Dé«« sormais, eHe lui appartient aveuglémenl ; après avoif effîicé chez elte la mémoire du passé, il peut $eul la conduire; et (j'allais oublier ce dernier trait), sa i^ forme est si radicale, dès le commencement^ qu'elle rend, en quelque sorte, toute réforme impossible dans l'avenir ; le Moïse arabe est aussi son Messie. Â{^l«iuez ces idées à la p(ditique, vous en verres Battre aussitôt Timmutabilité de la société musul>* mane. Ordinairraient, on cherche la cause decetts invariabilité dans la doctrine de la fatalité et de la rés^nation ', tsêmme si la &talitâ avait été êjùx Crocs anciens la pui^ance d'agir, comme si oe principe dans îsa force avait empêché les Âi^abes de courir d'an bout de la terre à l'autre, comme si enfin U, résignation & la volonté d'en haut n'étatt; pas aussi en partie le dogme du christianisme» Le vrai estqu» la force de l'Islam a été toute renfermée dans sa pre>^ mière époque; jeté te)rs du temps, il s'est épuisé bientôt^ parce qu'il ûe s'est pt» teuiDirveli par la 18» LE MÀHOMÉTISME. tradition. Comparez-le aux autres religions. Elles vivent dans le temps, elles acquièrent par les an- nées, elles s'accroissent, elles se transforment, et, grandissant toujours , elles font grandir la société avec elles. La plus immobile en apparence, la loi de Moïse, n'est pas si bien scellée par son auteur, qu'elle ne se développe de siècle en siècle, comme une espérance, un héritage qui s'accrdt par les lé- vites et la suite des prophètes; et ce mouvement in- térieur de rame religieuse se communique à la vie civile et politique. Il en est de même du christianime. Le livre fondamental, TËvangile, est développé, in- terprété par les épitres, les épitres par les pères de l'Église, puis par les conciles, par l'Église, par les docteurs, par la réformation qui ravive le catholi- cisme lui-même ; et cette pulsation intérieure, ce grand cœur du Christ qui ne cesse de battre, répand une vie toujours nouvelle dans le corps social. Mais dans l'islamisme, rien de semblable. La tradi* tion religieuse ne s'y augmente pas ; elle est entière, dès le début, dans les pages du Coran. Luttes, angois- ses, espérances des générations nouvelles, tout passe sans ajouter un mot à la révélation. Les génératicMQS se succèdent inutiles les unes aux autres, puisque leur expérience religieuse est perdue; les prières LE MAHOMÉllSME. 189 des siècles ne s'ajoutent pas aux prières; nul pro- phète n'est attendu. Par l'énergie native de son d(^me, la civilisation orientale fait explosion spon- tanémenty dans un essor lyrique, comme une ode, un hymne du Prophète, depuis les frontières de l'Inde jusqu'à celles de la France ; mais la source de l'islamisme ne se ravivant pas, ses conséquences so- ciales ont bientôt tari. Tout ce qu'il a pu faire a été de garder les positions qu'il avait prises dans le monde, sans les mettre à profit. Aujourd'hui, cette société immobile marque la place d'un dogme qui n'a pas reçu une idée depuis douze siècles. Comment rendre la vie à ce dogme tari sous le sable? Quelques personnes annoncent la venue d'un Luther musulman. Mais y a-t-on bien songé, et rOrient tout seul peut-il se^ rajeunir lui-même? que réformerait le protestantisme musulman? L'Église? il n'y a pas d'Église ; la hiérarchie? il n'y a pas de hiérarchie; la tradition sacerdotale? il n'y a point de tradition du clergé. Où est la Rome de l'isla- misme? est-ce la Mecque on Médine? Je vois dans Médine le tombeau du Prophète; je ne vois point de Vatican. Telle est donc la condition de cette re- ligion, qu'au premier coup d'œil elle semble ne pou- voir ni se développer en restant ce qu'elle est, ni s<î 16 «90 LE MABOm^TiSME. léSormBT profondément sans dispaurattre ; et lagmsr deiir de Mahomet est d'avoir usurpé et (Utoi4'4'tr* WQce toutes les ré% olutioos de l'avenir, au poÎBti 4b vue arabeu D'acctre part, qui portera en Orient la prinàfe de la vie nouvelle de l'Occident? qui nous réooQCÎH liera avec^ là moitié du monde civilisé Test-ce l'ËgUaB romaine qui terminera la. guerre entre l'Évangile et le Coran? Sont-ce les honunes du moyen 1^? dn moins, s'il vivaient encore I Mais, oà est respoiv, que sans recevoir aucun esprit nouveau, Qofape clergé fasse.de nos jours ce qu'il n'a pua^ectfnpHr dans l'élan de la foi des croisades ! Le miracle de la robe de Trêves fera-t-il ce que n'a pas censonuné le mi racle de la voix de saint Bernard? Aome dùidh même ne croit plus devenir la maltresse de la Mec- que ; ety pourtant, il faut que l'alliance se reneu»- velle : la terre et les cieux y travaillent. Que l'on explique pourquoi l'opinion a maintenti la France en Algérie, malgré tant de vôlQilté& conn traires. Si ce fut hasard, obstination ou plutôt près* sentiment, qui peut le dire? Pourquoi tant de pik* tience à ne recueillir jusqu'à ce moment rien qoe des sueurs et du sang? n'y a-t-il au bout de crttie mission, rien que du sable? Conquête étrange, qui LE MAHOMÉTISME. 491 entraîne, qui appelle, peu à peu, chaque jour, le conquérant plus avant dans le désert. Puisqu'un instinct secret Ty appelle, que la France s'y engage, sans crainte, dans sa conquête de sable, dans ces déserts où Moïse, le Christ, Mahomet, ont trois fois puisé la vie de l'univers. Elle aussi, peut-êtpe, en- tendra quelque enseignement éternel sortir de la fente des rochers. Qui jurerait qu'elle ne trouvera pas, à la fin, quelque grande loi écrite sur la pierre d'un nouveau Sinaï! Un peuple prophète, qui, au- devant deious les autres, s'en va à l'écart, à la source de toute inspiration religieuse et sociale : voilà ce que nous voyons. La France ne fait qu'ap- paraître au seuil des mosquées; et déjà s'explique l'énigme de cette tradition populaire des Orientaux qui veut que le Christ transfiguré devienne le der- nier calife de l'islamisme. HUITIÈME LEÇON, L^Ëglise catholique adopte dans les croisades le principe de T islamisme'. Textermination. — Que le Ciuist n*a pas combattu Mahomet. — Gomment on peut juger si une gu^orre se fait dans un esprit chré- tien. — Les guerres de la Révolution ûuuçaise comparées à celles des croisades. — Lesquelles sont les plus chrétiennes ?~^ Le catho- licisme et rislamisme en Europe. — Mission de TEspagne ; elle épouse, malgré elle, dans la religion, le génie arabe; — Que conclure de Timpuissance du catholicisme à se reconcilier TOrient T -^ Napoléon en Egypte. — Où est le .secret de la puissance Future de rSurope sur TAsie ? 16 HUITIÈME LEÇON. Ll CORAN ET L'EVANGILi. hÈÊÊà 6 t En commentaHt rislamisme^ nous avoDs pris un cœur arabe, Pour acquérir le droit di3 parler des destinées d'upe race d'hommes^ il faut, un instant du moins, pouvoir vivre de sa vie ; nous avons dû parler comme si l'âme musulmane nous entendait. l'Église du moyen âge n'a cessé de mettre aux prises l'Europe et l'Asie; ces deux moitiés du monde ne se connaissent encore que par la haine. N'est-il pas teipps, après une si longue exécration, d'éprouver quelque fonds d'^itié ppur des ennemis de douze cents ans? 196 LE CORAN On répète chaque jour que rÉvangile et le Co- ran sont aux prises depuis les croisades : rien dans le fait n'est moins exact. Quelle est la solution que l'Église a donnée à ce divorce de deux grandes races humaines? l'extermination^; est-ce là un mot de l'Ëvangile? Il ne parait pas que Rome ait entrevu une autre issue. Ëcoutez les terribles cris de guerre de la pa- pautéy au temps d'Urbain II, de Pascal II; vous serez frappés d'une ressemblance extraordinaire dans l'accent des deux religions rivales. Le génie de la haine a passé du Coran dans la papauté. Même ar- deur de combats, de vengeance; dans l'une et dans l'autre, c'est le Dieu de l'Ancien Testament qui parle. Mais celui du Nouveau , qu'est-il devenu? il est tel de ces manifestes de guerre du Saint-Siège, empourprés de sang, purpuraii sanguine^ qui semble uue page arrachée du livre de colère de Mahomet. Bans ces cris de bataille, où est la magnanimité après la victoire? où est la douceur, où est l'amour chrétien qui s'insinue jusque dans la haine? Ne de- mandez pas aux proclamations des papes ces senti- ments nouveaux ; la trace même en a disparu. Le mo- bile de la guerre sacrée est le même chez les croisés ^ H»reticos, bon& fide pro viribus extenninare» Goac< AreL ET L'ÉVANGILE. 497 et les mahométans^ Tabsolution de tous les crimes. C'e^t assez dire que dans cette grande lutte entre deux mondes, TÊglise, se plaçant sur le terrain de soA adversaire, sur celui de TAncien Testament, descend des hauteurs de rÊvangUe et perd ainsi sa supériorité avec son inviolabilité ; elle prend les armes qu'on lui oppose, sans y ajouter celles qu'a forgées l'esprit nouveau. Elle frappe avec une colère musulmane; mais dans cette colère, jamais un instant de douceur, de pitié , de sympathie ca- diée, d'attendrissement pour son ennemi. Elle le hait d'une haine biblique, elle ne le domine pas. Si Jehovah est son allié, il est aussi celui de l'is- lamisme. Armés du même génie, plies sous les mêmes passions, le catholicisme du moyen âge et l'islamisme ne pouvaient absolument rien l'un sur l'autre : la position prise par l'Église était mauvaise en soi , puisqu'elle opposait à l'Orient le Dieu antique, implacable, qu'il portait lui-même dans son sein ; les batailles stériles ne produisaient que du sang. Entre des forces de même nature, l'esprit du Christ aurait seul pu décider la victoire ; mais cet esprit, où a-t-il paru en face du Coran? Autant le christianisme a été puissant par l'amour, autant il a été impuissant parla haine. Dans la pre* igg LE CORAN mière Église, je vois souvent les Barbares apprivoi- sés par la prière tf un solitaire. Un sentiment sur- humain les subjugue; et ces maîtres nouveaux dé rOccldent semblent tout conquérir pour tout céder. Dans le onzième et le douzième siècles, au contraire^ l'Ëglise prend les instincts de la guerre, elle se couvre d'une cuirasse ; elle se Charge des malédic- tions dé Tancienne loi. Rivalisant de ftireur Met le Coran, elle fait rouler des fleuves de fer; et tant de haines, tant de menaces n'aboutissent pas même à la remettre en possession du tombeau de son Dieu. Le Christ de Golgotha n'a pas voulu être afilranchi par la haine. En réalité, quel moyen spirituel FËglise a-t-elle employé pour dominer l'islamisme? quel livré ep- pôsait'On à ce livre tout nouvellement sorti des cieux du Prophète? on ne combattait pas la simplicité du Coran par la simplicité de l'Ëvadgile. Au contraire; à des hommes que l'unité nue de Dieu jetait dans lê ravissement, l'Église du moyen âge ne présentait que chaos de doctrines, échafaudage de rites, de litui^ies, de traditions. Si le Christ tout seul eût éclaté dans l'É^ vangile, peut-être eussent-ils reconnu ce langage ; car . eux-mêmes pensaient venir accomplir son œuvre ; au lieu que ce( esprit, enseveli soti$ les formés dé H ET L'ÉVANGILE. IM feraditiOD d'Ooddent, ne disait plus rien àdes hom^r mes du désert. L'Église colossale leur cachait lérai dt Galilée; plus elle accumulait de doctrines, plus elle était impuissante contre eux. Simplicité, d^uM pfirt, compoiâtion, de l'autre; dans cette voie, oh^^ que jour créait une impossibilité. Il ne restait qu'à se détruire violemment l'un ou l'autre, sans €Ësôuision ; en sorte qu'après ces longues guerres, oft l^Saînt-Siége a été quelquefois vaincu par l'islai- misme^ il est vnû de dire que l'esprit du Christ n'a jUts encore réellement combattu Mahomet. Youlez^vous juger si une guerre est entreprise dans un esprit vraiment chrétien? il est pour cela tm moyen infaillible, c'est de voir si la guerre pro- âtemème aux ennemis. Pour qu'une bataille soit livrée sous le pur drapeau de l'Évangile, il est nécessaire que chaque coup porte tû qqelque sorte sa guèrison, et que la réconciliation, TalUance entre les races humaines naissent de leurs ahocs. Sur ce principe, mesures l'esprit religieux des guerres du moyen âge entre le catholicisme et l'isla- misme. De quel avantage ont'-elles été pour lasociété nusulmane? quel nouveau principe de grandeur ont^- elTea fait pénétrer dws son cœur, avec le fer des bar {ailles? je vois bieii en Oriwt les peuples diminués» 900 LE CORAN le désert augmenté ; je cherche vaioement où sont les idées éyangéliques qui ontgermé dansce sol pétri de sang. L'occupation de l'épée a Tait oublier de se- mer la parole. Avec les croisés, TAme chrétienne a- t-elle pénétré dans les larges brèches Eûtes à l'O- rient? Nullement. Lorsqu'enfin^ l'Europe et TA^e^ lasses de ne pouvoir rien l'une sur lautre, viennent à s'arrêter, j'ai beau demander où est le traité d'al- liance ; il n'y en a pas. Ces deux Églises, le catholi- cisme et l'islamisme, demeurent à la même place, harassées, découragées, n'ayant plus que la force de se haïr, sans avoir conservé l'espérance de s'anéan- tir Tune ou l'autre. Ajoutez que de ce moment le doute commence à entrer an cœur de la catholicité. Les peuples avaient quitté leurs chaumières, avec la persuasion que l'Église, en se montrant, dissiperait le dieu de Ma^ homet. On allait au-devant d'un miracle, plutôt qu'au-devant d'une bataille. Les enfants mêmes chasseraient d'un regard ces troupesj de musulmans. Mais dans le chemin où les yeux apercevaient à l'is- sue l'extermination d'une race d'hommes, il n'y avait qu'une chose qui restait oubliée ; c'est celle qui fait les prodiges du christianisme, je veux dire l'a- mour pour ceux qu'on va combattre. Lorsqu'arrivés ET l/ÉVANGILE. 204 en face du sépulcre, personne ne vit sortir les anges gardiens ni la terre s'émouvoir, et qu'au contraire, il fallut peu à peu se retirer devant Tlslam, un premier sentiment d'étonnement change l'esprit des croisés. Ceux qui revinrent en Europe reparurent tout différents. C'était le premier mécompte dans le catholicisme. Le prestige inviolable était perdu; dé- sormais, rÉglise^ que l'on n'avait pas osé regarder en face, est examinée ; le soupçon s'éveille ; elle a montré visiblement son impuissance et ses limites. Le monde commence à entrevoir qu'elle n'a pas com- battu avec les pures armes du Christ; depuis ce jour, jusqu'à la réforme, sa défaillance ne s'arrête plus. Il y a un demi-siècle, d'autres croisades sont sor- ties de la France; et l'on a vu précisément, pour la première fois, le caractère que je ne trouve pas dans celles du moyen âge : des hommes qui courent aux armes sans aucune haine pour les peuples qu'on leur oppose. Est*ce l'extermination de leurs ennemis que demandent ees premiers croisés de la République? C'est l'affranchissement, l'élévation morale de leurs adversaires; ils veulent se réconcilier avec eux dans un principe plus haut que celui du passé. Voilà la grandeur de ces premières et saintes guerres de la Révolution française, enthousiasme pur et vraiment •M LEGOAAN ebrétien pour ralliaace des peuples 1 Gombato à ou- trauce saus le moÎDdre levaia des anciennes haipes bibliques ! Le volantaire, redisons le mot^ le CFoiaé de Fan III^ de Tan lY, de l'an Y haïssait-il jusque )'e3^écration l'Italie, rAllemi^ne^ la Pologne» TEs-^ liagne? Il aimait ceui( qu'il allait rwoantrer sur le ebamp de bataille; il portait avec lui une idée et nm épée^ le soir du combat, sous chaque chaumière^ il prêchait sa croyance ; il voulait vaincre pour faire DVrtager au reste du monde son héritage moral. Aussi, les deux armées, encore humides de sa^, pleuraient également aui funérailles de Marceau sur les deux rives du Rhin. Entrez, par delà nos frontières, «Uins les caba- ne» des paysans étranger^. Yous y trouvères la mémoire vivante de ces hommes qui, tout ennemis qu'ils étaient, apportaient avec eux le nouvel e»*- prit d'alliance; on vous dira le jour, l'heure de l'arrivée, les paroles qu'ils ont répétées, et qui ont germé dans une famille, dans un hameau, daûs une ville. En*échange du morceau de pain qu'on lui donnait, chacun d'eux rendait à son hôte une idée, un sentiment nouveau, une révolution religieuse et aociale. Lesquels, suivant vous, étaient les pluschré^ tiens, ou les croisés du omûème siècle, qui pillaient ET L'ÉVANGILE. SdS et dépeuplaient en une nuit Constantinople, Ântiô-* chc, Jérusalem, ou les croisés de Hoche, de Klébei*, de Marceau, de Joubert, de Desaix, de Bonaparte, qui, dans la riche Italie, dans l'heureuse vallée du Rhin, oubliaient le boire et le manger pour appren-- drè aux enfants le nom de la République française T De quel côté était Vévangile guerrier? Était-ce sous la cuirasse des seigneurs léodaux , qui voulaient s'arrêter à chaque endroit pour se faire Une princi- pauté, ou sous l'habit bleu des hommes de Sambre- et-Meuse et de l'armée d'Italie? Pour que cela devienne plus clair, voyez un peu la suite. Quand les guerres du moyen âgô sont aohe<^ vées, l'Europe et l'Orient relent ennemis; leur haine s'est accrue. Au contraire, sitôt que ces im- menses guerres de 93 à 1815 sont parvenues au terme, il arrive que l'alliance est accomplie , qu# la pensée de la France est entrée , debout, dans la moindre chaumière. L'amitié des peuples, qui n^existait pas auparavant, se forme dans cette ba- taille d'un demi-siècle. Chaque coup que se portent les nations profite aussitôt à, celle qui le reçoit. Là, pas un combat stérile; Tépèe laboure et ense-^ menée le monde. Sur chacun de ses chiunps de ba-^ taille s'exhale l'âme de la France ; à peine a^-t^lle 204 LE CORAN fait une blessure qu'elle y répand son esprit pour la guérir. Elle abandonne au prisonnier le meilleur du butin, une pensée, une idée qui germe dans son sang. Guerre toute nouvelle , qui profite presque toujours au vaincu plus qu'au vainqueur! C'est r Autriche qui profile de Rivoli; l'Egypte, d'Hélio- polis ; Rome, de Marengo ; la Bavière» de Hohen- linden; l'Espagne, de Somo-Sierra; la Prusse, d'Iéna; la Russie, de la Moskowa. Et pour iichever de donner à ces guerres une mar- que que n'eurent jamais les croisades du moyen âge, il faut encoreajouter ceci : tous ces peuples haletants qui rentrent dans leurs foyers relèvent des mêmes champs de bataille un même nom, une même figure, autour de laquelle ils se groupent en cherchant l'ave- nir ; ils se font tous un même héros, Napoléon. De tant de haines apparentes, de la poussière de tant de combats s'élèye cette figure comme la représenta- tion vivante de l'alliance dans la pensée de la France. Chacun de ces peuples, et dans ces peuples cha- que individu emporte silencieusement sous son toit la même image ; il la considère et l'interprète à sa manière. L'Arabe d'Aboukir, l'Italien catholique, l'Allemand protestant, le Slave, le Grec moderne, s'élèvent vers le même héros ; en sorte que les cent ET L'ÉVANGILE. 205 batailles qui font la couronne du dix*neuyiëme siècle aboutissent de toutes parts à l'unité des ennemis, à Talliance des Églises, à la réconciliation, c'est-à- dire à l'accomplissement du christianisme. Rien de pareil ne peut être dit des croisades du moyen âge. Un pays semblait être appelé plus qu'un autre à commencer l'alliance entre la société musulmane et la société chrétienne. En les voyant renfermées en Espagne, à côté Tune de l'autre, pendant huit cents ans, qui n'eût cru que l'Europe et l'Orient étaient mis là en présence pour apprendre à s'asso- cier? Mais là aussi, l'extermination fut la seule loi qui s'établit entre l'un et l'autre. En vain l'islamisme, refoulé de siècle en siècle, de lieux en lieux, de To- lède à Cordoue, de Cordoue à Séville, de Séville à Grenade, avait-il fini par se réduire à quelques crêtes inhabitées; il ne demandait qu'à s'associer à l'Es- pagne par le travail, en défrichant des lieux déserts. Cette terre elle-même, moitié Afrique, moitié Eu- rope, ces gorges sauvages, ces rochers tigrés de bruyère, ces paysages de Syrie qui enveloppent les plaines de Grenade, cette imitation, ce souvenir du désert jusqu'aux portes des villes, tout cela n'an- nonçait-il pas un lieu fait pour célébrer la ré- conciliation des races d'Ismaël et de Jacob? Malgré ffi6 LE GORAN t«ttt 4e ùgem, le peuple espapol n'a ji^owi voi^u «dmettre l'idée d'une aHiance : il 4 déclaré (fae le oathoUoisme et l'islamisme ne peuvent respirer te même air. Avec un orgueil tout biblique, il a ipieux aimé laisser une partie de la terre en fricbe, que de la voir cultivée à son profit par des fils soumis de l'Islam^ ne voulant des Orientaux ni pour amis ai pour sujets. Jusqu'au milieu, des frimas de la Sierra-Nevada, il est allé chercher quelques restes de tribus pour les jeter h la mer. L'année dernière, j'ai assisté à la fête où l'Anda- lousie célèbre la fuite du roi Boabdil.  entendre cette cloche de FÂlhambra qui faisait dès la veille éclater sa joie sur toute la plaine; à voir les multitudes qui arrivant dès le soleil, couvraient les montagnes, et au bruit des instruments débordaient . dans les ga- leries des rois maures, trépignaient d'enthousiasme dans la tour de la Captive, dans la salle des Aben- ç€frrage$, sous les voûtes du Généralife, il semblait que la fuite des Maures datait d'hier, que FAlbam- bra était au pillage, et que ces cris, ces danses, ces chants, cette ivresse de Vàme étaient qn nouveau défi jeté du fond du palais arabe au génie encore loe- naçwit de Vi&lamisme. Car ç'e^t l'wiginalité de l'Espegoe, qq'avee cette ET i*ÉVAl«<ÎILE, m faôfreur sainte du génie znhe, elle ne peut s^en serrer. Elle l'a chassé il y a trois siécle^^ il ësft encore là, debout et vivant dans son cœur; elle le hait, et il court dans ses veines. Elle abhottb Mahomet ; et son Dieu, tel qu'elle Ta fait, a toutes lëà passions^ toutes les rancunes du dieu du Gorati. elle déteste TArabie, et l'Arabie s'attache à ses flanCs comme une tunique. Telle est donc la condition de ce peuple, pendaflt huit siècles, de haïr toujours le génie qu'elle imite et épouse à son insu. Si le peuple espagnol ouvre là bouche, dès son premier mot vous sentez qu'il a ftiêlé malgré lui le verbe de l'Afrique et le verbe de l^Europe. L'âme de l'Occident et celle de l'Orient se sont mariées, quoi qu'il ait fait, dans cette langue es- pagnole, qui est tout à la fois un écho de Rome et tin écho de la Mecque? Veut-il se construire une églîàfe du Christ, il marie, dans Séville, la cathédrale go*- thique au minaret de laMeeque* Si je pénètre dans le sanctuaire, je vois, parmi les reliques, des têtes qui paraissent fraîchement coupées, comme on en ren- contre au désert, auprès d'un cbampde bataille. N'esi- ce pas là le rite d' une communion africaine? eélè^ bre-t-il une fête chrétienne, les taureaux s'élanceiit dans le cirque, avec les banderiUea des Mifurei« 908 LE CORAN Yeut-il convertir le Nouveau-Monde à rÉvangile^ il emprunte à l'islamisme son cimeterre^ pour décapiter d'un seul coup toute la race américaine. Enfin, c'est surtout dans la poésie que cette alliance involontaire est profondément scellée. Au moment où Calde- ron rallume toutes les colères de l'Espagne contre le génie de l'islamisme, et se croit le plus chré- tien , il s'élance à un mysticisme tout semblable à celui des poètes persans ou arabes; il célèbre le Christ avec une violence musulmane. Dans ses piè- ces consacrées aux auto-da-fé, n'est-il pas évi- dent qu'il est plus près du génie du Coran que du génie de l'Ëvangile? tant il est vrai, que le caractère de l'Espagne est d'épouser malgré elle l'àme de r Orient, et de se débattre incessamment contre ces noces odieuses. Elle est là, pour montrer une pre- mière ébauche d alliance dans l'imagination et le rêve; mais il faut que d'autres achèvent l'é- bauche, et que le rêve se consomme dans la réalité. Une chose résulte de tout ce qui précède. Douze cents ans ont été donnés à l'Ëglise du moyen âge pour trancher les difficultés de l'islamisme; elle a été impuissante à les résoudre, n'ayant su ni exter- miner, ni ramener le monde orientaU Pourtant, ET UÉT&H6ILE. rOrieiit et FOcieiiiœt tmieùty êms leurs luttes^ m même hvà^ at«c la même tiolenoe^ l'an dt Taiittv voulaiefit Fanité promise par les prophète^;, (}uî miÈL le fotidemeiil de leur double lou De plusy ih a?iîe et la môme force m trouve paralysée par son contraire. £e cette impuissance de rÊglise iû moyen âge à fMda* FaSiance des races humaines^ il faut bieil qu'ii sorte un ens^gnemeni On ne peut yécliapperi il^date d8 lui^H|ôme; C'est la nècesaitê de renôMer oii aux pncfflieiffies de laBtble ou à la politique de r&« glise qm ne peut les accomplir. Je ne saurais garder l'une et F«i^e; voilà qui est évident* Laquelle de CÊ^ deux dioses abandonnerai-je, ou FAncko Teii^ tnaent, apâ marque d'avance le tmt^ de paix^ on FigUse du moyen àge^ qui^ lasie des ôroiBadés^ ne prat plus faire ni la paix ni k guerre? Encore uxid feis^ c'éât là en tonte sincérité k situation. /islÉe pm iMteneer; wr tes ssoniBÂte onl uéi 17 310 LE CORAN grandeur qui n'a pas été surpassée depuis dix-huit siècles. La première explosion du christianisme a réconcilié la race germanique et la race romaiue; elle leur a donné la même conscience. Aujourd'hui^ il s'agit de réconcilier des mondes plus séparés en- core^ le monde arabe^ persan^ indien^ avecl'Europe. Au fond, cette tâche sacrée parle au génie de tous les peuples d'Occident; c'est pour cela que le paysan de Moscou veut toucher Constantinople^ que l'Angleterre est à Pondichéry, qu'hier nous étions en Egypte^ qu'aujourd'hui nous sommes à Alger. Dans ce vaste rendez-vous, il semble que ces trois peuples, comme les rois MageS; vont au- devant d'un grand inconnu, du berceau d'un droit nouveau qui doit tout apaiser. Lequel verra le pre- mier l'étoile? Celui qui s'élèvera le premier au-des- sus de l'idéal du passé. La terreur catholique n'a rien pu contre la terreur musulmane; l'enfer d'oc-^ cident s'est rué sur l'enfer d'orient ; ils se sont désar^ mes l'un par l'autre. Après tant de combats, reste ^ encore à assiéger l'islamisme par le principe qu'il ne possède pas. Il ne suflGit plus de combattre du haut de l'Église catholique^ il faut lutter du haut de l'esprit chrétien. Qui sait ce que pourrait sur l'Asie le Christ tout à coup reparaissant en réalité, au désert^ ET L'ÉVANGILE. 211 dànsUesprit, dans la loi et les actions d'un grand peuple? Napoléon, en racontant la campagne d'Egypte, s'arrête à un fait qui donne en partie Texplication de sa puissaqce sur Fima^ination orientale. Un jour qu'il était entouré du divan des grands scheicks, on l'informe que des Arabes viennent de tuer un fellah et d'enlever son troupeau ; il s'indigne; il envoie trois cents cavaliers châtier les coupables. Étonné de cette sympathie pour un étranger, et de ce grand nom- bre d'hommes qui s'ébranlent pour la cause d'un mi- sérable, le scheick s'écrie : « Est-ce que ce fellah est ton parent, pouf que tu te mettes tant en colère? — Oui, répondit Napoléon; tous ceux que jecommande sont mes enfants. — Ah ! dit le scheick, en se pro- sternant, tu parles là comme le Prophète ! » Ce fut un court moment où le génie musulman se sen- tit subjugué par le génie de l'Évangile. Qui fut cause qucxces hommes du désert plièrent en cet in- stant devant le représentant de l'Europe ? une pa- role vraiment religieuse, réalisée par un bras puis- sant. Si Napoléon se fût contenté de disserter sur la 'charité, la solidarité prêchée par les apôtres, il n'eût rien appris aux Orientaux; mais cette pensée de l'Évangile^ éclatant spontanément dans uo(3 action, •It l£ COIUN hriUvtpQureiixooinin» un laogaga saoréu tïmàà^ ce mot A la politique entière, vous avez le seervt dp te ]^is$aiio9 fntpro de rSincope wp rOiietit Dans le fbod, de quoi s'ogit-U? de prouver à l^à» qu($ Teiprit de Dieu s'est fait ehair. Pour eela, je île vois d'autre moyep que de lui tPOQtrer des pensées divines sous des actions huntunes, Y oos voule^^eon- «aincro l'Orient que la sagesse d'en haut s'est iBi- mmé^9 il y a di^-huit cents nnsj faites mieux; prouves-lui que cette sagesse, cet amour, ce parar- det attendu s'incarne, se révèle aujourd'hui inèmè dans le monde sous la %ure de la société euror- péenne. Chaque époque, dit le Coran» a son livre ; montrez, non par des dissertations, mais par des bù- tions, que le nouveau livre s'écrit chaque jour dans la vie sociale. Étalez, ouvrez, dans le désert, la France comme un grand livre, dont chaque ligne se réalise dans un fait, dans une justice plus haute, dans une ceuvre plus puissante, dans une gloire plus «plendide, dans une politique plus sainte; ce moyen eaU le seul qui puisse faire pIJir, h la longue, les lettres étincelantes du Coran, Les croisades ne cherchaient que le tombeau du Christ; et les musul- ttianSi en restant possesseurs du sépulcre, ont pensé VMter maîtres du Dieu» Montrez qu'il n^a plusbe- ET LifeVANGILE. t(8 soin dd tombeaii, puisqu'il est ressuscité, et Condition actuelle du protestantisme. Si la Bible était enlevée à Thomme, sei-ait-ce la fin des choses? 20 MXIËME LEÇON. aff i ^' t^ =^ La réformatioQ suscite le plus souvent contre ellç les croyants et les sceptiques; les uns Tacpusent dç révolte, lés autres âe timidité. Lorsque les philoso- phes veulent se donner pour un moment le plaisir de Torthodoxie, ils foudroient k leur tour le schisme qui a brisé l'unité du monde moderne. Je qe le;i imiterai pas en cela; et^^ d'autre part, pour quq personne ne se méprenne sur ma pensée, je di- rai, tout d'abord, que je ne suis pas protestant, et que je ne suppose pas que noti'e pays soit appelé à le devenir. ftien de plus saisissant dans rbistoire que la S48 LÀ RÉFORMATION, manière dont est frappée FËglise au seizième siècle; elle se bâtit son monument de triomphe dans Saint-Pierre; elle s*ome d'avance pour un jubilé. Quelle est donc la fête qui se prépare? Les plus grands artistes du monde travaillent jour et nuit pour cette grande journée. Avec une sérénité sublime, Raphaël décore les salles du Vatican pour des no- ces éternelles. Michel-Ange, dans le dôine de Saint* Pierre , met la tiare sur le front de l'Kgiise .visible ; tout est prêt. Qu'eussent fait alors ces hommes, si quelqu'un leur eût dit : « Laissez là cette pomi)e; l'Ëglise que vous venez de parer pour un siècle de fêtes va être déchirée; la moitié du monde est au moment de lui échapper; un pauvre moine lui ôtera en peu de jours plusieurs peuples; vous la faites triomphante, il fallait au contraire la revêtir de deuil. » Sans doute ils n'eussent pas cru ces paroles; mais icurs œuvres devaient rester et sourire éternel- lement comme une sublime ironie delà Providence^ A véritablement parler, TËglise n'a jamais manqué de réformateurs. De siècle en siècle apparaissent des hommes qui, frappés de la décadence de l'Esprit, créent une société nouvelle pour servir de modèle à l^ancienne. Saint Benoît, saint Bernard, saiiit Fran- çois, saint Dominique, en fondant l'un après l'autre des ordres et des institutions, travaillent à réparer LA RÉFORMAtïON; 549 la vie à mesure qu'elle menace de disparaître. Pen- dant quelque temps, chacun de ces ordres donne une impulsion au catholicisme ; puis eux-mêmes, at- teints du mal qu'ils combattent, ils s'arrêtent, ils dé^ génèrent; on ne les reconnaît plus, il faut qu'ils soient remplacés par d'autres. Comme ils ne chan- gent rien au fond des choses, ils retombent tous iné- vitablement dans les mêmes défaillances et périssent du même vice. Ce qui montre combien le remède est inefficace, c'est la nécessité où l'on est de le réité- rer. Les ordres, par leurs rapides déclins, en s*a- moncelant les uns sur les autres, étouffent de plus' en plus l'essor de l'ftme; en sorte que chacune «de ces institutions, après avoir donné un moment de vie à l'Église, ne sert plus, le lendemain, qu'à Vem- barrasser de sa mort. Toutes ces tentatives, qui n'at- teignent que la surface, s'allérant promptement elles-mêmes, augmentent le danger. La réforme d'hier, est aujourd'hui corruption. Fatalité étr^^nge! De siècle en siècle, les réformar- teurs, pour se soustraire aux atteintes du tenaps, aux entreprises du monde, s'enfoncent de plus en plus dans la solitude ; ils bâtissent autour de leurs monas- tères d'épaisses murailles, ils ne laissent qu'une porte pour communiquer avec l'Église ; et, a[)rès quelque temps, sans que l'on sache comment, les voilà enva- * bii par tout ce qi^ils voQlaient fuir^ le menitoy il routine^ rinertie de râmel SirespritdeyaitètrereiMmYelé^ que restailnl dooe à faire? Puisque tous les lieux déserts avaient été tentés sans succès^ que les plus hautes murailles n'a-> raient servi de rieu, il ne restait plus qu'une i^hose à essayer, qui était de rompre les communications avec TÉglise visible ^ renoncer pour un moment à toute la tradition^ mourir à tout le passée ne conser*- ver dans ce naufrage volontaire qu'un livre^ se dé* pouiller, non de son manteau ou de ses sandales^ comme les ordres mendiants, mais de quinze eents ans de souvenirs. Puisqu'une fatalité de corruption s'attachait aux réformes tentées dans Finténeur de TËglise, il fallait que l'Esprit se vit quelque tempe seul avec lui-même, sans aucune forme; le salut de la vie morale était à ce prix. D'un côté/ le corps matériel de l'Église dans sa maison de pierre; de l'autre, l'àme, toute seule^ surgissant d'un sépulcre qui se brise. Cette séparation est une sorte de mort, mais une mort qui peut enfanter l'avenir. . Quel est, dans la chrétienté, le peuple qui entrera le premier dans cet isolement? Les nations du midi de l'Europe ont souvent ébranlé leurs églises) maîe^ dans leurs colères mémes^ on sent un fond immuable d'obéissaMe; elias s'irritent^ elle» ai}cuse«t) eUes LÀ ftÉPÔRMÂtioN. te* pardonnent, ellèà adorent ce qu'elles dût ttà^pèi quandftômechrètietiné est Vaincue, elles denieut-édt éhôore pliées sous le souvenir dé Rome p&xenUë. Pôui* bietî marquer la grandeui* et là tioiitéadté de là révolution t'eligieuse , c'est tinë race nouvelle qui en donnera le signal. Dès le commencënôleilt, on Veri*^ que là scission est irrévocable, que le ^énie, la langue, le tempérament, ta destinée d'Utlé nouvelle femillé d'hommes, se dressent eiltré la vieille et k ûodvéllê Église, pôUi' empêdhër que là têôôti- ôitiàtion ne se fosse trop vite. Lorsque la l^rôVidéatîë veut qu'une peusée éiitre dans le nlonde pôui' tféd plus jamais Sof tir, elle eu fait l'âme d^Uue ùôuVëllei i*âce humaine ; elle en dépdsé d^âvaticé te gef tiô dàb^ les instihcts les plus anciens. Voulei-vous àbolif la ré- forme, brisez d'abord le moule dans lequel out été Jë-^ tes dés l^origiiie ïès peuples germatliques.ÂU lieu delà fktitaisië d^Un homme, c*est la pensée du CréateUi* qui fait explosion dans lé monde Civil. du s'étonne des inconséquences de Luther; ellëi forment la plus grande partie de sa puissance. îi&nS le schisme des Grecs, chacun savait au juste, ëfl commençant, où il s'arrêterait. Luther n'en sait rien, il se précipite tête baissée; et sa fougue taêléé de ràvissemerits, d'irijurés, d'élévations, de tërteutS subites, de ^ioleUeéS stibllMéâ et Vutgaifëâ, mêlé le* // SS9 Là RÉFQRIUTIOII. del et la terre ; c*est one force qai ne veut pas se coDDaltre, On y sent la nature du vieiix Germain qni se réveille ; dés qu'il se décide cratre Rome, il pousse Tancien cri de guerre des Baitares, et la co- lère suspendue depuis les temps d'Âlaric fenatt d'elle-même. A cette sorte de furer se mêle un fond de paix qui vient de la. certitude de la réussite ; îl est seul contre le passé; mais dans le présent que d'al- liés invisibles ! Toute la terre d'Allemagne conspire pour luiy la glèbe et le seigneur. D'abord il croit n'attaquer que le trafic de l'âme, sous le nom d'in- dulgences ; une puissance supérieure le pousse; il ne s'arrêtera pas sitôt. Tout d'abord le voilà en gnerre avec la papauté ; il l'excommunie ; et cet anathême Fcntralne à beaucoup d'autres. Avec chaque anneau que Luther brise, il s'engage à en briser un secoDd. La vieille Église si lentement édifiée de siècle en siècles disparaissait d'années en années ; par une logique inexorable, culte, célibat des prêtres, ordres religieux, tout ce qui formait le christianisme vi- sible, tombait de lui-même. Car ce n'est pas un renverseur vulgaire ; dans son déchaînement il garde une raison suprême. Aux promesses de l'Évangile dans sa force native, il compiire la religion affitissèe sous sesœuvresde pierre* LA HÉFORMATION. S53 Il tient dans sa main un livre qui est pour lui celui du jugement, et devant lequel il fait comparaître r£« glise défaillante ; dans cette balance il la pèse comme dans la main de Dieu ; il mesure chaque chose sur ce type originel ; et la vérité est, que suivant ce prin* cipe absolu, aucun des changements que le temps avait amenés ne pouvait trouver grâce. La création elle-même devrait être détruite , si on la comparait à ce qu'elle peut être dans Tidéal du Créateur. Mais enfin de ruine en ruine le terrible destruc- teur s'arrêtera4-il avant de toucher au fond de Ta- btoie ? Il s'arrêtera devant le livre qui lui a servi à con^ damner et détruire toutle reste. La nature et TËglise étant frappées Y^tie et l'autre au nom de l'idéal, le passé est vaincu ; la colère tombe; le Luther rebelle disparaît. Il reste de tout ce chaos une âme émue, subjuguée, agenouillée sur les ruines du temps, devant un livre ouvert. Luther ne s'inquiète pas du vide qu'il a fait, puisque sur le fondement de l'Évangile un nouveau monde va renaître. Une page écrite le sépare de l'a- bîme, et cela suffit pour lui ôter le vertige. Mais, grand docteur, si le vent de l'abîme emporte par hasard cette page, si, après que vous avez détruit le moyen ^e au nqm de la Bible , elle vous est un jour enlevée par l'esprit même que vous avez dé- m 11 «fii^iiMAtioA. éhfciûô, 4ti*àfW¥efâ-Wlt Sèrà^elft flfl fltechôîésf YoUs avèi! ftit «"emontef le mondé éhi^étiëb k §oâ idéal. De ô6 totnmet il y a deiii (tentée ; et lotsqde i^ds penses ttlthénér 1& terre & sdlnt Paul, qtie §é^ TAit-^e si, efl réalité, vous lapôtiSâeï vers le Vi*- (Jairé satcJyâM et Mirabeau 1 Tout Itf mdddb a tu dàdi^ Luther déut géniél difféiWilts , Vud qui brisé lés liens du passé , l'autre qui hHd k liberté de Thôttiine. Cotnfneùt ces detix principes opposés, ràffràtiehissemënt et la servitude , oilt-ilS pu entrer dans le lîiômé aprilT Est-ce une fantaisie particulière, Un ha^^ sâfd î, Ndti , c'est tirie Wéé (JôthttiUné à tous lés tè^ fbrniàtétii^s, depuis Wicklef jusqu'à Caltin ; f ai déjà iftdiqUé en qum ces deux syslèrnes opposés se i'énèôfl- treat, et éomtfient rhotofale, eti sortant derÉgliSé roiriaiUé, était tenu à ce point que, poUfreiltrer dans la liberté, il avait besoin de passer^ pài* là servitude- Lé Vrai niloyen, éd effet, de sapef par le pied la vieille Église, était d'affli'mer que latnultituderde sfeà cmivres ne sert de rien , que Dieu séUl agit, et qu'il né laisse ried à faire ftU prôtré. A ^uoi bon Tîn- térVedtiôn dû clergé, ses solennités, ses sacreméflts, ses cérétadrtieà, s'il est déinoritré que tout ce qui vtenl de là terré est incapable dé mérite f A qUoI serl te Adrififcé dé la Messe, si tout est prôdési". lift nfiPOAMÀttO^i ISS tfoé M enfermé âaàs le yreûiiw m.cHSèS àii OëU gotha 1 Par ee seul mot^ se renverrait Id pttis§àncëd§ FÉglise. Songez bien qm pdtlf àtrachéi* Yhomnnd k 66 reste d'autorité, il fallât unciSbrt exti'ftctfdifiait^è. Luther et Calvin le précipitem ëii Dieu ^ î! y dispa^ ratt; satis volonté^ sans liberté^ sans mérité, ridyé dans cette . mer sans fond^ il n'offre plus atititinë' prise par où TËglise puisse l'atteindre et le rdssaiëlf^ Qui croiraitaujourd^hui qu'il ait fallu^ en quoique sorte^ ensevelir l'esprit humain tout vivaM^ ^ôtiî* I^ soustraire au sacerdoce du passé? fit cepebdaflt fiëii n'est plus vrai. Les réformateurs^ pour dépouiller le prêtre^ dê^ pouillèrent l'homme lui-^nême ; d'est^à>^âire qb'iift remirent directement ali Christ tout ii& qûô VÈ^ glise s'attribuait. Si la réforme se fét accôniplid au nom de la liberté hiimainë, nul douter qtiêf l'Ëgtise l'eût d'abord accablée des teproehes de Vtis^ prit évangélique. Mais que répondre à nûe réVolu"^ lion qui» dès le premier nK)t, prend sa force Ami l'excès même de l'humilité? Oii avait'on vu uhe ré- volte se faire 9 comme dit Calvin, à i'ombre du bm plaisir de Dieu? On s'affranchissait de TËglise : itiaiâ cette liberté conquise^ on la remettait atisàitôt à j INéU: en sorte que^ dans cette gradde affiiiiré, l'homme était pour ainsi dirg détsintéreâsév Toiit te 9B4 U RÉFORMATION. dèbi^t s'ugilait eolre le ciel et la terre, et il n'était question jamais que de rendre à l'un les usurpations de Fautre ; la volonté humaine s'abritaitdansla pleine souveraineté du Christ, comme, en politique, la li- herté de tous dans la souveraineté absolue du roi. Est-il vrai que Luther n'ait rien fait que détruire et nier? de chaqtie homme il a fait un pape et un concile ; il a affermi Tautoritè de l'individu, et en oela il a réalisé une partie vitale du christianisme. Auparavant, on se contentait de dire que l'âme de chacun est sans doute en soi d*un prix inestimable, qu'elle occupera son rang dans le ciel , qu'elle pèsera alor$ autant qu'un monde ; mais on remet- tait après la mort de reconnaître cette puissance. Tant que durait la vie terrestre, on voulait que cette âme fût enchatuée par la société comme par la na- ture. Une pensée, une volonté, une opinion privée, qu'était<<^e que cela en présence de la communion des siècles f de la même manière que le corps devait être macéré sous le poids de la nature, l'âme isolée devait être macérée sous le poids de la société pré- sente et passée. Le genre humain était comme le sépulcre dans lequel il fallait que la pensée de chacun mourût à toute vie particulière. Luther affranchit Findividu de cette passion, il le détache de ceUe croix; il lui donne, dès cette vie, LA REFORMATIONS fS7 la liberté, Fautorité, là valeur iotilne, que l'^Égiise taè teconuaissait que pour les morts; ou plutôt, de cha- que homme, il fait une église inviolable: résurrection anticipée de l'homme sur la terre. Quand il y aurait', dit-il, contre moi seul, mille saint Augustin, mille saint Cyprien, mille conciles, qu'importe? Estce là douter? c'est aflSrmer la vie dans son foyer intime. Aujourd'hui nous travailtonsà nous débarrassei^du poids de l'univers matériel ; nous armons la nature contre la nature; mais auparavant il y avait un autre fardeau a soulever, plus pesant que celui du monde visible. Qu'on se figure chaque âme accablée de l'autorité de toutes les autres ; c'était la constitutioà du vieux monde moral. II ne sufBsait pas d'écartet- l'autorité des siècles par un discours, un théorème^ il fallait par un fait, par une action vivante, montre^ que le droit de chaque homme, de chaque instant est en soi aussi imprescriptible que le droit du genre humain et de l'éternité : c'est ce que Luther a fait. Il va, dans la diète de Worras, au-deyant de iout ce que la tradition a de plus redoutable, l'em- pereur et le pape. À ces deux puissances qui résument toutes lès forces du passé, qu'oppose- t-il? peu de chose, et pourtant ce qu'il y a de moins négatif, de plus réel dans le monde, quoi qu'on en dise : un grand cœur, voilà tout. Le passé «ii^ Là BtlORHATKnr. }• p^îO^sir spîmtuel «Mit eoDToqués po»r assistepà jjfir 4Mùte; l'âme rentre dans la société modenie; ^t ]» 4^oit de rûndividii est 91 solenDellemeatétâbb qqfi à^mm oa oe pourra plus songer à le desti- luert La première pierre do monde nouveau est '\ ( r Comipeot ne voitndp pas que si la réforme a ^braplé )a terre^ elle a affermi Fhomme ? elle a pré*- pnr^ les tempêtes^ mais elle a donné à chacun le pauvpir d'y surTivre« Av^t qqe le jour arrivât des r^vQlutiop§ moderqes, il fallait bien que chaqae^in- 4iyi^iji wntit qu'il portait en lui-même un monde Indii^tniptible, et :que lors même que la vieille so^ çiéfé périrait, U survivrait tout entier. Laissons dene ç(^ plaiptes ^Qémiaées mv h chute de rqnité, sur ^ division 4e rElurpp9 qui était déjà morcelée, sur \fi divorce 4i) T^ord et du, Midi qui étaient déjà ^ropillés» S^i^s doute, il eut k regretter que la ca- l t|}éd|nale 4e Cologne p'ait pas continué de grandir; miftis il e§|; pli|^ népe^ire encore que Thomme s'a-^ çhève et s'édifip jqsqu'au faite. Vous avez perdu le sentier 4W légB04es, le spiivenîr et le fil du moyen âge, quoi epicore? la cpuronne du César 4e Home. Ççla est vraj, umx^ n'est-ce ^i^n de vous être trouvés T9(i§ri9^me37 çeKe prétendue unité 4u monde ^ hk tttSÊomiikmmi m fliQy«a àgè «'était qu'uiiè figwe, um élMfiMto, il fettt 4pip k figure pwsfty qi>6 rèbtucàe se Impe ;»etif que l'cpuwa s'aacompUssa ; préftpc^ioâ lapromasM luitieipée à rwcomptisseœent labprieuxf voilà tou^ h quesiion entra rÊgUfle du moyen fige et le mmiê atoderne. La rMcmne ne se bornaH paa à eonstituep l'iadi'- yidu; elle l'obligeait encore de faire un pas de fiim dans le monde intérieur. Car ce qui heurtait le plus les réformateurs d^nsFÊglise du moyen £^e, était la pensée que le {nrètre' pouvait en quelque sorte lier Dieu à un objet extérieur, k une hostie exposée. Ils voyaient dans* cette autorité dn prêtre une sorte d'incantation de la matière» Pour eux ils faisaient, m contraire, sui^r la présenoe divine du fond de la i^oyance; tout se passait dans Tâme. Le mystère n'avait plus rien de visible ; l'esprit seul corrsspeo^ dut avecl-^prit ; la imture et le prêtre se rrtmdent| et tandis que TÉglise du moyen âge cherehait de plus en plus son Dieu au dehors , rÉgliae neiiirette le cherchait de plus en plus au dedans; eela seut marquait un nouveau degré dana le faeede ée Vime. Si le génie de Luther eût été seul 1 eonstruire la réforme^ on eût pu penser qiieeeoidUfementaHaîl* se dissiper p«r sa mhpa» ve^me, li faut qu'il reii*^ eontre pour barrière un esprit toutdii&ismt, (f$i^ lA RÊFQRMATIONi en le conteiiaDt^ le porte à sa dernière extrémité. Je ( dotttequc Calvin eût commencé la réforme ; mais il avait tout ce qu'il fallait pour donner un corps à ce qui semblait incapable d'en revêtir aucun* L'esprit inëthodique de la France adiève ainsi l'entreprise de TÂllemagne. Vous reconnaissez , dans les moindres paroles de cet homme, je uq sais quoi d'inexorable , comme la fatalité d'en haut. Au milieu même de la plus grande tourmente et d'une sorte de tempête de l'Esprit divin y poser tout d'abord à cette furie une limite que l'on ne dépassera pas pendant trois siëclesi arrêter et glacer le torrent, cette œuvre n'est pas sans puissance. Dans les violencelï passionnées de Luther, vous retrouvez encore l'ancien fils de l'Ëglise; il se sépare le cœur ému, la voix trem^ blante; d'anciens souvenirs le poursuivent dans son sommeil. Mais Calvin n'a pas un seul de ces moments où reparaît l'homme du passé; d'une main froide il ferme la porte de la vieille %Iisé. On sent que ce qu'il a fermé ainsi ne se rou- vrira pas» Amère déception des choses humaines ! La réforme a réussi dans tout ce qu'elle a voulu. Quinze siècles sont supprimés; il n'y a plus aueun obstacle à ce que l'Église primitive recommence, yoilày comme dans la première heure du christîa^ LA RÉFORMATION. Î61 nisme, l'homme tout seul en présence deTÉvangile; il peut se croire, s'il veut, au lendemain même de la mort du Christ. Vous pensez que dans cette aurore nouvelle, un chant d'allégresse va sortir de la terre rajeunie; au contraire, la marque extraordinaire de la réforme est de commencer par une plainte qui quelquefois touche au désespoir! Oh ! que celle histoire apprend de choses on un moment ! Pourquoi les anciens jours ne renaissent-ils pas ! Toutes les conditions nécessaires sont remplies. Le livre par excellence , l'Évangile est retrouvé : on a soufflé sur la poussière des siècles qui le couvrait. 11 est là dans sa simplicité, dans sa majesté primitive; hélas ! pour revenir aux premiers jours, il n'y a qu'une seule chose qui manque, c'est l'homme. L'idéal est resté le même; mais lui! qu'il a changé! Qù sont les aspirations, la naïveté des disciples ! où est l'espérance, où est la joie? A côté du Uvre immor- tel et rajeuni l'homme se sent doublement vieilli ; il cherche dans son cœur le ciel pur des apôtres, il ne trouve qu'orages, inquiétude, ennui. Qui empêche que les merveilleuses journées de l'antiquité chré- tienne ne renaissent, que les pensées des premiers Pères ne descendent de nouveau sur la terre répa- rée? qui l'empêche? lui seul! Car cette Église qui le .; séparait de l'âge d'or du christianisme, il l'a détruite, v 21 ^ L^ iiprpîiMATiopi. et 90Pi îjjfijmmRce k, rentrer âaq9 le mèoje heiipstti^ qp éiclate davantage. tristesse I 6 inisère de net pour ypir plus accuser que soi-même I Ypillt le seu9 le plus profond de la réforma^QP î T\ex\ da plus lugubre qi^e cette soudaine rençontrff 4^ r))))m^îté moderne avec son idéal, Pe là, ^ misa^r tbropie apère qui découle de chaque parole de Lur ther, vers la fin, de Calvin, de Melanphton/^e Çnicer, et qui fait le fond des puritains, de CroiQsr well, et r^e do la révolMtion d'Angleterrii, Pourquoi vous étonner de la mélancolie de \%\if% qantiques? On dirait des voix de ressuscites qui Uni? guissent sans abri entre le ciel et la terre. IJn levain de douleur fermente au fond de leqrs poëtpa, depuis Milton jusqu'à Klopstock. Car ils ont fait, pour revenir & la joie, à la sincérité vierge des premiers jours, FefT fçirt le plus grand qu'on puisse imaginer, effa^nt tQut; sur U terre, excepté le jour des Àpôtires. Ils ont été f» replacer eux-mêmes dans la grotte de Pathr mos, dans la maison de saint Paul, toujours aspirant k un pssé plus lointain; et, quand il ne restait plut qii'un pas pour rentrer dans l'enceinte du siècle bieqr heureux, ils n'ont pu le faire ; une force inexorable lep a arrêtés, ils n'ont pu ramener ni goûter les JQurs dont rien, en apparence, ne les séparait plus: L'esprit, VAipp mh i's QPt été frapper, coi^me des POHVvîaUf La kËfôilMÀtiÔN. Ié3 dès, à râticienné porte d^Èden. I*àrl6ùt âvÔ6 ëilX- mèmés, à rextrôttiltô des tetnps^ ils ont èntfàînô et i^ètbuvé l'homme él le fat-déàu du seiziêiflë siêclô. N'eSt-ce pâ^ âssêi que totii cela, pout* fee bom^ôfeêr k jamais uii culte de tristesse et de deuil ! Les tetaps des Apôtres fuyant toujours, qùele ëUtt^ rhdiiittlë et DiëU) et qud ë&feflt^ ilÀ !li^ iifl jëtti" ëti l'autre ^ Dieu ûé totidr» pils mlMMë Mm ldi>dieme pàiit «{tié Itl piltHite; lit péft- Më^ l'fttdë ^të É&âs le liëb de là lëttfet Qatoâ l'efarànl ^ësiiêdë ià lëçon^ le ifittHré lui fkit fô^tnsi- lë ^âgë-. Dëpbi^ clii^Uit eëtiis ân»^ l'hODime dpbh »a loi àiii' l'Ë¥àD|ilé ëU¥ëH: quëSAtëat-tls^tii lëdiftr- il^ m \m fis qb'il là ré^te m fdnd de ràoië» iftùS lé sëbëiii^ tjàatéMël des Ëcf itUiieâf Depuis dii>> UUit mm aa^l'Mdiâtàè ^ëbiitëbtë de life l'ËVbHgtle) ce b'èët pas àâSët; il ëët nOeesséire désë^fiaiis qu'A l'éëHVë Idi-thêàlë sUr la Stifflieë de Itt tèmt) lâr |è {Fèiit aes pëUpiëS, M le sftblë^ Sdf l'&iràin^ sur tel loiii, iûf lëë iiiStitlitiOdS et saf lëS cbarfês DOttVéllëét OùKbd le Htfe Sëtu pâttout, bob pas sut* ttoe fëiiillé péri^ti)lëj biais dabs le» ëhosës titàbtës^ on bël'é^ veillera plus chaque matib ëb së deibàbdAtit si quel- que sdVànt^ par UasArd; n'a pas détruit dttûs la duit du tëfeët ou bb ehftpitfë; l'huinibité sera trabquillë sur lé littt sacréj lorsqu'elle Taura gravè^ idbprinlé ëh ewaolèrës permabëbts à la surthee du mcdde ; bi le YëMi Iii1« ëfitfqbë ti'eu empbrterobt plub les pëj|[ë§). asuw Tfe\^ohfi 4« $ftiq| Afjir-e fit 4fl Sftiftt l<«ci vctm VfiiUeRet WâW^^z Qiï'^n vflwi }«$ »sleY»nl, ^ l'bisiQjpe de D|^^, ^J^«s^re?[^vo^«. Q4'pflzn?0Di;j^ «raildr^î Tout PfUBle «MiieP âpU ôtFeflB 4«§qg4^ liste immortel. Aip^ la réfoiîme perd s^ fopo<| ftv Wftro§fl< qR'glle «k EieuF de l'Ësppit jeté pr e]l@ dftoa le m^^ t ^ff tf) l'avfluer, guelquefpi* «lie ÇQMgir^ (jqntr^ }ni Vim ^çnftnçiepueeppemie. Ûù est 9:i)iiout>d'hui r&ime 4^ Liilt^vt {HkPf l@ si^la toHt eqtjer plwtôtepQÇirf! qpe â^m. VÉglise ïé-» ' fqrmèe, Il s'easpit qpe protestaptispiç, çi^tbQ)if^g^@^ gef Églises parMculjèrfiji se foQ4ept ^^ik o^Mgrô ç]|)^ i^ lepp insu, dans une ^iél4 plus gr^ode, ^^ avqps ^1^ que la ppis^sApqe spiçi^pelle, l§ tçrjPQr-ilifii d^ Qr-égoire Vl| a passé dans ^a Gqqvçntiop^ nais Lutter IpJ-mêa^e, ftvec son géni^ dç «pévQ^te, ïi'f^iji pour ri0B d«^» Id liévolqtioQ fri^pcsHsç ? qm pQvl )9 croire? Voilà donc les deu$ prjppipe^ l^s 1^114 go{)« traires, Gr^oire YI| et l^pthei' q^i fi»nn$q^Dtâm l99môme^çoBq?s, les môpies asspntilâ^ii, )fl>,n|^ffii fÔYolulion ? signe palpftWç qvi§ \«wmt ^ **4teW!lt« peut concilier ce que (çu^ Iç pi^^ {^ 9^{IAi'^t Où se fera la réunion? le protestantisme assigne ^ 968 LA RÉFORHÂTION. pour rendez-TOUS l'époque des apôtres; mais il a montré par trois siècles qu'il est incapable d'y ren- trer; le catholicisme assigne le monde au moyen âge; mais le monde ne veut pas y remonter. La question ainsi posée^ les pourparlers sont inutiles, ce n'est pas dans le passé, c'est dans l'avenir qu'il faut marquer le rendez-vous. Le catholique, parmi nous, ne tolère pas l'idée que le protestant, après sa mort, soit couché dans la même poussière que lui. Si cela est arrivé par mégarde, il le déterre et le rejette au loin. Le dernier terme de la barbarie se rencontre ici avec le dernier terme de l'impiété, puisque l'on ne veut pas même de la fra- ternité du ver de terre, et que Ton met sa dernière pensée à désespérer de l'éternité. Vous vous êtes brouillés dans un moment du temps! gardez au moins les siècles des sièdiés pour vous réconcilier. Aujourd'hui le catholicisme ne fait plus la guerre à la réforme; il la croit à demi rangée de son côté, il en triomphe d Vance ; et cependant on doit y mieux songer. Luther vieilli peut s'efiFrayer de son œuvre ; Melànchton épuisé peut pleurer ; mais le genre hu* main est lui-mêine un immortel réformateur; et s'il pleure comme Melànchton , ce ne sont pas des larmes de défaillance ou de peur* ONZIEME LEÇON. Le nouveau monde est donné à un nouvel esprit. — Gknstophe Co- lomb missionnaire et novateur. — Son hérésie plus vraie que Taii- cienne orthodoxie. *— L'Église du moyen âge en Amérique i^te au-dessous de la religion et de Tidéal de Colomb. — Lutte du catholicisme et de la réfoime dans Fancien monde et dans le nou- veau. — La monarchie espagnole ; expression politique du catho- licisme moderne. -^ L'Escurial. — Pourquoi Tlnquisition a été particulière à TEspagne. — Gomment la Péninsule a cpmprîs Tas- sociation du Christ et de Mahomet dans la religion et dans la poli- tique. — Sainte Thérèse, Taccent des peuples du Midi. — Au Nord, le protestantisme se défend par des institutions. — La l'évo- lution d'Angleterre ; rame de la réforme dans une société féodale. — Où est ridéal de la constitution anglaise? — Le principe du protestantisme achève de se réaliser dans la démocratie des États- Unis. — Le catholicisme dans TAraérique méridionale. — Pi'incipe de contradiction dans les républiques du Sud. — - De Tunité morale qu des quadrumanes qui se balancent sur des lianes, des boucliers, des haches, presque par- tout le globe enveloppé dans une couronne. Un peu plus loin, une grande tour regarde la mer ; ses fon- colonial de los Espanoles en Chile. Por J. V. Lastarria^ p. SI, Si, 113,134. A Us armux. du cp^v«Dt à» 9^k»a nmi o^ur4|# ET LÀ ÈÉi^ÔftMÀTION . ffe dètaehtè Aofit appuyé* sur quitte hîppôpôtàtoes de pierre qui marqueht le génie âiHphibiè de la JPèriifti- Sulë. Rîeû au monde n'est plus triste auj6iihi*hui 4ue (ies apprêts, et ne marqué mieux respèce de ôondamilation dont je parle ; calr ce vaisseau si bieh pavoisé pour Tétet^nilé n'a plds de passagers, et té& Bîppôpolames de gl*anit ne se traînent plus juéqii'ftti flot. te que n'a pu faire le prodige d'Uile créalibfa nouvelle, la réformation l'a aceoinpli ; elle a révêllli^ le éatholiciéme en sursaut. L'œuvre de Dieu S*élàit } levée sans émouvoir personne; la révolte des hommes ressuscite ï'Église. Il est beau de voir ce grand corps, q\ii semblait abattu sans ressources, se redresser et développer des forces qui n'étaient qu'endormies. Dans ce moment de surprise, l'Église est sauvée phr le monde, la papauté par la monarchie. îl se IrtiUVe à l'extrémité du Midi un homme, Philippe II, qUi, étant tout l'oppoi^é de Luther, abattra le premier sa furie. Jamais la haine de l'avenir ne fut mieux et plus nalurellement représentée. La physioïiomïè même de Philippe II a la roidéUr inexorable de Ih mort ; il règne invisible comme du fond d'un sépu^ cre; et partout autour de lui s'étesd la chaumtoe dtefc cimtitiéres; dans ëa hiûûe de lé vie, il pétrifib son 380 L AMÉRIQUE immense empire; s'il l'eût pu, il eût glacé de son regard le regard du soleil d'Espagne. Qui n'a pas vu rEscurial ne se figurera jamais la forteresse où l'esprit du passé se retranche et défie l'avenir; ces murs de granit d'un aspect ^p- tien, ces donjons, ces cloîtres, ces bastilles, ce pa- lais enveloppé de cellules, tout est dédié à la mort. Comment une seule idée du monde moderne pour- rait-^lle franchir ces enceintes? On voit, dans cha- cune de ces pierres, que l'Église et la monarchie ont été saisies toutes deux d'une même terreur; elles se réfugient l'une dans l'autre; elles se pressent l'une contre l'autre , comme dans un moment où la terre tremble* L'Église s'abrite dans le palais, le palais dans l'Église; au milieu de l'ombre profonde, le pâle spectre d'argent de Philippe II est agenouillé de- vant l'autel. D'enceinte en enceinte, de palais en palais, de cloîtres en cloîtres, vous arrivez enfin à la pièce qui est le centre et le fondement de l'édifice; cette pièce ne renferme que des tom- beaux, comme une pyramide d'Egypte, L'Escurial tout entier est lui-même un tombeau où s'appuient l'Espagne et le génie de l'Europe du Midi au seizième siècle. En effet, c'est autour 4e cette nécropole que l'Es- ET LA RÉFORMATION. 281 pagne se rang^ pour soutenir le siège contre le protes- tantisme. Ce rôle lui appartenait plus qu'à personne : accoutumée k la guerre sacrée contre Fislamisme, elle n'avait qu'à changer de front pour se trouver tout armée contre la réforme. En Amérique, où il avait fallu s'attacher un univei^ par les liens d'une charité suprême, elle avait échoué ; mais dès qu'il est de nouveau question de haïr, de combattre , de continuer la guerre sainte, elle retrouve son génie. Deux milices particulières se forment dans son sein, l'inquisition et le jésuitisme*. La première lui appartient en propre : ce fond de violence musul- mane couvert de la mansuétude des apôtres, cette épée de feu de Mahomet dans la main glacée de Phi- lippe II, cette ardeur du désert, ce secret de l'Escurial , ces deux génies du Coran et de l'Évangile, unis seu- lement dans une alliance de colère et de haine, tout cela fait du Saint-Office une institution qui ne pou- vait se développer pleinement et librement qu'eti Espagne. On réfuse encore de comprendre comment une combinaison de ce genre a pu êlre populaire-, en effet, elle n'a jamais été jugée qu'à la surface. * Pour ce qui concerne la Société de J<^sus et le Concile de Trente, Voyez le livre JPm Jésuites et V Uitrutiumtamsnw. 28» f.'AIJÉRiWïi h9 mèm» mélfuige qui s'a^t forfpé pâj^^ui, ^ E&pggQ0, e^\ve le mabopçiétisme et la chmtis^- nisme^t dans la langue, l'architecture, les ro^aa- ces, la poésie, les lettres, s'accomplit 4aps optte l^islation içi^oyc^le de l'iuquisition. Mahomet inspire le principe même, celui de l'exterminatioii ; le christianisme y mêle les apparences d'une douççur inépuisable; la royauté y ajoute le silence, les té- nèbres. De tout cela se composait la facile obéissance à une institution qui renaissait de chaque chose. Allah e]|:terminateur et le Christ pleurant du moyen âge s'identifiaient et vivaient dans l'àme de Tinqpi- siteur; ces deux religions, mortellement eimemîes» s'uiilîssant ^ un ipoment et rasi^eniblant leurs ter- reurs pour enfanter un monstre de colère, voilà œ qui a étonné et glacé le reste du mppd^. De ce mélange prodigieux viennent à la fois et la violence ipoxorable des châtiments et la tendresse, la commisération des paroles , le contraste entre la torture implacable et les entrailles de miséricorde d^ Uitçrrcigatoires officiels.Que l'on dénature coqjQie on voudra le christianisme, jamais on ne pfirviendr^ à coDiltitijerriqqui^ition; il faut, pour en arriver là, faire entrer dans l'Évangile le ferment d'un autre culte, La France, l'Italie, au moroeat le plus vif de ai| fûq4 de ççt; ^t^bli^mQDit ut» gépîQ éti^Pgsr, r^Q desi 4és9rt$. 4'Af4qHQ? qui le$ époHv$int$aj9Qt» parce qu'il laur ^tait impps^b)^ de $'en r^i« cpj^pte par les fradijiops çhrétiei^nes. t'Ëspague a sç^lé le contrat dn Çhnst et de, ^^r hpmet dans la veug^nce ; elle a écri^ ses eq^ennif entre deux rel^ipnsy comme si elle u'çût p^ ass«2. cru à la puissance de baine du cbristiauisma. Spr te sguil de l'inquisition étaient écriU ces n^t^ : c§ Im est terrible! terribilis est iste 1(^ua! (!p efToti celui qui y entrait se trouvait tout à coqp tort^réi en sepK^qp- pgsé| et par la violence de Mabomet et par la inapsu^ . ti];de d^Gbnst ; il £fe sient^itprécipité d^s une région. oii chaque mot de TËvangile flamboyait d'uu^clQÎr du Coranv Lçs mots accoutup^ p^rd^jent leur «991$ L'I^omine ne pouvait pl|is rien dire h. Tbomm»; la p^l^ signifiait la gqerrç. Çie ^ p9,rQl9 la plus dpuo» dqs f^pôtres d^outtait le sang de$ cimeterres. On accufie l^ catho^çi«In6 4's(vpir produit rinqiû* sitifàp *, nous yenons de l'absoudre k demi^ Uvré k Im sesil, jamais il u'e^it trouvé çp prodifp de baioe^ il a Mi pour cela no^-«se^ieme^t ri^unir dieti^ to^ fei^ n^is les attiser l'un par rantre> Sa iq^0»q ^mp»j4¥e Ç0tt0 jnilioe jo«9|ué0 àéit^ 1 %4 L^AMÉIUQIJE dait les abords deFEspagoe et du Midi, la Société de Jésas passait les Pyrénées. Il y a deux causes pour lesquelles la popularité lui a toujours manqué en Espagne, son esprit cosmopolite, et son instinct po- litique. La flexibilité du jésuitisme était tout Top- posé de la roideur de TEspagne; d'ailleurs, tant de précautions, d'ambages, de détours, convenaient mal à un pays qui ne discutait pas, brûlant les héré- tiques et ne condescendant pas jusqu'à les conver- tir. Les inquisiteurs devaient nécessairement l'em- porter sur tous les ordres. Au reste, ni Philippe II, ni l'Inquisition, ni les Jésuites n' eussent empêché la vie nouvelle de s'éten- dre, si une puissance plus réelle n eût combattu avec eux. Derrière ces armées spirituelles qui s'ébran- lent pour heurter le Nord, j'entends une voix que l'on peut considérer cpmme celle du cœur même de tous les peuples du Midi; c'est celle de sainte Thérèse. Êcoutez-Ia ! elle explique pourquoi le pro- testantisme s*arrète. La réforme a des docteurs, des héros, elle est audacieuse, elle plaît à l'esprit, elle l'a subjugué; et pourtant il lui manque quelque chose, puisque jamais elle ne s'est élevée au-dessus du cœur de sainte Thérèse. Une &me se sent blessée jusqu'à la mort du coup que reçoit le Christ dans ET !A RÉFORMATION. 285 le déchirement de son Église. Elle pleure avec le Christ, à la nouvelle du succès des luthériens; elle établit un ordre, pour combattre, mais seulement par les larmes, par le silence, par la douleur, par Tamour. Au milieu de la mêlée du Nord et du Midi de l'Europe, la voix de sainte Thérèse est la prière de la terre ébranlée. — « Qu'est ceci , s'écrie-t-elle, mon Seigneur et mon Dieu ! la terre brûle! ou mettez fin au monde, ou donnez un remède à de si grands maux , qu'il n'y a pas de cœur qui les puisse supporter, » Dans ce cri de sainte Thérèse, il y a un frémissement maternel comme dans le cri de la mère de Jésus au pied de la croix.On n'avait pas ouï sur la teiTe un pareil gémissement, ni vu un pareil brisement de cœur, depuis la descente du Golgotha. La réforme a opposé ses docteurs aux docteurs de Rome, ses armées à d'autres armées, Gustave-Adol- phe à Wallenstein; mais en quoi a-t-elle vaincu ja- mais ce cri d'angoisse parti du Golgotha du seizième siècle? où a-t-elle montré jamais plus de flammes intérieures, plus d'amour inextinguible que dans la sainte Espagnole? ce seul cœur qu'elle ne peut sur- passer montre d'avance que sa victoire ne sera ja- mais entière. Car le cri de cette âme percée des flèches de feu*, c'est le cri de la terre et du ciel du * Como si yiniesse una saeta de fuego. 23 }l^ià\f ç>$t Vf^f^^P^ ^^ ^^^ passion défdll^Qte, de ceUe faim d'ïjffQur qui est au iQod ^^ génie de l'EiyTppe ipéridipnale, et qui, s'éjevaatàlapluspvire pi^lssaupe^i portfiit au protestantisme Ip défi de Té- galeif, Qu^nd tout se. précipitait vers la haine, in- quisiteurS} douiinicains, jésuites, une femiq^ tient obstinéii^e^^ son cœ\\r attaché à une vision d'amour divin: par ce^e consta^ite aspiration où la réforme^ ^ peine à la suivre, elle fait autant que des ftrmées. Epire le ?îord et le Midi, la question était, ^u fond,^ de savoir lequel avait le plus de charité, 4'amQur, d'entrailles : sainte Thérèse a mis dap§ 1^ balance plus d'or pur que tous les docteurs du Saint-Siège. On demande ce que ferait aujourd'hui la fewwe qui aurait le génie divin de l'Espagnole? quel em- ploi la société moderne laisse-t-elle à ces sublimes puissances? Nous sommes trop disposés à penser qu'elles ne sont plus de saison ; nous ne savons plu^ assez comment une sainte pensée , même cachée, comme la lan^pe du foyer, re^yoïine aq loin, par des c][iemins inconnus! Nou&ne croyons plus qu'aux ef? fets ipimédiats. Et qui sait, pourtant, ce qu'uue nou- velle Thérèse trouverait raÔEpe daps ces temps de di^pi\tes., quel cri çUe pourrait jeter, de quelle pitié ^lateruelle elle serait encore saisie ! Fût*clle retirée dans une retraite plus grande (jue n*était le njo- ET LA Jlj^FQiVlJATION. ^f nastèrp d'Ayila^ cette âme finirait par percer le^qj^r railles ; ap la respirerait. sans savoir au elle vit. Yoilà donc la réponse du catholicisme à la réfor- mation d?ins le pays qui est le plus tôt prêt "^ la comT^ battre; on le croyait abattu, il reparaît dans sou ène.rgie première. L'Italie résiste par Tanathème. L^ confession d'Augsbourg se heurte contre le çoncilQ de Trente, les visions de sainte Thérèse contre )^ logique de Calvin, le jésuitisme contre le purita-r. nisme, après, quoi il ne reste plus qu'à l$^isser 1^ dis- cussion et à se jeter dans les effroyables guerres de France et d'Allemagne. Au milieu de ce chaos, celui qui ne regard^ que les disputer des théologieus, les massacres, les bû-. chers, doit penser que la réformatioa 8\ssaillie aveq cette violence imprévue , va disparaître. La dis^ cussion par la parole cesse ; les monuments écla-r tants de la première époq^ç desi réformateurs ne sq reproduisent pas ; il se fait ua moment de s^ilei^oo dans le protestantisme comme s'il allait se noy^ev d9.ns^ son sang. Mais ce silepce est celui du grain qui germçi dans une terre puissante. Le c^tholiicisqiiç to^ib^ alors daqs une illusiiQp irrémédiable; il eqtas^ U-t. vres sur livres, réfutations sur réful^itions ; il croit qu'il a vaincu, et c'est à ce moHient qu'il voit le pro»5 testantisme se revêtir en quelque sortç d'institutiops 988 L^ÀMÉRIQUE inexpognables : ses livres sont des révolutions. La république de Hollande, celle deGenève, la révolu- tion d'Angleterre, la constitution des États-Unis, toutes ces institutions qu'il for ire de son esprit lui sont une cuirasse contre laquelle s'émoussent tous les traits de la religion du moyen âge. Il s'élève à une forme de gouvernement plus chrétienne que ridéal catholique; montant d'un degré plus haut dans l'échelle de la politique de Dieu, il se rit des anathèmes du concile de Trente. En effet, comme nous l'avons montré ailleurs \ la constitution de l'Église catholique, réglée parce concile, est l'idéal du pouvoir absolu. Sur ce mo- dèle se sont réglées et formées les monarchies ca- tholiques du Midi depuis trois siècles. Qu est-ce, au contraire, que ces formes nouvelles montrées à l'Eu- rope, Genève, la Hollande et la révolution d'Angle- terre, sinon le protestantisme lui-même devenant l'âme de l'ordre temporel? Les docteurs catholiques disputent encore contre des individus ; ils pensent que s'ils avaient effacé tel livre, réfuté telle page, détruit la renommée de tel auteur, ils auraient avancé la destruction de la réforme ; et ils ne voient pas que cette réforme était si bien dans les desseins de la Providence, que, pour la mettre à l'abri de ^ * V. r UUramontanisme, ET LA RÉFORMATION. 289 toutes leurs colères, elle en a fait le fondement et le type des sociétés nouvelles. Il n'y a qu'un moyen d'abolir le protestantisme : c'est de lutter non par des controverses, par des sermons, mais par des œuvres vivantes, par des institutions, lesquelles donnent la mesure de l'esprit qui les crée. Vous voulez réfu- ter d'un mot la réforme ; j'y consens ; moi-même, je ne pense pas qu'elle soit le dernier mot des choses. Laissez là Luther, Calvin ; élevez quelque part une société pluslibre que l'Angleterre, plus franchement • démocratique que les États-Unis, plus universelle que la France de la révolution, voilà à quoi vous êtes obligés. Les livres nie la réforme du seizième siècle sont aujourd'hui des caractères vivants. Pen- sez-vous les effacer avec de l'encre? Bossuet est éloquent; mais la révoiution d'Angleterre parle en* core plus haut que lui. Qui ne reconnaît^ en effet, dans les institutions sorties de cette révolution, l'âme de la réforme au sein d'une société féodale? La Charte, n'est-ce pas la Bible politique devant laquelle toute discussion s'arrête? Cet esprit de révolte qui semble vouloir tout briser et qui ne va qu'à s'incliner devant le livre de la loi, cette apparence de rébellion qui rend l'obéissance plus frappante , cette consécration des droits de l'individu, ce foyer domestique respecté tgO LÀMÉRIQUfi autant que le temple, cette prédestination de bon- heur etde malheur qui concilie l'inégalité avec la liberté, ces garanties de la presse qui ne sont qu'une suite du droit d'examen ; enfin la monarchie tron- quée, décapitée comme la papauté, ne sont-ce pas là trait pour trait les dogmes des premiers réformateurs? Montesquieu ta chercher dans les forêts des Ger- fluiins le sceau de la constitution d'Angleterre; il est visible, que ce mystère est écrit dabs l'idéal de l'É- glise anglicane. La révolution d'Angleterre, comme la réformation, semble moins se précipiter dans l'a- venir que tendre vers un passé inaccessible ; les An- glais cherchent la liberté comme la religion, en remontant à leur berceau, non pas en hâtant le len- demain ; et, conformément à Vesprit de Calvin, leur révolution a cela d'étrange que les plus emportas àe proposent moins d'innover un ordre inconnu que de restaurer une félicité oubliée dans la vieille Angleterre. Ajoutons ce point important : la réforme avait diminué la solidarité entre les hommes ; les œuvres, les mérites de l'un ne sei*vaient plus à l'autre ; cha- cun était pour ainsi dire chargé tout seul du soin de lui-même; ce caractère se retrouve tout entier dans la révolution britannique. Au milieu de la plus ghinde ferveur des |)artis, personne ne songe à éten- de M tië hëtitellëâtii peuples éti^tl^ëfl Le volcan , ET LÀ ftÉlrtifekATION. lâi se édnsume dànS rocéari , il tf êchailfflë pas lé t^éste du hiohdé. Vous diriez d'ud sëliisfiië pcililîqlîe avec Inhumanité ; fc'est tout lé fconttairfe dé Ik réVbîUlioh universelle fet vêHtablénien't câthdllqUé iîé Frànfcé. b'ailleurs, pour juger là lutté du Calhollcistiiô ihb- deriieetduProtestaiitistne, ilfaùlsorli? deVËurtipé. îci, trop d'établissements antiqliés, dé cblitûiriës lés embarrassent l'un et l'aulfe dans léllrfe moùvemehtè. La Providetiicé les appelle tous deui dahs ilh vaste champ clos, où chàcuii n^étaiil environné cjUë de ses œuvres^ ne sera jugé que pat* elles. L'Église du tnoyen (^é et là ftéfdi-matidri klirdht bhaëiliié en Amérique un monde etitier pour s'^ mesurer à Tàisé. Duel qui à le ciel et lii terre ^our lémbinSl Qtièl- qiies hotnniës arrivent isoléitiént sur jà |)lagë Be rAmérique du Nord; pauvres, àâhs nom, iàns passé, ils n'apportent àveceUx qu'uri livre, là Bible; ils l'ouvrent sur le rivage, et commehcent aussitôt à édifier la cité nouvelle sur le plail du llvfe retfouVé par Luther. Le principe protestant se réalise là âveé tUie suite manifeste; et il est siirpreriânt î[lué {itusieuts des écrivains qui, chez nous', ont 4ràité de la dé- mocratie en Amérique, n'aient vu dans ces itlstitu- tiôns quel l'influence vague de là religion en gé- tièrâl Ces ifistitutioris portent . ëxclusiVethetit le f» ^AMÉRIQUE sceau de la réforme. Car ehacua des fondateurs s'en va à Técart dans le fond des forêts ; il est là^ pour ainsi dire, le roi d'un monde; il ne relève que de lui-même dans Tunivers physique et dans l'uni- vers moral. La nature et la Bible l'enveloppent. Dans cette immensité, il est lui-même une église ; prêtre, roi et artisan tout ensemble, il baptise ses enfants, il célèbre leur mariage. Peu à peu d'autres souve- rains semblables à lui se trouvent presque sans le sa- voir toucher à ses confins; les intervalles se remplis- sent ; la cabane devient village, le village devient ville. La société se forme sans que l'individu ait rien à cé- der de son pouvoir ; et ce spectacle ne s'est pas vu deux fois. L'Ëvangile, partout ouvert, est le contrat primitif qui, de ces solitaires, fait les citoyens d'une république d'égaux. L'autorité que chacun s'attribue sur la croyance conduit nécessairement àla souverai- neté du peuple en matière politique; comment celui qui est souverain dans le dopne, ne leserait-il pasdans le gouvernement? Chacun a son vote dans la cité de Dieu et dans la cité des hommes; et cette li- berté qui enfante les sectes a pour forme nécessaire la confédération. Ainsi, cette société des États-Unis renferme dans son berceau la force que donne la conséquence ab- solue d'un principe. Les Européens, qui n'ont pas ET LA RÉPORMATION. jgs le secret de cette organisation et ne voient pas quelle en est la base sacrée, décident de tout sur leurs antiques^ formules. Au moindre mouvement qui les étonne, ils prophétisent volontiers cet ancien adage, que la forme républicaine n'est possible que pour les peuples de médiocre étendue; sur cela, ils déclarent que les États-Unis, demain ou aprés*de- main, vont crouler et retomber dans la monarchie. Mais sans même prendre garde à ces avertissements, l'Amérique du Nord sent qu'elle n'est pas bâtie sur le sable ni sur une convention vague ou arbitraire, que le germe de ce grand arbre social qui prend chez elle son développement libre est un principe positif, le protestantisme, qu'aussi longtemps qu*on ne l'aura pas extirpé, ou remplacé par la hiérarchie catholique, la vie républiciaine peut s'épanouir et croître sans limite. Aussi, voyez le calme et l'audiice de ces houi- mes! je retrouve dans le tempérament de cet em- pire naissant , tout ensemble la fougue do Luther et la froideur de Calvin. Quelle intrépidité îi s'élan- cer dans cet infini visible, à reculer de plus en plus les barrières, à dompter les hydres des fo- rêts I travail d'Hercule accompli par un esprit chré- * tien ! sainteté du travail de l'hommo occupé Ix don p- ter tout un hémisphère! Un empire se faitarlisau; 2l4 L^XMÊhlQUfe Tâteller est un nouvel univers; les inslftltaeùts sont les Ûeuves; le Christ redevient charpentier. Écoutez lé bruit de sa cognée ; il abat le chëhe primitir au milieu de la forêt inviolée. La sueur inonde ses joues.'Tout le monde croit qu'il n'est oè- cupé qile de l'équerre et du compas. Il bâtit à grand' peine, prés du torrent, uile cabane inconnue; à peine si le voyageur consent à détournet la tête vers cette humble demeure , où le bruit de la hache et du marteau se mêle au chant d'un psautne. Mais si quelques années après il repasse au même endroit^ il voit, par une sorte de miracle sdcial, à la placé de la cabane, un empire puissant qui se lève de terre. Le charpentier est devenu iMnstituteur d'Un monde. Dans cette Amérique du Nord, qu'on nous dé- peint si matérielle, je trouve l'écrivain le plus idéa- liste de notre temps. Comparez les formules souvent alexandrinesdela philosophie allemande, àVinspira- tion, h l'essor, à l'élan moral d*Etne rson ! Une phi- losophie viei^e devait naître à la fin dans ces fofêts vierges; elle commence à y poindre. L'homme que je viens de nommer sufBt pour prouver que de hardis pionniers s'engagent, en Amérique, àla recherche du vrai dans le monde moral; ce que nous publions ici (iu haut des ruines du passé, bien souvent il le publie de même dans l'essor et la solitude d'utie nature toute ET LÀ ftËrÔRMATION. ISS neuve. Que veulent dire ces voix, ces âmes qui se rencontrent sans se connaître à trâ>rers TOcéati? Pouf avoir quitté le passé, nous ne sommes point égarés bi les uns ni les autres, comme flans utiè île déserta; âur le sable inviolé du Nouveau-Monde, voilà les pafe d'un honîme qui tend à l'avenir par lé même chB^ min que nous ! n Dans cette grande lice ouverte lentiré deut reli- gions, le catholicisme du Concile dé Trente ft l'eçtt pour se développer l'Amérique du SUd. Là , l^S fondateurs ne sont pas des individus isolés ; c'estj M contraire, conformément au principe catholique ^ une association formée d'avance, un empire puissant qui, armé de toutes Ses forces, Vient prendre pdsiseSi- sion du sol. L'Espagne avec son Église, son autorité, ses armées, S'assied eu Amérique; pourvue là part soit plus belle, d'un côté le peuple qui vient oô- cuper ce théâtre est le bras droit du catholicisme, de l'autre, la contrée qui lui est donnée est la plus visiblement favorisée du Créateut'. Deà va,ilées, des plaines neuves semblent appeler la vie qui doit y faire germer des empires nouveaux. Afin que l'expérience soit plus décisive, on ne permettra l'ap- proche de ces rivages qu'au catholicisme seul ^; la ci- * D'après le recensement de 1796, sur les six millions d'Indiens du Pérou, cinq millions et demi avaient été détruits. Aiyourd'hui le catholicisme tend à conserver les indigènes. / rAMÉRIQDE TÎIisation des indigènes aurait pu le contrarier peut- être en quelque chose; elle disparaît. n ne reste plus qu'une nature puissante, qui, dans sa solitude, invite Thomme à la couronner de vastes pensées, de projets, d'innovations, de sociétés, de royaumes gigantesques comme elle. Mais l'homme reste immobile ; une Force invisible lui lie les bras. Sa pensée ne se hausse pas, ne grandit pas, dans ce moule nouveau qui s'ouvre pour la recevoir. Trois siècles passent ; tout tarit près de lui. Au milieu des forêts virginales, pas une pensée nouvelle n'éclate dans une institution, dans une œuvre, ni même dans un livret Le soufSe matinal de l'univers passe sar le front de l'homme, et ne peut raviver ce vieillard. Que sont ces berceaux d'empire, Mexico, Rio- Janeiro, Buenos-Âyres, Lima', qui, dès le premier jour, ont les rides de Byzance? Le seul Chili ^ sem* * Il était d*ailleurs défendu dMmprimer en Amérique un livre quel- conque, même de dévotioh. Lastarria, p. 42. * En 1706, une ordonnance de Lima, défendit aux noirs, aux mu- lâtres, aux métis et aux Indiens de commercer, de trafiquer, de vendre dans les rues, par cette considération, « qu'il ne serait pas décent que « cette sorte de gens s*égalAt à ceux qui ont choisi ces professions, tt et qu*il convient de la réduire aux occupations purement mécani- « ques, puisqu'elle n*est propre qu*à cela. » ^ J*ai sous 4es yeux un morceau plein d*élévation et de logique sur les rapports de TÉglise et de TÉtat dans le Chili, par M. Frandtoo Bilbao, Soctahilidad Chilena; il est vrai que cet écrit a été condamné comme hérétique par les tribunaux du Chili. Ce peu de ys^ montre- ET LA RÉFORMATION. 297 ble garder encore Fâme des anciens Aravicans dans le poëme d'Ercilla. Que signifie ce prodige de sté- rilité, dans un monde nouveau, sinon que l'idée qu'on y a apportée avait déjà donné ailleurs tous ses fruits, que le catholicisme, essentiellement con- servateur depuis trois siècles, a perdu la force d'im- pulsion, l'esprit de création; qu'il est incapable de répandre désormais sur les vastes océans le Verbe qui enfante un nouveau monde social; que son âme, emprisonnée dans les cathédrales du moyen âge, n'a plus la force de la tempête divine, pour purifier le chaos et baptiser les continents? Dans sa jeunesse, que n'avait il pas fait des forêts abruptes des Gaules, de Germanie, de Bretagne ! Quelles cathédrales il avait su tirer des montagnes ! Quels cris,quelles paroles il avait arrachés des pierres! Comme il avait plié cette nature à son image ! Et maintenant le voilà transporté dans la nature sans tache que rêvaient les ermites, les saint Paul, les saint Antoine, les Athanase des premiers temps! Il voit ce monde immaculé, et il ne le comprend plus. Tristement il s'assied, immobile aii bord des grands fleuves, n'ayant que des souvenirs dans un monde raient seules, qu'en dépit de toutes les entraves, on commence à penser avec force de Taulce côté des Cordillères. Le baptême de lapa^ rôle nouvelle f el baustismo de la palabra nueva^ voilà des mots qui ont dû étonner dans une brochure écrite aux confins des Pampas. qui n'a point (j|e passé, ne sacbanteomment s* associer ^tant de jeunesse, y reno^içant bientôt , refaisant au pied des Cordillères ce qu'il faisait sous les Méro- vingiens, sans que le chœur d'adoration qui émana de tant de créatures nouvelles ajoute un seul accent, une seule forme, une seule note a sa liturgie, et sem- blant répéter k chaque mot : il est trop tard, il est trop tard pour aimer, célébrer, embrasser les œu- vres sorties hier toutes vives des mains du Diei^ tour jours vivant. Vous cherchez la cause du mal étrange qui dé- vore les institutions de l'Amérique du Sud ; d'après ce que je viens de dire, il n'est pas malaisé de la découvrir. Ce mal est la cootradiction. D'un côté, la religion d'État, le catholicisme du Concile da Trente, fait planer sur ces peuples l'idéal du pou- yoir absolu et l'ombre de Philippe IL De l'autre, le ^oufDe de l'Amérique du Nord et de la France est îfrrivé jqsqu'à eux ; il les tourmente d'un désir inextinguible de liberté. Entre ces deux force3 oppo-. sées, qu'arrive-t-il? ces peuples s'agitent d'un m^ur vejm^nt désespéré. Quoiqu'ils fassent, ils finissent io^^ityblemeqt par réaliser dans la politique l'idéal qu'Us oat inscrit dans la religion d'État, c'est-à-dire le pouvoir absolu. Tout ce qu'ils peuvent faire est de changer de dictateurs. On voit alors des'républi- q^^ u'abaufir Jf^m^is qii'à resserrer lf)\ir sqrvitq^ô. Supplice Boiiyeftu ! t'Apiérique du Su4 ^\ QOPçbée à Voiftbre d'un vaste manceDiïIier qui lui vep$^ sa torpeur; le tropc e^t l^s r^icipes jetés d^ins un 9\{lYe continent lui ratent ÎQvisitdes. Cependant qui oserait dire que ces deux religions, le catholicisme et la reforma ^ ne soient miijes aipsi en présence que pour un vain spectacle? Si cha- cune d'elles a reçu ainsi touf un monde , n'est-ce pas un signe qu'aucune d'elles ne yaincra $ans par- tage, et qu'elles sont destinées à se fondre dans 7) une unité plus haute, où Tenthousiasme de sainte ('. Thérèse pourra se concilier av«c le raisonn^^ieni |(^ de Calvin, où la tète et le coeur s'entendront d« : Bôi^ve^u 7 L'idéal de Christophe Colomb rassemblait les deux pôles de la pensée humaine, la rectitude des géomètres, la flamme des prophètes, la liberté des esprits dissidents; et de même que dans le passée ehaque missionnaire communiquait son esprit par-* ticulier à la contrée où il était envoyé, qu'Orphée léguait son âme d'artiste à la Grèce , saint Paul son esprit de discussion à ses églises d'Asie ^ saint Pierre son esprit d'autorité à son Église romaine, ne peut- on pas penser que cette grande âme de Christophe Colomb, qui contenait tout ensemble, par avance, Rome et Genève, l'orthodoxie et l'hérésie, le Nord 30D L*A1IÉRIQUE ET LA RÉFORMÂTIOlIf. et le Midi y deviendra tôt ou tard le principe vital de la communion ilu Nouveau-Monde T L'héré^e de Christophe Colomb , plus vraie que la vieille or- thodoxie, est le grain de vie semé dans le sillon de l'avenir ; tôt ou tard, la société, en croissant, res- semblera à son germe. L'unité morale que Colomb poursuivait sur son vaisseau n'est pas encore atteinte; mais depuis qu'il a commencé à la chercher, le rivage d'al- liance n'a cessé de se rapprocher. Le monde social flotte aujourd'hui, impatient de toucher le bord où les pressentiments vont se réaliser. Quelques-uns crient déjà Terre! souvent c'est un nuage. Mors la foule désespère ; elle demande à retourner dans le passé, sur le seuil de la vieille Ëglise.D'autres aperçoi- vent des oiseaux voyageurs, des herbes marines, et ils voudraient se détourner vers chacun de ces signes. Mais un souffle inexorable enfle les voiles du vais- seau qui ne peut reculer ; le moindre cœur qui s'é- l&nce le hâte comme le battement d'une rame. Il marche, il ouvre son sillon, il avance. Dieu l'at- tire vers le port. DOUZIÈME LEÇON. L*ËgHâe renverse TËglise. — La France catholique se défie du catholi* cisme. — P^lilique sacrée de Bossuet : la charte du pouvoir absolu. — Quel est le signe d*un gouvernement légitime et chrétien ? — Une Eucharistie sociale. — Les libertés gallicanes et le futur Concile; une servitude dissimulée. — La papauté donne au dix-huitième siècle le signal de toute négation. — La bulle Unigenitus. Le christianisme nié par le Saint-Siège. — La guerre civile dans rÉglise; Bossuet et Fénelon. — Nécessité d'un autre idéal. — La littérature française est^Ue catholique? — Comparée à la littérature espagnole. — La philosophie légitimée par TËglise. — Fausse passion de Tesprit chrétien au dix-huitième siècle. 24 DOUZIÈME LEÇON. L'iGLÎSB GALLICANE ET l'ÉGLISE DE l' AVENIR. Dans cette crise qui partage le monde entre le catholicisme et la réforme , lorsque chacun fkit sqqi choix, et que l'on voit la France, après quelque hé« sitation, se décider pour TËglise du moyen-âge, s'y rattacher avec fureur dans là Ligue, avec réflexion dans le dix-septième siècle, on doit craindre que ce pays ne s'interdise'pour toujours la voie de Tavenir. En s'enfermant dans le cercle de l'Espagne et de l'Italie, ce peuple ne se condamne4-il pas inévita- blement au même déclin? Gomment pressentir que \ i I 304 UÉGLISE GALUCANE la nuit de la Saint-Barthélémy puisse aboutir jamais au réveil de la Constituante , et que le même peu- ple se donne le plaisir de consacrer toutes les en- traves pour les briser toutes ensemble? l'imagination I ne va pas jusque-là. Par cet acharnement contre les I nouveautés du seizième siècle, il paratt évident que I la France s'enchaîne au passé de la race romane, I qu'elle se lie des mêmes entraves que les peuples du Midi, qu'elle consent à rester une province conquise de Rome spirituelle. La France suit la Gaule dans sa défaite ; elle refuse de s'affranchir ; le pape con- serve sur elle la moitié des droits de César ; tout cela semble irrévocable. De plus, pour que l'on sache à quoi l'on s'en- gage en restant dans l'alliance de l'Église du moyen-âge , il arrive que l'écrivain , que l'on appelle avec raison le dernier des pères, Bossuet, se charge d'écrire la charte politique ^, qui est la con- ditioo de ce pacte. Avec une candeur incomparable qui n'appartient qu'au génie, Bossuet déduit du ca- tholicisme moderne la constitution idéale de l'État; jamais assurément on ne mit tant de logique, de bonne foi, de modération à tracer la théorie du pou- * PoUHque'iirée de V Écriture^ par Bossuet/ Voyez aussi la PoUtica de Dios^ par Quevedo. C*est un des plus beaux litres de TEspagoe du «lix-septième «'«'•cle. ET L'ÉGLISE DE L'AVENIR. 505 voir absolu. La monarchie, sans limite qu'elle- même , sans contrôle sur la terre, TÉtat tout entier contenu dans le roi, la suppression entière de l'au- torité du peuple, tous les droits d'un côté, tous les devoirs de l'autre, renfermés dans l'obéissance aveugle, découlent de source sous la plume de Bos- ' suet; jamais un scrupule ne l'arrête dans cette écla- tante charte de servitude. On la croirait née dans la pensée môme -de Louis XIV. L'évoque de Meaux donne à son prince la môme autorité qu'a celui de Machiavel; mais tandis que chez le publiciste florentin on jouit au moins des angoisses du tyran , on éprouve une sorte d' effroi de voir le roi de Bossuet se faire despote j par scrupule de conscience. 11 usurpe tout, il ab- sorbe tout, pour mieux imiter le dieu de l'ortho- doxie , dans sa politique sacrée. Cette Hgnée non interrompue de monarques absolus que Bossuet évoque autour de vous, depuis les patriarches et les rois de Judée, cette tradition d'esclavage qu'il fait remonter au delà du déluge ne laisse pas une issue par où l'on puisse respirer. Dans cette continuité d'obéissance passive, toute liberté semble hérésie ; et cette servitude politique, qui va en s' amoncelant et se consacrant de siècle en siècle, comme l'ortho- 806 L*ÉGLISE GALLICANE doxîe même, écrase Tesprit» mieux que ne fout la violence et le fer de Machiavel. Car, remarquez que dans cette charte catho- lique toute espérance est ôtée à qui voudrait en sortir. Le lien enveloppe l'avenir autant que le passé : nul crime, nul parjure du roi ne peut affran- chir les sujets. Aucun engagement ne le lie; il n'a Hen promis ni juré. Tout se passe entre Dieu et lui; il est sacré; le peuple ne peut rien sur la couronne de ce Christ. D'où il résulte que toute révolution est en soi illégitime et impie. Les remontrances à voix basse, et si elles ne sont pas écoutées, les sou- pirs, les gémissements, c'est jusqu'où va le droit des peuples. Le catholicisme, ayant pour principe de voir toujours le droit où est le fait, l'esprit où est le signe, l'Ëvangile dans le prêtre, la légitimité dans le prince, troubler l'ordre des dynasties équivaut pour lui à troubler Tordre intérieur de Dieu même. C'est-à-dire que l' Église, par la voix de Bossuet, en retenant la France dans les chaînes spirituelles du passé, lui ôte tout lendemain politique. Éterniser la monarchie de Louis XIY est le dernier mot de ce prophète. La Révolution s'avance; il lui jette pré- maturément Fanathéme. Ce grand homme, aveuglé par son Église, ne veut rien voir, rien pressentir de ET L'ÉGLISE DE L'AVENIR. 507 €6 qui se prépare; tout son génie ne lui seH ici qu'à se faire démentir, tin siècle après, et par le roi , et par le peuple, et par le pape même; il fait l'oraison funèbre de l'atenir^ au motdent où rarenir se lève. Voilà donc la Fralice garrottée par le plus grand de ses prêtres, dâtis le coi*ps et dans l'éi^prit. Il faut | pourtant qu'avant peu d'années, ces liens si serrés I tombent les uns après les autres^ que ces traditions j de mort aboutissent à l'éclat de la Constituante, i Louis XIY à Napoléon, la soUteràiueté du roi à la j souveraineté du peuple, et qiie cette politique de f Bossuét soit corrigée par une politique plus sacrée. Gomment cela pourra-t-il se faire? Révolution spiri- tuelle qu'il faut suivre avant de toucher à \â révô-. lution politique. Avant tout, vous me demandez à qilel signe je r&* ijonnais si un gouvernement est vraiment chrétien ; Je réponds que j'ai vainement cherché cette marqué distinctive dans les écrivains ecclésiastiques^ Mais après y sLvoir bien son^é ^ je pense qu'un souverain est chrétien, dans le vrai sens du mot, non pas sMl protège l'Église^ s'il jure le serment ordinaire d'exterminer les hérétîij[ues, mais bien , si à l'imitation / À\x Christ^ il donne lui-même sdn esprit et son âme ( jen pftture à son peuple. Un gouvernement légitime 508 L ÉGLISE GALUCAiNË et chrétien est une sorte d'Eucharistie sociale, àuis laquelle le souverain nourrit un pays, une nati(Hi de sa propre substance morale. Si le chef de TËtat se nourrit de son peuple et le dévore , il fait le contraire du Christ : quelles que soient les apparences, sa po- litique est Fopposè de celle du Dieu des modernes. Sur ce principe, jugez Taction des princes et des peuples dans la politique universelle; beaucoup de choses vous apparaîtront dans un jour inattendu.Les gouvernements de Philippe II , de Louis XIY vers la fin, de Louis XY, bien qu'appuyés sur TËgliseet sur les confesseurs, ramenant à eux toute la sub- stance de leurs sujets, les brisant comme le pain, étaient devenus des monarchies anti*chrétiennes. Au contraire, le peuple de France, emporté dans un moment de fureur contre TËglise visible, mais se distribuant, pour ainsi dire lui-même, à toute la terre, et disant aux autres peuples en répandant son esprit : Ceci est mon corps et ceci est mon sang ; ce peuple était, au milieu de son blasphème, plus chrétien que ce qu'il renversait. Pendant deux siècles, le Nord et le Midi se sont déchirés pour la question de l'Eucharistie et de la présence réelle de Dieu. Ils n'ont pu réussir à se ré- duire l'un l'autre. Le catholique n'a pu forcer le cal- ET L'ÉGLISE DE L'AVENIR. 301^ viniste de croire que Dieu soit enfermé dans une hostie ; le calviniste n'a pu contraindre le catholique d'admettre que le mystère de vie se réduise à la commémoration d'une scène historique, passée il y a dix-huit cents ans. La Terre s'obstine à répéter aux uns, que Dieu nourrit aujourd'hui les âmes comme il les nourrissait autrefois, dans la cène d'Emmaiis; aux autres, qu'il n'est pas attaché à un objet indé- < pendamment de l'Esprit. Le monde commence à entrevoir qu'il ne communie pas avec le ciel seule- ment par l'hostie, ou par les vases sacrés. Une pen- sée d' en-haut qui fortifie^votre cœur comme le vin, une parole intérieure qui la nourrit comme le paiu, n'est-ce pas là aussi une hostie sans tache? L'en- thousiasme désintéressé pour la cause de l'univers, n'est-ce pas aussi la nourriture des anges? Pour moi, j'estime que toute la France a communié le jour du serment du Jeu de Paume ; et qui m'assurera que tous les continents qui se rapprochent ne commu- nieront pas à la fîn, à la même heure, dans un autre serment répété par tous les membres de l'Assem- blée du genre humain ? En entrant dans ce point de vue, il est aisé de montrer l'enchaînement du dix-huitième siècle, et comment la vieille société détruisant elle-même / 310 L ÊGUSE GALUCAKE cbaqoe jour on de ses principes, ne laisse pins à lafin qu'un cadavre à renverser, quand la Bévolotionar- rive. Um seule chose servait de limite à la monar- chie de Louis XIY; c'était l'autorité de r%lise qui planait sur le roi. Cette ombre éloignée devient insupportable; le demi-dieu de Versailles ne peut tolérer d'être primé par l'autorité du demi-dieu du Vatican. Le clergé de France, par la Déclaration de 1682, affranchit le monarque de ce reste de dépen- dance spirituelle. L'État politique est ouvertement délié de l'Ëtat religieux ; on brise le nœud gordien, le trône se sépare de l'autel ; il s'estime assez puis- sant pour ne s'appuyer que sur lui-même^ Tout le monde pense, ce jour-là, à Versailles, que la monarchie absolue , débarrassée du contrôle de Rome, n'a plus rien à redouter; et, au contraire, il se trouve que ce prétendu affranchissement est la ruine de cette royauté sans limites ; et les libertés de l'Église gallicane, proclamées au profit de Louis XIV, deviennent, dans le fond, le premier acte de la Révolution française. Comment cela? Le voici ; il est étonnant qu'on n'ait pas fait encore cette remarque. La monarchie absolue de Louis XIV avait pour condition la monarchie absolue du catholicisme ro- ET L'ÉGLISE DE L'AVENIR. 311 tnftin* Geft deux chdses sont inséparables^ Vou- loir s'af&atichir de Rome, c'était en réalité^ pour Louis XIV et ses successeurs, se dépouiller de leur principe et détruire leur fondement Je veux bien, si je suis croyant, me soumettre au pouvoir absolu, à la condition que l'on me moùtre que ce pouvoir est une suite de ma croyance, que je ne puis dis- cuter le premier sans ébranler la seconde. Cette royauté, enveloppée des mystères du catholicisme, devient elle-même un objet de foi; je suis investi de tous côtés; je plie le genou devant une autorité qui couvre le roi par le prêtre, et le prêtre par le roi. Mais, si cette monarchie, en restant absolue, ne veut pas même se laisser limiter par son principe, si elle met son génie à se séparer du sanctuaire, à des- cendre dans la place publique, à ne s'appuyer que sur elle-même, alors son orgueil fait sa perte ; car je la surprends dans son isolement et dans sa nudité. Toutes ses draperies ne m'empêchent pas de mesu- rer le vide qu'elle a elle-même creusé sous ses pas. Pour être maîtresse plus absolue elle a repoussé l'au- torité qui la soutenait; il ne lui reste plus qu'à tom- ber» Conserver la forme absolue de la monarchie d'Espagne, et se délivrer de ce qui en est la sanc- tion, est une chose impossible. En détruisant soi! lien 3f2 L'ÉGLISE GALLICANE avec la catholicité romaine, Louis XIV détruisait la racine même de son autorité. Il croyait monter sur le trône de Charlemagne, et^ dans le fait, il com- mençait à descendre les degrés de Louis XVL Cette séparation du spirituel et du temporel, qui est le fond de l'Église gallicane, renferme en soi un singulier présage. Chaque peuple suit avec confiance ridéal de sa croyance; TËspagne s'identifie avec le catholicisme, l'Angleterre avec le protestantisme. Au milieu de cela, la France seule déclare à plu- sieurs reprises, depuis des siècles, qu'elle sépare sa destinée de la destinée de son Église ; elle consent il ne pas la changer; mais elle prend d'avance cette précaution de ne pas lier sa fortune à celle du ca- tholicisme. Elle ne tolère pas d'autre culte; cepen- dant, elle refuse de s'engager à accepter le sien pour idéal de sa vie politique. Quelle étrange réserve ! ou plutôt quelle dé- fiance précoce dans ce que l'on nomme les li- bertés de l'Ëglise gallicane ! Au moment même où sa foi est la plus vive, la France ne donne au catholicisme que la moitié d'elle même , comme si elle pressentait déjà que cette croyance n'est pas celle où elle doit s'arrêter. L'Église d'un côté, la France de l'autre. Si la première languit, la ET L'ÉGLISE DE L'AVENIR. 543 seconde ne lui est pas enchatnée ; on conserve au milieu de soi Tesprit du passé, on se réserve de ne pas l'écouter. Étrange convention, pleine de soup- çons, et qui seule explique comment notre pays, sans se donner au protestantisme, a pu échapper à ce que Saint-Simon appelle le chancre rongeur de Rome. Les États du Midi n'ont pas eu un seul mo- ment d'appréhension ; ils se sont embarques sur le vaisseau du catholicisme pour surnager ou périr avec lui. Ils se sont donnés tout entiers, ingénument, sans se ménager d'issue; aujourd'hui les voilà en effet qui périssent sans savoir par où se ressaisir. Si les libertés gallicanes ont permis ainsi de ne pas tout mettre, ciel et terre, croyance, patrie^ dans un même enjeu, voyez d'ailleurs les contradictions où «lies ont jeté l'Église ; vous les jugerez par un seul mot. Sur quoi reposent ces libertés ? Elles con- sistent, en dernier recours, à appeler du pape au pitur concile ! Mais cette assemblée, qui doit rétablir tous les droits de l'Esprit, où a-t-elle paru î qui en a entendu parler. Il y a trois siècles que le christia- nisme a formé cet appel; de bonne foi, ne craint- on pas que la patience se se lasse, que le droit ne succombe, et qu'en attendant le Christ ne meure en-' core une fois de soif sur la croix ?* 514 VÉCU» GàlXiCAMP On répète encore de nos jours^ qnerËf^galli-^ caoeest libre parce qu'elle n'accepte d'autre seuye^ rain que le pouvoir des assemblés œeouiéniques.Qii0 diries-vous d*uu Ëtat qui se croirait indépendant parce qu'intérieurement il prendrait en patience sa servitude, en se complaisant dans le fentôme d'une prétendue assemblée constitutionnelle, qui jamais ne se réaliserait, que personne ne songerait à oonvo* quer, qu'on saurait impossible, et que tout le monde craindrait également? Si les siècles se passaient et que ce même peuple continu&t de goûter l'escla- vage, d'ajourner le réveil, de se proclamer libre, uniquement parce qu'il s'amuserait de ce leurre d'une délibération future, saqs rien faire même pour la provoquer, et si sa vie se tarissait ainsi en se trompant complaisamment lui-même, ne serait-ce pas là une illusion insupportable, puisqu'elle donnerait à des esclaves Tinfaluation des hommes libres? Or, cette condition doublement fictive est celle de l'Église gallicane ; ou plutôt c'est ce mensonge qui Ta amenée à cette profondeur de néant où vous la voyez aujour-^ d'bui et d'où rien ne peut la faire sortir. L-uItramontftnisme est encore un système; le gal- licanisme n'est plus qu'une chimère; car le monde détrompé, las d'attendre le rêve de cette assemblée ET L'ÉGLISE BE L'AVENIR. 515 qu'on ajourne à la consommation des temps, a con- voqué de lui-môme la Constituante, la Législative, la Convention. Est-ce là le futur concile de l'Église gallieane? je le veux bien, qu'elle choisisse. Sinon, que l'on nous dise au moins combien de siècles il feut patienter encore. Pour en finir, ajoutez que ce rêve, en décapitant la papauté, ne la remplace que par une autre servi- tude. LoTÈ même que cette illusion du futur synode s'accomplirait pour nos descendants, ce ne serait en- core là qu'une autre forme de l'esclavage; puisque dans ces libertés prétendues, il n'y a qu'une chose qu'on oublip, le droit sacré de l'individu, rautorité désormais4nviolable de la conscience privée, le dieu intérieur caché dans chacun de nous. Convoquez aujourd'hui les évoques et arche-» vèques de toute la terre; que cette assemblée prétende décider en maltresse absolue du monde intérieur; sa tyrannie me sera aussi insupportable que celle de l'Évêque de Rome. Qui pourrait aujourd'hui se démettre dô sa pensée, de son droit moral, de l'évidence intérieure, devant une réu- nion du clergé, quelque nombreuse qu'elle fût? Dans la nouvelle constitution de l'esprit, chacun doit se représenter lui-même; il n'y a plus de 316 L ÉGLISE CAUJCANB députés ni de mandats; nul ne peot céder à un autre le droit de voter k sa place sur les questions étemelles* Le Catholicisme sait très-bien que le Concile est fini pour toujours, qu'il ne doit plus être rouvert, que s*il fallait mander devant lui les Jean Huss, les Jérôme de Prague, les Luther, les dissidents de nos jours, il risquerait d'amener le monde à sa barre. Il a perdu la majorité sur la terre ; et l'on veut qu'il '. s'en remette de sa destinée à l'ancien vote par tête de nations! Comment le lui demander? Dictature pour dictature, la plus logique l'emporte par la force des choses. L'orthodoxie catholique doit se confondre de plus en plus avec l'ultramontanisme ; c'est là sa pente et sa nécessité ; et le grand avantage que j'y découvre, c'est qu'entre l'Église du moyen- âge et l'esprit vivant, il n'y aura bientôt plus de faux intermédiaires. L'extinction dffces libertés gallicanes auxquelles je viens d'ôter le masque rend plus nette la situation du monde. Désormais le passé et l'avenir sont aux prises, sans que personne puisse s'abuser ni sur l'un ni sur l'autre. Si l'on veut voir de plus haut combien la vieille société française était condamnée, longtemps avant la Révolution française, il suffit de considérer le pre- ET L'ÉGLISE DE L AVENIR. 517 mier mouument du Saint-Sîége au dix-huitième siècle; on s'aperçoit alors que cette vieille société est frappée à la tète ; la papauté a le vertige. En effet, son danger lui apparaît pour la première fois. Le jansénisme, poussé sur les voies des réforma- teurs, tendait comme eux à diminuer rautorité des prêtres en tout abandonnant à Dieu. Le péril étaitrèel pour l'ancienne Ëglise ; malgré les serments d'obéis- sance, nul ne pouvait dire, en entrant dans ce che- miu; où il s'arrêterait. Port-Royal ruiné se relevait dans lésâmes. Cette même humilité de Luther et de Calvin, présage dé révolte, reparaissait sous d'autres traits, au milieu de l'Église catholique. On se sentait menacé du fantôme delà réforme jusque dans le sanc- tuaire. Alors, qu'arriva-t-il? la chose la plus extra- ordinaire du monde, et à laquelle je ne puis me lasser de songer- C'est que, pour en finir de ces armes spi- rituelles que les adversaires empruntaient aux Écri- tures, la papauté imagina d'effacer d'un seul coup et d'une manière solennelle Tesprit et la lettre de l'É- vangile. Je m'explique. Le Saint-Siège, en 1712, publie sa bulle Umge- [ nUus , monument incroyable daus l'histoire du christianisme. Uiie vraie stupeur saisit les plus | fervents croyants; la France en est déchirée pen- 2S 318 LIÊGUBE GAtUGÀME daot un demMtècle; et», pour vUl part^ je lis et je relis cette balle, je parla^ de neovera là stiH peur de ces géDérations; je ne puis eu eraire mes yeax. La papauté , après avoir afiBrniê pendant dil-hoit cents ans, nie tout en on jour, excepté saptiissâucei et cette négation universelle, elle l'affiche au Tront du dix-huitième siècle naissant. Ces incrojableft iii'i- terdictions parleront d*elles-mêmes. Anathème à cette maxime : Dieu n'est paà^ la r^^ Kgion n'est pé», ùà West pas la ekaritë^. D'eb il 6ait que Dieu et la religicm vont Ton et Tàutre sans k charités Anathème à cette autre : H n'y et pas de bonne m^ vre sans l'amour de Dieu *; ce qui veut dirCj qu'après s'être passé de charité envers les hommes, on petit se passer d'amour envers Dieu. Aprèà eela, qaé reste-t-il île pape. Malédiction sur ces mots ^iLafai justifie quand elle agit, mais elle n'agit que par là charité. Cëcî regarde < Nec Deus est, nec religio, ubl non est caritas. * Ut nuilum peccatum est sine amore uostrt, Hà nulhrtn est b|ntt bonum sine amore Det. ' t^idesjusiiûcat, quand6 operatur; sed ipsa non operatur, nisi per caritatem. ET L'ECLISE DE L'AVENIR. M9 ^aint Paul; rexeommunicatioa tombe sur lui^ du j plus haut du Vatican. ' Damnatioa et malédictiou sur ces paroles^ : Oh se sépare du peuple des élus dont le peuple juif a été h figure j et dont Jésus-Christ est la léie^ en ne vivant pai selon V Évangile ou en ne croyant pas à V Évangile. D'ojîi il résulte que pour rester avec les élus^ il n'est / besoin ni de vivre selon l'Évangile^ ni d'y croire. Et ? qu'a dit de plus Voltaire î Anathéme, damnation et malédiction sur ceci : Rien de plus vaste que VÉglise de Dieu, parce que tous les élus et les justes de tous les siècles la composent. Ce qui veut dire que l'Église^ telle que l'entend Rome^ n'est pas ce qu'il y a de plus vaste*; cet avis est le nôtre, et ainsi la papauté, se niant elle-*même, finit 1 en cet endroit, comme les Césars, par un pompeux ( suicide. 1 Separatur quis a populo electo, cujus figura fuitpopulus judai- eus, et caput est Jésus Christus, tàm non Tivendo secundùm Ëvangeu lium,' qaam non credendo Evangelio, * Nihil spatiosiùs Ecôlesiâ Dei, quia onmei eleçti» et ju^ti omaicuoi seculorum illam componunt. L'anatbème va encore frapper, par exemple, cette maxime : itf jottr du dimanche àml être mnetifié par des lectures de piété, et sur-' tout des Saintes Écritures \ il est coupable de vouloir détourner U àhrétfén de cette lecture. Homme de bonne foi, qui vois cet anathème, dis<>moi ce que tu vaux que j'en pense t 590 L^ÉGUSE GALUCANE Qu'on se figure ainsi les textes les plus éclatants de saint Paul, quelquefois même les paroles de Jésus-Christ, les maximes des saints, des martyrs et des pères, c'est-à-dire, l'Évangile et la tradition, tout cela, pour plus de sûreté, foudroyé, anathé- matisé pèle-méle, au hasard, comme autant de blasphèmes. Cette dictature devait en arriver là,'et s'aveugler de ses foudres. Il était impossible que le pouvoir absolu ne finit pas au spirituel par un jour de vertige. Les égarements sensuels de la papauté, au sortir du moyen-âge, avaient précédé le pro- testantisme ; il fallait qu'un égarement plus jnrofond, celui de l'esprit, annonçât une réforme plus vaste.  vrai dire, dans cette bulle Vmgemtusy le pape, pour se débarrasser des hérésies , non-seulement poignarde le christianisme, mais l'idée même de la religion et de Dieu. Et remarquez ainsi l'acharne- ment de ces anciens pouvoirs à se détruire de leurs mains. La monarchie de Louis XIV, voulant s'exagé- rer, détruit son principe, il ne reste que le roi; le pape, pour n'avoir pas de rival, efface l'Évangile, il ne reste que le prêtre ; c'est-à-dire que, d'un côté, vous voyez un roi sans peuple, de l'autre, un prêtre sans Évangile, de tous côtés, un État sans idéal, uu catholicisme sâns christianisme, un monde* sans fon- i:ï L'église de lavemu. 521 dément. Vous étonnerez-vous s'il s'écroule avant même d'être frappé? Que l'on ne dise 4onc plus.que les philosopher ont ébranlé la foi. Cette initiative a été prise par une autorité établie longtemps avant la leur. Le dix-huitième siècle s'ouvre avec plus de solennité qu'on ne nous le raconte. Dans ses premières années, un pape, du hiaut du balcon du Vatican, au nom de la vieille Église, dans toute la majesté de son auto- rité infaillible, jette l'Évangile dans l'abîme. Pour ne laisser à ses adversaires d'autre refuge que lui-même, il met le Christ à l'interdit. Voilà la première jour- née du dix-huitième siècle. Cette bulle est en soi la marque d'une nouvelle ère ; et ce reste de gloire appartenait bien à l'ancien souverain spirituel , de donner lui-même le premier signal du renversement de l'ancien monde religieux et social. Ni Voltaire, ni Rousseau n'avaient une au- torité suffisante pour le précéder. Avant que le monde essayât rien de nouveau, il fallait que le prêtre livrât lui-même son Dieu, qu'il fermât l'an- cien livre, et que cet aveu sortît des lèvres mêmes de l'Église , que tout était consommé. Or, rien de cela ne manque à ce décret de la papauté, qui est le dernier dont le bruit se soit tn L'EGLISE GALLICANE fait sentir à toute la terre. Au milieu des fêtes de la Régence, cet écbo retentit comme les coups de marteau du prêtre sur les clous de la croix. Signal pour la terre de trembler, et pour le voile antique de se déchirer. En maudissant, interdisant, analhémar tisant les fondements mystiques de la vieille société française, le pape légitimait d'avance tous les efforts que le monde allait faire pour en établir d'autres sur la seule raison. Jamais cette logique divine que nous avons suivie depuis le berceau du Christ, n'a mieux paru qu'à ce moment. Le pape renverse FËglise de l'esprit; la révolution française en arri- vant ne trouve plus qu'une Église de pierre. Il est vrai que ces ruines possèdent encore deux hommes, Bossuet et Fénelon. Par malheur, tous deux passent leur vie à disputer l'un contre Tautre pour savoir où est l'orthodoxie ] l'autorité de l'un renverse celle de l'autre, et leur théologie va à se nier réciproquement, au lieu de se fortifier et de se confirmer, comme il arrivait aux Pères de la pre- mière Église. Bossuet condamne Fénelon qui con- damne Saint-Gyran; les saints se jettent l'anathème. On s'accuse mutuellement, comme dans toutes les grandes causes perdues. Jésuitisme contre Jan- sénisme, Église romaine contre Église gallicane. ET L'ÉGLISE DE L'AVENIR. 5Î5 h guerre civile est entrée dansTunité. La vieille Église se lézarde ; et pour que Tironie céleste s'en Éaèle, la papauté veut donner un chef digne d'elle à cette Église française du dix-huitième siècle. Elle fait tant qu*ellè découvre au fond de la so- êîélé, dans je ne sais quelle orgie de la Régence, rbomtne le plus notoirement souillé, le plus univer- sellement déshonoré de cette époque, Tabbé Dubois; et de ce débauché elle fait son cardinal. Sur les épaules de cet apôtre des roués, elle met sa pourpre, symbole du sang des martyrs ; et il faut que le pieux Massillon solennise cette parodie de l'antiquité chrétienne. Venez donc, hâtez-vous, saintes colères du ciel! Anges et Archanges, qui guérissez les plaies par le feu, si vous n'êtes pas une illusion du juste, des- cendez de vos nuages! rÉglise elle-même appelle son châtiment. Poussez devant vous, précipitez comme un chariot de guerre la Révolution qui s'approche aveô la fin du siècle. Apportez, s'il le faut, le calice des cruelles années ; les saints l'accep- teront pour purifier de si indicibles souillures. A demi séparée de son Église, la France a dû nécessairement chercher bientôt un autre idéq.1 dans les lettres &t la philosophie. De cette situalioa f 5ii LÉGUSE GALLICANE est ne le caractère tout social de la domipatioa lit-- t^raire du dix-septième et du dix-huitième siècle. Cette universalité de nos écrivains, que Ton explique ordinairement par des considérations tirées du génie particulier de l'époque de Louis XIY, tient à des causes plus profondes. Il y avait eu de grands \ poètes modernes avant ceux de la France; aucun d'eux n'avait pu aisément gagner le reste du monde; au contraire, une fable de La Fontaine , une comé- die de Molière, Télémaque, de Fénelon, Phèdre, de Racine, Cinm, de Corneille, sont adoptés en même temps à Madrid, à Londres , à Pétersboui^, à Berlin, comme les œuvres d'autant de compa- triotes, Savezrvousà quoi tient ce prodige? il vient de ce que la littérature de France est restée, comme l'Ëtat lui-même, indépendante de l'Ë- glise de France*, en sorte qu'elle n'est renfermée dans l'idéal d'aucune secte, ni catholique ni protes- tante. Elle appartient à un idéal plus universel; et voilà pourquoi elle a pu être admise universelle- ment par des peuples de communions difiérentes. Après les longues guerres de religion , ce fut un jour de fête pour le monde que l'apparition de ces * Ceci est si vrai que le législateur de cette littérature, Boileau« croyait que le catholicisxne est iiiconciliable avec la poésie. ET L'ÉGLISE DE L'AVENIR, 525 œuvres du dix-septième siècle qui mettaient tous tes peuples en communion dans un esprit plus grand que celui qui les avait divisés. Le protestant d'Aile- piagne, l'ultramontain d'Espagne^ le schismatique grec de Russie , se sentaient réconciliés entre eux par des médiateurs qui dominaient les^ vieilles que- relles. En un mot , la littérature française, quittant Tesprit de secte, cesse d'être catholique pour deve- nir universelle. Quand Fénelon, sans songer à Rome, / écrit Télémaque, il appartient au monde; quand ) il écrit en vue de FÉglise, il n'est plus que l'orateur \ d'un parti. Faut-il donner à ceci une éclatante confirmation? Depuis trois siècles, la littérature orthodoxe par excellence, celle qui a été écrite sous l'œil même de l'Église, est la littérature espagnole : l'universa- lité lui a toujours manqué. Les pièces religieuses de Calderon, de Lope de Vega, sont jetées dans le moule exclusif du génie catholique. Il est impos- sible d'y être plus conforme. La poésie, l'inspira- ] tion, rien ne manque à ces œuvres; et cependant, / qui les connaît en Europe? Tous les efforts qu'on a | faits pour les répandre sont restés inutiles. Le sceau de l'orthodoxie leur donne un air étranger au milieu de l'esprit européen; on y sent Vàme d'une grande 396 VÈGUSE GALUCANE . secte, non plus l'âme vivante du genre humain. Le catholicisme, transporté ainsi avec toutes . .* aur cunes et ses limites dans la poésie des auto-da*fé^ semble aujourd'hui un schisme dans l'art moderne* Le seul fait, que TÊglise a elle-même ren- versé TËglise, change ainsi tout Taspect du dix-hui- tième siècle. Premièrement, en voyant la société précipitée de plus haut, on comprend l'inexplicable impétuosité de sa chute; en second lieu, paraissent dans leur vrai jour et la victoire aisée des philoso- phes et l'attitude passive du clergé. Voltaire, Rous- seau, Montesquieu, Diderot, entrent, la tète haute, dans une place livrée d'avance ; ils n'ont pas besoin de combattre ; ils marchent sur des cendres. Tout ce qu'ils se donnent la peine de toucher se renverse de soi-même ; voilà pourquoi la plus étonnante des- truction s'accomplit sans que Ton entende aucun cri de douleur. A voir le peu de pitié des vainqueurs, vous sentez qu'ils ne tuent que des morts ; les coups mêmes, le plus souvent sont légers, comme si l'on ne frappait que des ombres; à la bulle Unigeniius Té- fonHenl les Lettres Persanes. Une ardente joie s'em- pare de tout ce siècle, en voyant combien son triom- phe est facile. D'autre part, le clergé qui s'est dépouillé de l'É- ET L'ïSGMSE de L^AYENIR. M» vâDgtle De sait plus ob se retrancher ; il oède sur tous les points, sans défense. À peiue quelques points d'é-*- ruditi(Hi obsÈurémedt contestés à Yoltaire; mais^ au reste^ plus de:SOuifle^ plusde larmes, plus d'entrailles; Qaapd^ au milieu des rires, le vinaigre et le fiel sont de tous côtés offerts à TËgli^e^ c'est alors, ce semble^ que devraient être poussés de nouveâiu les. trois cris du Golgotha: Monpère^ powquoi m'abandotmez-^ùus't Au coatraire,.pas un accent d'ang(Msse profonde ne s'échappe alors de la conscience du monde chrétien* Les pierres des cathédrales, ne crient pas ; tous leë yeux restent secs ; et je ne vois ni femmpséplorées^ ni disciples éperdus au pied du Calvaire du dix-hui<- tième siècle Pourquoi cela? Ne le devinez- vous pas? C'est que cette prétendue Passion de l'esprit chrétien au dix-huitième siècle n'est plus alors que k Passion d'un simulacre^ L'Ëglise a dépouillé ta croix de son esprit, et personne ne se passionne plœ ni ne gémit sur la terre pour un bois mort. L'ordre du clergé a voulu se substituer, dans les ténèbres, au Dieu de l'Evangile ; et il a cru un moment que le monde serait dupe de ce masque. Il s'est assis sur un Golgotha d'argent et d'or; il a tendu ses deux bras au plaisir, à l'avarice ; et par cette imitation, 338 L^ÉGUSE GALUCANE, ETC. après avoir rejeté TEvangile, il a cru que la terre le prendrait pour le Crucifié. Mais il n'en a pas été ainsi. La lumière est ?enue avec le jour, et toute la terre a surpris la fraude ; elle dix-huitième siècle, avec ses railleries, a passé tout entier, peuple et noblesse, écrivains et arti- sans, au pied de ce masque du Christ ; et il a dit de mille manières, en riant, au prêtre qui voulait se foire passer pour Dieu : « Je te salue, roi des Juifs ! » £t le prêtre a été si interdit, qu'il n'a pas même trouvé dans son cœur un soupir pour se plaindre que l'usurpation ait été découverte. Il s'est tu. La terre, loin de se fendre, a tressailli d'aise, parce qu'au moment oh se jouait cette feinte Passion, l'esprit du Christ vivant était ailleurs ; le masque était été, la vérité restait. Au milieu de ces ruines, l'homme montrait^ une radieuse allégresse ; il sentait, au fond du cœur, que pour refaire un monde, le Dieu vivant demeurait avec lui. ^ Voyez VVttramontanismej snr la philosophie au dix-huitième siècle, p. <74. TREIZIEME LEÇON. La Révolution représeotée par le catholicisme comme un enfer. — Poëmes de Monti. — Difficulté particulière à la France. — I Une révolution politique et sociale sans une révolution religieuse. ! — Tentation vaine de la Constituante de concilier la démocratie et le catholicisme. ->— Alliance naturelle, TÉglise et la Vendée. — Gomment le tempérament du catholicisme reparaît sous les formes révolutionnaires. — Le culte de V Être-Suprême ; une bulle de la Convention. — La terreur. — Les armes de TÉglise du moyen-âge retournées contre elle. — Inftiillibilité que s'attribuela Convention. — Spiritualisme de la Révolution : Fichte et Saint-Jusl. — Un peuple fait son testament. — Réponse de TËglise à la Convention : M. de Maistre. 26 TREIZIÈME LEÇOT^. L ASSEMBLEE CONSTITUANTE ET LA CONVENTION. Le jour où 1^ dirapeau de Ja Râvplutkm est whoré kRome^ l'envoyé de Frawce, Bassftyilte, est mafisai^ré par le peuple à 4a ;porte de l'ambas- sade. Un.gmad poate italien ^s'^ffllpare. de oetiévéoe- 4B0nt {Kmr oonsaorier laipreinière iiopFe^sioD que l'Europe méridiûnaleet ii^aUiolique re^it die laBé- volution française. Monti compose, au point de vue de Rome, l'ôpapéede la Constituante et de Ja Con- vention; il imagine que Tâme de Basseville, arm- chée de son corps \ est t^ondftmBée à flotter à la sur- * Basvilliana, 1794. sa L*ASSEIIBLÉE CONSnTUANTE bee de laFranoe, dans les limbes de h RéTolotioo, oomme dans le Testibule de Tenfer. Un ange de Trageance, qni part do Vatican, raccompagne ; ces deux esprits, battus par la tempête, se montrent du doigt avec terreur rhorizon de la France. Os le tra- Yersent; de cercles en cercles, ils arrivent à Paris \ la eUé dolenUj la sentine du monde. Sur les nues, ils rencontrent Tâme sanglante de Louis XYI qui monte au ciel, en même temps que les légions d'archanges en descendent et se précipitent sur la ville con- damnée. La Révolution française apparaît ainsi à travers le lac de sang de la Comédie dwine ; et, depuis Dante, on n'avait plus entendu en Italie cette langue des spectres. Ce qui manque à la sincérité de cet enfer terrestre est la pensée du christianisme. Au lieu des personnages et des réalités de la foi, ce ne sont qu'abstractions ^. Les Pleurs, les Sou- cis, la Discorde, la Folie gardent les portes. On se demande comment le poète, qui veut châtier la > Le cardinal Pacca, dans ses Mémoires (1818), jette un cri tout semblable à la vde de Paris : « A peine vis-je paiattre cette Tiile im* mense que je sentis en moi une espèce de finsson et d*horreur, etc. » ■ Sul primo entrar délia citta dolente Sianno il Pianto, le Cure e la Follia, etc. Basvilliana, c. ii. ET LA CONVENTION. 353 France de son impiété, ne lui oppose qu'une my« thologie alexandrine. Il prétend frapper au nom de toute l'humanité chrétienne; et il ne trouve pour cela dans son cœur que les verges du paganisme. Au lieu du Christ juge, je vois le Jupiter d'Homère ; pour venger la foi, rien ne manque à Monti que d'être croyant. Le sentiment vrai qui surnage , qu'aucun système n'a pu fausser, et qui est l'âme de ces poèmes, c'est la Terreur. Quand, au nom de Ro- bespierre, les chevelures ^ des esprits immortels âe hérissent et frémissent dans la tempête, l'auteur dis- paraît ; vous respirez l'épouvante de l'Église. Dans ce poème du passé, le catholicisme inscrit au seuil de la Révolution française l'inscription de l'enfer. Si, après qu'un deminsiècle a été donné au monde pour se remettre de cette terreur, nous refaisons le voyage de ces esprits déchaînés par Monti, si nous nous élevons comme eux à cette hau- teur d'où tout s'entrevoit en même temps, si nous voulons non pas apporter une étincelle à l'in- cendie, mais converser avec l'âme même de cette • Un Robespiero ! Tacque; e al nome crudel su Tauree teste Si sollevàr le chiome agi* immortali Frementi in suon di nembi e di tempeste^ La Mascberoniana, o. m, 534 L'ASSEMBLÉE CDlNStlTi5ANTE RévoluttDd^ voioi uû des premiers principes (jne f aperçois, et qui commence dfejà pour moi à je- ter h lumière dkns ce chaos. Seule des nations modernes, la France a feit une révolution politi- que et sociale avant tf àvoit consommé sa rèvôlù- tiofi religieuse. Suivez* un momeut cette idée ; voils en veiTOz Sortir, tout ensemble, ce qu'il y a d*orîginnl et de monstrueux, de ^gantesque et dMlÈplacablè datts cette^ histoire. Une société qui veut d'abord accorder l'Église et TÉIM, en les ré- fôimant Yxih et Tautre; puis, qui après y avoir re- fioncé. Tes Brise Vmt par Tautre ; et au milieu de cela, des hommes qui ne sont pas croyantis, et qui conservent Ite tempérament dfe leur croyance, ex- trêmes dans le soupçon et Pintolérancè politique, comme on l'était autrefois dans Finlolérance reli- gieuse; h christianisme et le catholicisme bannis en apparente, et demeurant au fond de toatbs choses, l*utt* par l'esprit de fraternité et d^égaïité^, fautte par le principe d'Vmité et de centralîsâlion ; c*est-à-dire ressence même' dfe la religion atltïque se réalisant dans le monde, au toameot où le monde en ren- verse la forme, tellb est l'épopée que Mbûti n'a pas aperçue. Une joie profonde m^aftiifie quand je vois tous ET LA CONVENTION. 355 tes principes que j'ai établis dans le passé, éclJtter dans tes actes les plus spontanés de kt Consti- tuante; Il ne faut pas croire qu'elle vienne , tête haute, jeter un défi à l'ancienne Église. Rien ù'est moins conforme à là nature de cett^ a^emblée. Elle est elle-même trop croyantfe pour traiter légè-^ ment fe foi du passé : de plus, elle ne semble pas pressentir quelle dîfiBcultê inextricable viendra de ce côté. Depuis que ces hommes sont réunis, que la parole publique a jailli au miMeu d'eux, ils semblèn* convaincus que Pâme qu'ils apportent d'ans le mondte va retremper en un jour la vieille Église :• loin de lia craindi^e, ils pensent s'y appuyer, t'enthousiasme dbnne à Mirabeau Fàccent religieux ; n'est-ce pas lui qui tout d*abord , dans un discours écrit et mé- dité , trace l'avenir de fa Révolution par ces paroles sacramentelles qui pèsent autant/ qu'un monde: «Ea « France apprendra aux nations que l'Évangile et la t( liberté sont les bases inséparables dte la vraie 16- « gisltttion et le îbndiement éternel de' TÉDat le plus « parfait du genre humain. » D'ailleurs, on est si foin d'affecter. F orgueil de la victoire sur le catholicisme, que le protestant Ra- baut Saint-Etienne ne veut prendre dkns rassem- blée que Vattitude d'un siq>pliank Depuis le sesinent 336 V ASSEMBLÉE CONSTITUANTE da Jea de Paume et la rftmiioD des ordres dans la séance de l'élise Saint-Louis, la philosophie devient a^ant tout religieuse. Près d'en&nter un monde noufeaUy elle répète à la tribune le v^%t d'allé- gresse de Marie qui sent tressaillir le Dieu : c il a âevé\e& humbles et déirôné les/mûtoftfs ^. » On semble persuadé que la réconciliation avec le clergé va se consommer. Au milieu de cette effusion , un seul mot ramène chacun à sa situation réelle. Âpres un discours du philosophe Garât, Févèque de Nancy demande, par parenthèse, que la religion ca- tholique, apostolique et romaine soit déclarée la re- ligion de FËtat. L'assemblée se réveille en sursaut. Lier la Révolution naissante des entraves du catholi- cisme, affranchir la France, et lui mettre, au préa- lable y un bandeau sur les yeux, ces conséquences étaient contenues dans ce peu de mots. Etcependant, il s'en faut qu'ils aient été repoussés avec éclat. Soit imprévoyance , soit crainte de se brouiller sitôt, la Révolution, ce jour-là, n'évite que par un stratagème de se lier les mains. Elle voit le piège, elle feint de ne pas le reconnaître. On n'ose pas encore avouer qu'on est libre. Audacieuse devant la royauté , l'Assemblée Constituante hésite devant le * Discours de M. Lameth. ET LA CONVENTION. 537 catholicisme; elle est affranchie au fond du cœur; elle n'en fait pas Taveu.  la fin elle trouve une issue, et cette issue est une défaite. On ne se liera pas au catholicisme par cette raison subtile, qu'en ne le nommant pas, on l'honore davantage. Seule équivoque à laquelle se soit résignée cette as- semblée ! Le clergé demande une ^soumission plus expli- cite. Alors Mirabeau se lève ; il s'approche de la fe- nêtre de la terrasse des Feuillants, et il montre du doigt le palais d'où est parti le signal de' la Saint-Bar" ihélem. Tout le monde se tait; chacun sent que la France, en ce moment, vient de faire un grand Il est certain que les constituants trouvaient de- vant eux une difficulté particulière & la France. Tout inclinait de soi-même à la démocratie et & la liberté ; nul obstacle ne résistait. La royauté s'effa- çait si vite , que Mirabeau songeait déjà à la dé- fendre ; et voilà qu'au milieu de cette société répa- rée, continue de se dresser Tidéal immuable du pouvoir absolu sous la figure de l'Église catholique. Fallait-il laisser c^tte contradition de la liberté dans les faits et de la servitude dans la loi des lois? Que devenaient alors les vastes projets de régénération 3» L^ÂSSUCMBLÉE CONSSITVANTE deteUB tes peuptes pur uii' saulî M &lbit abaolumeot flnttro dî accord la religion natioïKdo ot la Révolution;» ^ poar œla^ entraîner la poeraièiie dana le mouTO^ ment et le peogràsde la seeondsv La société laïcpio se sentait) un sureiott de vie morale; elle crut poHYoir en prêter à l'Églisev La^ ramener à la libecté perdue, lui rendre les formes de l'électioni, laren noamlepdanB l'âme et Ftaiotioiiid^iiagraiid peuple, la vetremper dans ses origines, la saawr apoès avoir é<é sauvé pai^ elle, n'était-ce pas un? bienfiit qui devait compenser la perte des biens maiének? Db SA grande voix, PAssemMée appelte à la résurreo^ tien* la glèbe du bas clei^é% On invoqae^la ciK>ix de bois à la place de la croix d'or. Cette nouvelle côUf stîtu4Âon civile du elergé, qu'était^se en soi) sinon la démocratie transportée dans VÉglise? La France de la Révolution offrait ainsi ralliancoau catholicisnie, à condition qu'il se laissât pénétrer par utL souffle vivant. Il paraissait beau d^associer l'essor de FÉ-- glisc' primitive et Fessor d'une nation rajeunie, la première ère chrétienne et fti nouvelle, je- prin- cipe et lie but. Mais on sait Ce qui arriva. Liberté^ élection des prêtres rendue a» peuple, *iMit oe christianisme dé- mocvB^ue ne* sembla qu'hérésie. La I^volotim ET LA COWVEWÏ0ÎS'. 39^ française s'était Iroififée eiî' eïoyairt qi>'0lte réobaut- ferait dé i^a vie tes sé^iribres; sot! rifeflèeesS Prê- tée; pour prix de ses'rôves, rAsseffibîéeCôrisIftuaflte' est ânatîième. il es^décidèy à Ronie^ que le piiK)J8tf d'aceorder b Religion^ et Ib RiètOlttitoa est ifiipofisi^ au i»|pie) qtfe ik vieille servitodte es4^1a seute orthodoxe. Taon cKs cfue k Fiiance va de plâs en* plus en se déîoacqnr Visant^ son Église tend de plo» en plw à. la. {ovine: contraire; en sorte que chaque jour 1^ sépere^ dan- vant^ge; c^bi qu'elles ftiqseot l'une et l'autre^^ la scission ai eoifitntencé. AWs on* vit à' nu< ffiglise m hrire quitta lâème corps avec \ei noblesse^ vdier &vea elto^ dans lé prinei;^ d« riâégaiitér^ e'esiMi-^re tous las xap^ ports renvei^sés, FaBbé lÉuiry, fiomteur ducolet^v / plaidant contrée h» apdtpes pour 1* esprit paien ) de Farist^dratie-, et le aarqui» àd Laftiyette p&m ^ h. fraternité de FËVâDgile.Dèsi tes premienispas^ )e mt^iieii^e reftise te traité d'aHiltâ^equ^^ lui oSto la Révorutiott»; il» veut la guetro^ il te feit; la paix serait pou^ M l'apostasie. DèscecoitttneÉôeffient; aossi, la différence entre la Révolution! d^ Angteterre et celte de France èelaVs tout entière. La première s^'appuie sur Ifigilse nalionato ; 8ID L*ASSEMBI^ GOUSnTOARIE preibylèrieiiSf indépodants, poritaÎDs, nifeleorsy tous les part» ont la Réfonne poor alliée ; ik se fon- dent sur une base ooiiDiie. En Fianoe, la Consti- tuante Tent de même former on contrat avec la Re- ligion établie ; niais cette religion la repousse aossitftfy non par la malice des individus, mais par Fincompah tibilité des principes. Constituants, Girondins, Moa- ti^puards, se succëdmt; l'inimitié rédproque entre Tancien pouvoir spirituel et le nouveau ne fiût qu'augmenter. Parmi tant de factiras démocratiques je n'en vois pas une qui songe seulement, qu'autrefois il s'est trouvé des prêcheurs catholiques pour afficher, dans la Ligue , des maximes populaires. La gran- deur de ce temps fiiit que les amis comme les ranemis de la Révolution rentrent les uns et les autres dans le vrai. A cette lumière .de la passion sincère, il n'y a poiut de place pour la mésalliance religieuse et politique; chacun se précipite vers son drapeau, la France vers la liberté, son Église vers le pouvoir absolu. Dans ce duel acharné, c'est rhonneur des uns et des autres, de se combattre à ciel ouvert; le catholicisme ne fait pas le démocrate, TËiat ne fait pas le catholique. On se hait, on se dé- chire, on se frappe de Tépée ; on ne se donne pas le ET LA CONVENTION. - 344 baiser dé Judas. Le jésuitiiuDe disparait pour un iii(K ment de la terre. Ce qui résultait inévitablement de la nature des choses, était Falliance de TÉglise et de la Vendée. Pourquoi la France s'honore-t-ellede cet héroïsme qui a manqué la faire périr? parce qu'au fond de cette guerre civile, il y a une éclatante sincérité, que chacun est sous ^ traie bannière, que c'est là un combat de principes, non de personnes et de hasard. Il fallait, d'ailleurs, que cette guerre fût vidée en France. La vieille Église et la vieille Royauté de- vaient se retrouver et se liguer ensemble. La PoliA- que sacrée de Bossuet et la politique du droit nouveau devaient s'entrechoquer un jour sur un champ de bataille français, entre des Français, afin que sou- tenues héroïquement de part et d'autre, et le cou- rsée, le sang, le cœur, Tâme étant les mêmes des deux côtés, Dieu seul pût décider à la fin, quelle cause était désormais la sienne. Pour que personne ne puisse s'y méprendre, l'ar- mée de la Vendée s'appelle l'armée catholique et royale. Ainsi, comme cela était mévitable, le catho- licisme, bannière en tète, conduit la noblesse àl'as- sautde la Révolution ; tout le passé, éveillé «n sursaut|, sonne le tocsin. Cette guerrede Vendée est en soi une Si& LASSiaiBLÉE CONSTITUANTE ^f^ÊMremtate ému ReligioDs; et Ifi wité e^tqw la France nouvelle ne peut rien ou presque rieiu contre l^nden cathoUçisoid tantgu'elle Imx emprunte ses vieille» armes, sonintolé£anGe9âge. Vmlà le missionnaùre qui va clore .par laid^mence la guerre religieuse; il montre k la Vendée quelque ohose de plus grand que c&qu'elle adorait ; il ne la détruit p^, il la con- vertit à la France nouvelle. Si la Constituante a <^ert la paix, la Législative accepte la guerre. €h0z les Girondins, toute espé- rwce est tombée de se méns^er lei^oncouns de r£- glise. Il ne reste plus que lie désir de ne pas c^en- wr i90^ ou^vertement la liberté promise aux cultes. Au bruit desinrarrectioDfi de la Vendée, rAasemblée délibèire deux mois; «lie est irritée, elle menace; il ne féale plus qu'un fil k rompre. Le lond du dis- eurs île tous les œ^ataurs girondins est le même ; ^^ce à>Be aux piètres de nier TÊvangile civil? Ne vET lA OON^IRPION. mi re0onnai$S6Dt-iIs plus l'esprit des Écritures traos-- forié ikûs la loi ? Gommât J d'aceord wec Je Nou- veau Testament, la Béolaratioû des droits établit Té- gaUtè, h fraternité ; c'est-à-dire la volonlé de fiieu s'inscrit sur la terre.; et ce soat eux^ui protestent ! On les délivre et ils s'insurgent! La concLufiioa de «ces discours est le décret par lequel les prêtres ré^ fractaires soat contraints >de prêter serment à 4a coBstitution de l'État. Pour la premiè^re fois , le IU>iliésite à sanctionner «un ^écFâ; de l'^semblée; tant ftt'il ii'« mn i^qgê à la vieille %Us^ le re- tour ^verstle passé l^g semble ^encore fossible« On in- aiste4 il refuse. Cette quesiiion religieuse fait sortir dQ terre l'insurrection du 20 juin, ^ui apprend au peuple le cbenjin de rinté^ieur des Tnileriasi. Après cela, il m &ut plus qu'une journée f^reille pour effacer la monarchie t Entre le peuple et le foi, l'Église dujpassé s'est levée; elle leisép«re|KHiU' ton- jours l'un de fautive. Depuis ique liouis XVI idân- lifie sa causé avec ile fsiystèiSbe fde l'^aeien dergé, on sottt qu'aucune puissance èumnine ne ^peiit le^wu- ver. Il s'^atCarme dans le peseé ; sa prisoB commence. Tant que la famine {ihysique avait seule crié sar le chemin de Versailles, la réconciliation avec le peuple ava t été possilde ; les femmes étaient allées 344 L'ASSEMBLÉE GONSTmiANTE chercher dans son palais le boulanger royal. Mais, dans cette journée du 20 juin, le peuple ne demande plus le pain du corps; il est affamé d'une idée; il demande, en aveugle, le pain nouveau de FEsprit; et comme le Roi, ce jour-là, ne peut plus lui don- ner cet élément de l'avenir, l'inimitié se déclare. La famine de l'âme devient fureur; on prend pour un refus ce qui est une impossibilité. Une autre époque commence ; la Convention succède & la Législative. Une chose étonnante est de voir, par un dernier effort, le Conseil exécutif écrire à Rome pour dé- montrer au Saint-Siège ^ , l'identité du christia- nisme et de la Révolution française. Que pouvait penser la papauté en entendant la théologie de la Convention? qu'y avait-il de commun entre deux pouvoirs dont l'un ne reconnaissait l'esprit que là où étaient les formes, et dont l'autre, en brisant toutes les formes, prétendait ainsi retrouver et met- tre à nu l'âme même de la chrétienté? S'obstinera vanter son alliance avec le dieu de l'Ëvangile, au moment où l'on fermait les portes de l'Église du moyen âge, parut à Rome le renversement de l'esr prit humain. Tout ce qu'elle put faire fut d'ad- i « Les principes évangéliques qui respirent la plus puredémoeratie, l'é^lité la plus parfoite... » Lettre du ComHI exécutif à Rome, 1793. ET LA CONVENTION. 345 mettre que la Révolution était une seconde descente de Jèsus-Ghrist dans les Enfers; disparu de laterre, il était allé passer les trois jours de ténèbres dans le royaume de la mort. On sentait la terre trembler ; c'était, sans doute , TefTort et le tressaillement du Dieu, pour s'arracher à l'esclavage de la nuit. De son côté, la Convention tient à garder sa pa- role. Au milieu de la terreur, elle consacre encore une fois, par un décret, chose illusoire ! la liberté des cultes; elle essaye de. faire surnager le prin- cipe, en dépit des cruautés qui la démentent. Elle veut même se faire présider un moment par un évèque, dans son costume ecclésiastique. Un jour, des prêtres, cédant à la peur, viennent en pompe, remettre à sa barre le crucifix. Dégoûtée de cette apostasie,, elle condamne le lendemain ces hommes à mort, pour les punir d'avoir eu peur de la mort. En face de ces renégats, dans le moment le plus terrible, Vabbé Grégoire, à la tribune de la Conven- tion, fait ouvertement sa profession de foi catholi- que; il n'y eut pas de plus grand courage que celui- là, dans une époque qui en montra de toutes les sortes. La Convention laisse tomber sa colère devant ce défi d'un chrétien ; Rome conserve sa rancune contre celui qui avait voulu être martyr, Fabbô 27 «B vkssseÊSiÊÈ QomtmhmE 4Mg0ite y épwfgaê ^air les ^MAyipi'il étÊb , im «tMidtrattôé |Mir reliée qxi@ pp)M^i<}ue se r«§pei;iie^ la guerre èd YoMre et^ dç Roi^sj^atu rep^r^lt é^^ I«$ <^3 ; eH9 prtQ^e DgdvIOQ e& l^bes^ierre. CpQUtt^^acuo est coayainou que t'i&fsûilMit&est^ tûii^ (^un cOté, Fégafemejait de Vaptce^ ir»0rQ^ qii'k s^'inlârdire nauta^UemeDt àrn^ h même em^»^^ Yàunihèm^ e^ la mort. Pour pooippser 1» loi àm sM^pecte^ Merlin de Douai décbm qu'il a'» besoin q»é de trAnscirtre rordoonaoce jésuitiq^me^ de» dm- gonnades; en UQ. Biot^ daus k FraMe^ calli«4i(]^e é\^lée aaps préparation à la Uberté , "ii^oii^ yo^m la RétolutîoQ conserva d'abord^ eu partît, l0 t^nir péi9.meiit e;xclusif de TÉglise qu'elle remplâf Q. M&is, d'aatre part^ \\ &'Qm« hu^ qua t^i^ ^oît mal dfiiâ ck^ héritage, puisqir'e»6ii il Q'6st' ^ daaa kl catUolfoisme use sâule grande qu&Ut^ qpi nei passe toute \kwai& dai)s l'âme de la Bé;yalii'- tioii^ Woù neb^cbezeflecejtte tendance à rupiver- satitë^ à 06 nfest qu'el^ vetattrèalâer ce que l'Églis^ç natiofiaie sf était CQnteotée de prqmettre? Ifoji \mi cet iii6ti«ict de pros%tî«ae qui l'emporte dM te pre- mier momeat db la Goustituante? n'y a^-ilrpa^ dans 352 L'ASSEMBLÉE CONSTTniANTE le cri de la Marseillaise un écho da Dieu le veut des croisades? Si la ConyentioD s'arn^e Taotorité spi- rituelle du Vatican, elle fait de Paris la Rome nou- Telle; en sorte qu'en accablant le catholicisme, elle trouve moyen de lui enlever son génie absolu. Les habitants des tles Sandwich croient que la force d'un ennemi passe dans celui qui le renverse; c'est ainsi que la force du catholicisme, unité, cen- tralisation, entre au cœur de la Révolution française. Pour mieux en triompher, elle le remplace. En vertu du même principe d'infaillibilité et de toute-puissance, la Convention décrète que telle ville sera prise, qu'une victoire sera gagnée tel jour. Dumouriez, qui ne sent pas de quel prin- cipe elle part, s'écrie : La, Canvention se croit capable de tauty parce qu'elle ne connaît rten. Il ne voit pas que, dans sa grandeur, elle sent un Dieu de colère s'agiter dans son sein. Ce qu'elle veut, il faut qu'elle l'impose & l'univers; elle vit de miracles. Danton commanderait au besoin, comme Josué, au soleil de s'arrêter. Voilà encore pourquoi le culte de la Rai- son et celui de la Nature ne représentent pas la Con- vention; elle s'élève, dans sa foi, également au-des- sus de la nature et de la raison qu'elle déconcerte. Elle demande à ses généraux dès prodiges. Couvain- ET LA CONVENTION, JRB eue qu^elle leur communique la force d'en produire, tout ce que les autres appelleût impossibilité, elle rappelle trahison. Un camp de quarante mille hommes se révolte ; il va marcher sur Paris. La Convention choisit pour le réduire un de ses membres, Lévasseur, qui jamais n'a touché un sabre ; profondément obscur, sans dehors, sans maintien, cet homme se récrie sur son impuis- sance. Elle s'obstine sur son choix. Il part; avant qu'il ait dit un mot, d'un seul regard il a dompté ces quarante mille furieux qui tombent, à ses pieds. Le hors la loi produit sur les masses la même terreur que l'interdit de Grégoire VU au moyen-âge. Rien de semblable ne s'était vu depuis les bulles du onzième siècle. Mais, si la Révolution française conserve ainsi dans la Terreur le tempérament du catholicisme, d'autre part, elle est incontestablement plus idéaliste qu'il ne l'a été jamais ; car son génie est de supprimer le temps. Elle ne remet rien au lendemain, à l'action des années; elle ne se donne pas même les sept jours pour faire un monde. Avec l'impétuosité foudroyante que nous avons reconnue dans l'islamisme, à peine un idéal s'est*il formé dans la tète colossale de la Convention, qu'elle prétend le réaliser incontinent* Je iieip'étâmMi.pu qfÊ^^ teirthiphftieietl- le fUm lûmes pour montrer que le Comité d^SM4ut Public lui; a snterè sra sfsiémB^ S» l'idée puire swnrîi^ au besoio eHe sÊprafiem k tuï&; cfbst li^ to fontl dE$ la petttiqi(0.db Sm^jistv «Ir^'estr aussi toute 1% lOétai^ttqHe tfe Flohte» 0aas l'antifiiîté bibK^e^ lorsque Fe$pcit d'eitar- amatiopi loarqua (Vtfii signe ia pwte dbs eoodmw^ il w fait uo; silbnee de prar ; le $Mitte<^ 1% p»mb^ s^atrMent^ Aa €OntvÉ«re^ ki{gxaoàc»ilr4)} laFrauoe eat de ooalî»Mc de pMser, «te eeéM» d^'îi^vaoter sur lfia^maro))fis (ter KéclMf^vd, fAntiW^àaSmflii^Ç^ avec utie fdpeid que fombia rftJMbler la isÂfi de y^^ nité. La mort pèse également sur tQ^t H raofiHà^^ «SiBratas ne. tue* pas Issautoës^ BfUfosI àe tuera, dit SaiQt7lust-r<.Voa9 s'aves em&n m que tealD- ses^> ajoute Dautt^;. el wr cela> vn gfiaod peupla lait tout eqtier 6oq taitat^eut» ChaQU», oooHtte $'ilr n'amt pkia qu^uo joar, se bâte de eoooaaifer mm dans un peinl brillanietÎDdesâructible^tedépiité^daBS ua. fapperty le volofil|irf daes uaa action d-éclat^ le génénaVdans une vieloîre, le cÀioûste, le naturaliste dans une découverte. André Gbinier, &>Ghe, Géofr fity-^8ai!iit4Iilaiir^7 tous œs hoames, jeunes d'âge, BT U enSVKHTKMf . S5(k oiitiiiAri duis bt œort; )mir pigeoiîàfie aÉro]^ hter pfOmier jmy.d'édai^ tour prepdère dteouwte, ont 4)^ l'«i»^eipt0' et le piOMtjp 4*WQjiaigD^ ^i^. D^i^qffv, 41) ipttîau (te seû io^iSér^pee ppi^r. Fédi^r faud^ djiMiaaitàses parolei^uii re^ii^qui pût les^fa^ns dwes et pasa(0r # boucfie eu bQ^ch^. I^ mèm»., cbqs9 4pri;vait^ la Fr«iu^ réwluiiopaf^ice; eonda^ né? p9i; la ses!» ^a piQi^e^ ^1I^ t^vaîllait > l»i^c 6A chaque chq^p «? souyeûir i^ipprMl;. pu plutjM^. elleiauvait, ^ fbàd^ la cprti^udQ d^ y^ocre. ç^Me'i^ t;*uire l'aiguilloQ* de la o)ort Pa^rnii, tai^V^^ c^Ojfps extjraeFdînairiQSy I^r plifus étpnoipt^ §^Sr 4puto §^ dc) vQÎi;.un p«upl«ha8$f^g^^ ; quj, après i^vok pg^du 1% «ipit|é d# son tjBirrilpipe^ ofi godant K^re qui» paf mira^ft, Qp ne s'ôtatOf/lq^ di^ r|9Mte qfi^. (Jiip^ la nap^t, eD{apte mille prsjftt* pour Kbumapitjè, (|ël^bèr9 sui; fol^s théorie^^ MeyielçK pédiques d*é4ttcat|oo^ d^adminiatr/itioD,, d^ çcisne^!, leapoid^/^ me^ri??? le fialiBadri«i^> cemoM^a'iléi^it retjré d^s^ ripii]f))m|))i9 pcMs. Arclâmàde, au mili9u du 3iég« (|â ^r»pufi(d^ o« o^w^i9wH pa^ powr pé- d»tçr le cbai)Etp,de baiaiUe. Bossuet a montré Vbistoire de toqs le» peuples de 360 RASSEMBLÉE CONSTirUANTE Fantiquité gravitant par degré vers un seul points et aboutissant^ enfin, à la croix du Golgotha. On pourrait tout aussi bien établir que toute rbistoiro moderne, d'âge en Age, tend à la consommatioD de la Révolution française. Elle béiîte de ce qui Va précédée ; Tesinrit de tous les peuples est renfermé dans ce panthéon vivant. Rousseau qui en est le lé- gislateur y verse l'&me du protestantisme ; en sorte que le germe de chaque révolution précédente y est représenté : la réforme par la souveraineté da peuple, le catholicisme par F unité , la philo- sophie par Tabstraction et TAme qu'elle mêle à tout. Sans qu'il puisse s'en rendre compte, le volontaire qui marche à la frontière sait qu'il est chargé non pas seulement du salut de sa chaumière, ou de sa ville, ou de son peuple, mais du salut du monde. Ce qui reste de vivace dans toutes lés croyances et les églises du gepre humain se concentre dans sa croyance; il est nu, il a faim, il a soif, mais sa foi le nourrit et l'abreuve. Le général Serrurier voit sa division mouraole de faim ; il vient de recevoir du pain ; il va le distri- buer ; mais ce seront deux heures perdues, et elles \ sont précieuses; il en avertit les troupes. « Partons , sur-le-champ sans manger», répond d'une voix la ET LA CONVENTION. 5»T division^ et ils arrivent à temps. Si, vingt-deux ans après, le maréchal Grouchy se fût rappelé que les / Français peuvent ainsi se nourrir et se désaltérer sans boire et sans mangeur ^> il n^ se fût pas arrêté à Gembloux ; il eût eu une avance de trois heures, et Waterloo était une victoire* A mesure que cette foi s'allume davantage, la vieille Église nationale la regarde de plus en plus comme la foi de l'Enfer. Les nouveaux croisés,Mai^ ceau , Hoche, Desaix, Joubert, passent devant elle et elle ne les reconnaît pas. Cette unité, cette soli-* darité ne lui disent rien; elle est frappée par une force surhumaine, et l'idée ne lui vient pas qu'elle expie le passé; où elle pourrait se renouveler, elle s'endurcit. Par la contagion de ta violence, le théologien M. de Maistre devient en idée le Robespierre du clergé. Il opposé, en théorie, un terrorisme i3e l'Église au terrorisme de la Convention. Son Dieu inexorable, assisté du bourreau', Christ d'un ^ « Il était plus de six heures; les soldats fttisaient leur soupe. Le maréchal Grouchy jugea qu*il serait temps le lendemain de suitr» Tennemi qui se trouva ainsFaveir gagné trois heures sur lui. Cette fUneste résolution est la cause principale de la perte de la bataille de Waterloo. » Napoléon, Campagne d^ 1815, p. 93-9«. ' Us ConsidéraUons sur la France et les Soirée$ de Sain$-Pé^ ter9bourg. «9 UASSEMBUto COHSnTIfANTE. peaunest de fltkit poWe^ «t r idéal As M, d'un M étomûé «iirtre te «èviAaUoD. ai wm de l'Église, fl admctt d« sysiteie de 4a Men'- «agfié^ la tamar, f écbafittid, 40Ët il Mt on ntitf/^ 1& terre eMêmuenemerUinMbée de sHt^^, 4eut, iiofftHs Ift liberté, Fégalitè, la fratërtiHé phmise. Difds cette Géologie 41H met véritidMéiMrilt la inort à l'ordre 4tt jottr, il reste au fônd Fabsdfitisiâe de la Gon- ifMtira, safis^'espérance deFftfFraïK^issemeirttK^atrt le demieir fmt du gkÉie, llebesj[rierre sans Roqs^ 1MMHI; le ffloyéD sans le bnt. La baioe dti catholicisme «t s^ors ft grande cotttre la AêveletHm, ^e fom la ttt0r au ^i^^oeau 4)ii lui emprâi^^en^dée t^ |)i^ fres airaies* Ofi lài dispute «cm «dfër , on ne rc^ que son ciel. ^ ftlietaixeeAtière, oonliliUelleiBentknbyiïéedefisng, ji*6«tqu'i4 autel immense où tout ce qui Tit doit être immolé sans 4n, «ans me- sure, sans relâche, ju^u'à la cdnàomdiation des choses, jusqu^à l^estinctioQ do omiL» iuBqu*it la ibortdë la mm. * I^Hrées et JSMO- Pétershm'g. QUATORZIÈME LEÇON. Napoléon dans le plan de Thistoire universelle ; il marque l'alliance de la France et de Tesprit de TEurope méridionale. — Pourquoi le chef de la démocratie française a-t-il été un étranger? — Influence de la Corse, de Tltalie sur la destinée de Bonaparte. -^ Son éducation par ritalie et TÉgypte. — Le Concordat, une fausse trêve. — Qui ikisait les miracles sous le Consulat ? — Le Génie du ekrisiianistM, . une hérésie. -^ Le sacre. Napoléon se livre à T idéal du catholi- cisme et du Midi. — Retour au passé ; Imitation de Charlemagne. — D'où vient la stérilité des institutions de TEmpire? — Gomment la démocratie était représentée dans TEmpereur. -^ Caractère des proclamations. — La Sainte-Alliance; les invasions. —Waterloo. 28 i QUATORZIÈME LEÇON. NAPOLlfON. ai 'il tf i Si rÉglise s'appelle romaine et catholique, k Révolution peut, à bon droit, s'appeler française et universelle; car le peuple qui l'a faite n'est pas ce- lui qui en profile le plus. À mesure qu'elle se développe, chaque parti s'en forme un idéal où il veut l'enfermer; et le plan de la Providence se trouve toujours plus hardi que ce- lui des partis. Vous diriez d'abord que la félicité se- rait le rêve de la Constituante, une F^rance libre, sans ambition, sans conquête, modestement assise 364 NAPOLÉON. à ses foyers; mais dans cette prudence tous sou- haiteriez plus d'audace. Quand la Montagne a fait peur au monde, que la frontière est sauvée, que la fatigue se montre, il semble qu'il soit temps de se reposer, vers la fin de la Convention ; la liberté est acquise ; il ne reste qu'à en jouir chez soi. Les fêtes du Directoire commencent ; mais aussitôt ce peuple entre dans un nouveau travail. La Révolution avait promis de faire le tour da monde ; elle prend un soldat, elle le met sur le pa- vois, et court frapper au seuil de tous les peuples. Cette marche de Capitale en Capitale devient la fi- gure de son triomphe à venir à travers les siècles. Pour entraîner l'univers^ il ne suffisait pas de parler du haut d'une tribune, ni de montrer une tête du haut de l'échafaud. L'écho des paroles et la ter- reur même s'affaiblissaient par l'èlôignemeot; il fallait faire toucher à l'Europe le monstre de plus près. De là, la nécessité de franchir la frontière, d'aller exciter, réveiller à leurs foyers ceux qui res- taient endormis; la terre devait être ébranlée comme la France. Ici se montre à nu le caractère universel de la Révolution; l'homme qu'elle adopte pour la con- \ duire est étranger. Il sort de l'île à laquelle NAPOLÉON. 365 J.-J. Rousseau prédisait de si éclatantes destinées. Par ses origines, Napoléon est Toscan ; c'est-à-dire que la France se choisit son chef hors d'elle-même, dans le pays de Dante et de Michel-Ange, mon- trant ainsi clairement que sa cause est, comme elle avait promis de l'être^ non pas celle d'une nation^ d'une race, mais du globe. Les partis ont reproché à Napoléon d'être un étranger, un Corse; ils n'ont paâ senti, dès le commencement, que c'est l'honneur de la France de n'avoir pas borné son cœur à ses foyers. Pour couronner la démocratie, elle appelle à soi l'homme le plus grand qu'elle aperçoive autour d'elle; peu importe, qu'il ait un autre foyer, une autre langue, une autre origine; cette différence même fait éclater le principe nouveau. On a com- mencé par ériger dans la Constitution les droits de V homme; c'est V homme que l'on cherche en Bona- parte, non pas le Frank ou le Gaulois. Rome a tiré son César de son sein , et son action a été toute ro- maine \ la France a pris le sien dans un berceau lointain, et son génie devient cosmopolite. Elle élar- git son foyer par l'adoption de l'Inconnu; et le grand cœur de la Révolution, tel qu'il s'est annoncé dans la Constituante, apparaît là tout entier. Il a détruit le droit d'atnesse, il a effacé les jalousies, les inégalités 3ÇA NAPOLÉON. entrç les frères j et pour que perspijBeiï'eii doute, rpufi^t d'AjacciOy le dernier fils de la famille fr^p^ çaise, qui ^ier ne Iqi appartenait. paç^ qui pç \vi ap- partient aujpurd'hqi qye par adoption, passerai avilit tous les aînés des vieilles prçviuces de France. . P^ns le fait| NappléoQ a h IQèp^e f|m^ille ^e Christophe-Colomb ; il est l'homme du genrq ^u- fnain; il détaphç violemment 1q ][j(ionde de Tan- çien rivagp, Sans savoir clairement où il touchera, croyant même à la fin aborder dans le ps^sé, il con- duit l'équipage vers ui) nouveau monde social. Voyez comment ra,lliance de la {léyolution et ^e ^«polj^op s'accomplit dès le commencement : le se- cret dp toqt ce qui a suivi çst dans ce l)erceaQ. Qu'est-ce que Napoléon dans Vancien régime? un enfant, un Corse, qui pe voit rien au delà de son tle. Passionné pour ellç, il lui sacrifierait le reste du monde. Paoli^ errant sur la montagne, est son hé- ros. Dès les premiers jours de la Constituante, au con- traire^ un immepse cbangenient s'apcoipplit danscpt çsprit. ï^a France s'est annoncée, dévoilée h ]w par un cpup de tonnerre; la Révolutiop pt la Francp lui apparaissent ençemblp; la première lui révèle la seconde. L'enfant devient horopie, le Corse Françfiis, l'insulaire cpsmopoUte, en un mpmpnt; c'e?t l'éclair léQp çJjSqoiivpepoup Ift prçjpjère foi? ]^ W^on^p, ^ij hv^\t gue fftit jft Fj?ftpce } t}§t^ terp? qjfi l}}i i|ipij^rf r»»iveps reisterai pour lui, np^ç ievi^q ^^ féyj^|atiQg^4f cQBtinent . de^ pputiueot?, pe qy-il appelle Iç^ so/ ^acrfVlç.grftRÔ peuple. . , , . .^^^ _^ ^ ^ P'^utye part, quel est le jpur ptj 1^ f r^ifpe &v^\^^^ pour la prçujièrç fois papier #Jui? c'pgt le43 yçp^ démiaire. La Convention aux ,abpis ya périirjLy^pep q^i re§te Je yivant fet 4'au4ftciei|?^ 4?:Iï? )ifs esprits. Bonap^FtQJa !^auyef;41 hH alliance iptifflq %vec e)]g ; vm^ eij l4 gauv^pt/il l^ détfôge;. ç^jr fiUp a pj^nlHé par sa détresse que 1^ teyrgur.ftjUsé laJfirreprîJI faut, si Top nft veut s'arrêter ej.^ç cqptew ^']K que la Révolutipu continue .§Gugunç §ut?e jbrujy?; Iç tefflps n^est p^ encore ftrrjyé 4® g'^ssfçpjï?^ ^e pripcipQ d'autorité qu'a ppsséfî^ 1§ Çouvention va devepîr rijéptage d^ cejui qui Tft {léfgujlu PB y^ndé- piâire ; ej popr usejr ep upe fpis ce fqnd ^Jjsolu que 1$ c^tboljciSime fie qujnze ^ièples ^ dépps^ dans tout un peuple, la dict^turp d'upe asspn^blée 3era repî- placèe aisëmgpt par l^ dictature, d^uuseul; la liberté s'ajourne encore, l'égalité surgit déjà. Cependant , l'étoile n'wparatt que daps les campagnes d'Italie. NaLpoléop avoue qp'jl pe J[!^ 366 NAPOLÉON. Tue au ciel qu'après Arcote et Lodi. Ck)mment alors ne se serait-il pas senti prédestinëT quelle que smt la rapidité de sa pensée, elle est déjà comme innée dans ceux qui doivent l'exécuter ; les hommes et les choses devinent son commandement ; en sorte que si le général a été de loin préparé pour de pareils soldats, d'autre part ces soldats ont été faits d'a- vance pour ce général. Dès la première journée, ils s'entendent sans se parler.  la bataille de Gastiglione , un soldat sort des rangs • < Général, voici ce qu'il faudrait faire. — Tais^toi, malheureux. » C'était précisément l'ordre que le généra voulait donner. Le lieu où il était envoyé devait lui paraître choisi par une faveur d'en haut; ce n'était pas ces contrées du Nord, où l'armée de Sambre-et-Meuse était con- trainte d'hiverner une partie de l'année. Bonaparte apparaît d'abord sous son ciel, au milieu des peuples de sa race. Là, la nature ne l'arrête pas ; il peut frapper hiver et été, sans relâche et seul, la reûom- mée, pendant que l'armée du Rhin immobile dans les glaces s'étonne avec Desaix de ce miracle continu. Enfin, dans un temps où la société tout entière se réglait sur l'antiquité romaine, ce fut une fortupe NAPOLÉON. 567 incomparable, d'avoir à combattre dans le voisinage de Rome. Il semble que les victoires plus sonores arrivaient plus vite à l'immortalité, sur des champs de bataille classiques. Le souvenir des hommes de Plutarque vieillissait, en un jour, de mille années le jeune général; il apparaissait sur le fond de l'anti- quité. Les victoires de la république française, sous le ciel de la république romaine, parlaient aux ima- ginations tout autrement que les autres. Dès le pre- mier jour, Lodi, Arcole, Rivoli, se sont élevés de- vant les contemporains, sur un piédestal antique de marbre et de granit. J'ai vu, à la tète du pont d'Âr- cole, dans la solitude des marais, une petite pyramide qui reste debout; sur les faces sont sculptés des haches d'armes, des faisceaux de licteurs, des tro- phées antiques, des aigles romaines. Qui a passé par làî Est-ce Scipionî est-ce César? L'expédition d'Egypte n'a pas seulement montré la révolution française à l'Orient; elle a montré a Ronaparte ce qu'il enveloppait encore en lui-même, Napoléon. Comment un esprit semblable eût-il été eu contact avec le génie oriental, sans lui rien em- prunter? Transporté loin du foyer d'une révolution, aux con6ns de l'Afrique et de l'Asie, il respire quel- que chose de ce nouveau génie. Classiques en Italie, 368 NAPOÏJÉQN. ses projets deviepoeat gigqji^qoes^ ep Egypte ; peu s'en faut qu'il pe parte pour l'Ipde^ pptr Iç même cbf^ min qp' Alexandre. Il a déjà envoyé des oflSciers en Perse» Surtoptson instinct dp copip^^ndement achève de se déclarer dans cette terre d'obéissance. En ^ voyant aux sources des vieilles sociétés^ il est impo^ sible qu'il pe çopge pas aux piqyens de conserver les nouvelles ; il lit constapiraent la Cible et le Coran ; et si Arcole lui a njontré le capitaine, le Sinaï Ipi dé- couvre le législateur. Etayos le silence du désert, au berceau des institutions , il songe à refaire l'ordre social. ^'Italie avait rendu à |a France un général ; . rOrient lui envoie l'auteur du Code civil, du Coq- cordat, un instituteur, un niaître. Il revient} avec l'accent de l'Asie, il dit, au 18 brumaire : Croyez en pioi ; je suis le Dieu de la guerre ! En Orient, Napoléop avait vu tout un monde éta- bli sur l'accord de |a religion et des institutions civi- les ; sa première penséç, dès le Consulat, est de ra- mener la paix en réconciliant la Révolution et le Catholipisîpe. Il y eut cela de frappant dans ce rp- tpur, que la politique parut des deux côtés, et que rentraîpepient ne se naontra nulle part, La France reçoit ce baptême de Sicambre comme une néces- sité, la papauté le donne dans la criatinte de tout per- NAPOLÉON. 369 4r6. Des deqx côtés, la lassitude morale tjpt lieu de l'espérance, La religion catholique nés' attribuait qu'à demi ces conversions inattendues ; elle en était pres- (me aussi étonnée que sa nouvelle conquête. î^orsqu'il survenait une difficulté sur le Concordat, avecle légat du pape, Napoléon disait : « Cardinal Caprara, ayez- « you? conservé le don des miracles? alors faites-en a usage, vous m'obligerez; sipon, laissez-moi faire. » Restauration sans enthousiasme, sans puissance; œuvre de pjrudence et de raison, que l'Église accep- tait sans presque y concourir, La Révolution, s'ar- rêtant, faisait l'aveu qu'elle n'avait pu entraîner, d'un spul pas, son Église dans le chemin de l'avenir ; le catholicisme reconnaissait qu'il n'avait pu détruire la Révolution. Pès-lors> chacun consentait à vivre à côté l'un de l'aqtre, sans plus chercher à se conver- tir. Le vivant se liait au mort. Op youlait bien appe- ler cela la paix. Mais c'était une trêve sans persua- sion, toute négative, sans triomphe, sans prodiges, sans vie morale, l'alliapce de deux muets aux pieds du m^diatepr. Le Catholicisme et la Révolution ve- nant ainsi à se paralyser complaisamment l'un l'autre, ceci explique Ip vide prodigieux qui se forme partoiit où n'est pas le Copsul. Pour ne pas troubler cettç fausse trêve^ la France cesse dp pepser. 370 NAPOLÉON, Ce prétendu partage du temporel et du spirituel n'avait; au fond, rien que d'apparent, a Les prêtres, disait Bonaparte, voudraient prendre Fâme et me jeter le cadavre; » mais c'est lui, au contraire, qui abandonne aux prêtres Textérieur, le corps, les cé- rémonies, les rites; il se réserve, à lui, le feu sacré, le privilège divin de l'enthousiasme, le don de nourrir les âmes, de les aimanter d'un regard, c'est-à-dire ce qui fait les prodiges. Dans ce partage réglé parle Concordat, d'une part voici des prêtres habiles, prudents, circonspects, les cardinaux Pacca, Caprara, Fesch, l'abbé Bernier, sa- chant temporiser, s'insinuer; ils reprennent peu à peu la puissance de l'habitude; ils rentrent, sans éclat, diplomatiquement, dans l'Ëglise immuable. D'autre part, je vois un homme qui rappelle les légendes; d'un regard il console les pestiférés; à son approche les blessés, les amputés marchent et vont au-devant de lui ; quiconque touche ses vêtements court avec joie à une mort rapide ; un mot de sa bouche com- munique un frémissement d'espérance à des multi- tudes. Dans ce partage, de quel côté est Fempire de l'âme, la puissance morale, spirituelle, le signe de Dieu? qui fait alors les miracles? est-ce l'Église du Concordat, ou le Consul de Marengo ? NAPOLÉON. 371 Un livre illustre dès le premier jour, le Génie du ChrùtianUtiM, montrait dans la papauté une puis- Y sance rajeunie et réparée. M. de Chateaubriand avait tenté de renouveler l'extérieur du culte en emprun- tant les couleurs vierges des forêts d'Amérique ; sur- tout il puisait dans les souvenirs et la détresse de rémigration un sentiment de douleur qui purifiait l'Église. Il noyait dans ses larmes la grande Made- leine pécheresse du dix-huitième siècle; et bien que cet ouvrage contînt l'anathème de la Révolution, du moins il laissait croire que le catholicisme avait appris quelque chose dans l'exil. Ce n'était pas la malédiction féodale de M. de Maistre ou de M. de Bonald, imposant le catholicisme comme une cor- vée aune terre conquise; c'était une supplication gémissante au seuil de la France. La plainte est entendue; la France ouvre son cœur. Aussitôt, pour que la méprise ne dure pas longtemps, le livre qui a fait cette merveille est condamné par le pape. Rome était si bien accoutumée à pronon- cer des paroles éteintes, qu'à tout hasard le génie éloquent lui parut hérétique. On dit que l'Autriche, dans la crainte du bruit, ne permet pas à ses écri- vains de la louer avec trop d'enthousiasme i l'Église en était arrivée justement à ce point. Le premier 1 V 374 NAPOLEON. Consul crut faire sa cour au Saint-Siégé en ën- YoyantM. de Chateaubriand à l'ambassade de Rome; il se trompait. L'homme qui avait le secret de la pa- pauté, M. Cacault, l'ambassadeur, écrit sur-le-champ qu'il faut qu'on se ravise; un sceptique, un indiffé- rent seront plus agréables à tlome que l'auteur du Génie du Christianisme. Là dépêche est précise. Qui l'aurait attendue? Du Concordat au sacre il n'y a que deux années; mais entre l'une et l'autre commence l'abîme. Lors- qu'on voit le pape, attiré par une force surhumaine, venir dans Paris et consacrer Toingt dé la Révolu- lion, c*est, il semble, la marque la plus haute du triomphe de Napoléon. Le cardinal Pacca, huit ans après, se souvenant de ce jour-là, répète la malédic- tion de Job : que ce jour soit changé en ténèbres ! Mais, en y bien songeant, il est clair que le triomphe était pour le pape, non pour l'empereur; car dans cha- cub des symboles de la fête de Notre-Dame on eût pu discerner un présage de défaite. Dans ce Té Deum qui résonne, il y a des voix discordantes qui m'an- noncent Sainte-Hélène. Que pouvait fohder d'éternel cette cérémonie sans croyance, ce catholicisme sans hostie, cette convention de diplomates scellée au pied de la Croix sur les lèvres de l'empereur et du pape? NAPOLÉON. 575 Qu'avait besoin de cette empreinte du passé celui (}ui avait été sacré par les ïites vivants dés peuplés? Le pàpè effaçait sur son front, autant qu^il le pou- vait, l'auréole de la Révolution ; il la remplaçait par Tauréole des morts. Nul né peut jouer impunément avec les symbo- les. Napoléon croit échapper à tous les présages, parce que, contrairement aux habitudes du passé, il prend la couronne sur Tautel et la pose lui-même isùr son front. Subtilité de conquérant ! il a en réalité, accepté , d'Un plus puissant que lui , une couronne invisible , pesante du fardeau de mille années ; et tout grand qu'il est , pour la première fois , il plie sous le faix. Car, cette couronne que le pape lui a octroyée , et qui ne se détachera plus de son front qu'elle né l'ait écrasé , c'est l'idéal du moyen âge. Quoique ses yeux soient perçants, désormais il verra tout à travers ce voile fictif. Étonnante justice ! Il s'est soumis un moment, devant le monde entier, à une puissance morale à laquelle il ne croit pas. Et lui, le maître de l'univers, il va rester, malgré lui, dans ses plus grands projets, lé vassal de cette puis- sance, au moment même où il affectera de la briser. Il s'est rendu, sans y croire, à la religion du moyen âge, et il va refaire, sansy croire, l'empire du moyeu âge. n 37i NAPOLÉON. La fdscinatioQ s'en mêle. Depuis qu'il i été dé- voué au passé, pour ne plus être Bonaparte y il tra- vaille à être Gharlemagne. Le vieillard de Rome a donné le sacre à la Révolution; et tout retombe, aussitôt dans l'ancienne forme. Masséna^ Lannes, Augereau, ne sont plus les compagnons d'un consul romain; ils sont les douze Pairs d'un Arthus féodal. Toute cette société qui marchait vers l'avenir au pas de course y s'arrèle et se tourne vers le passé. Obsédé de ce faux idéal du catholicisme, Napoléon imagine des conciles, impossibles ; le plus original des hommes ne crée pliis que des institutions sur- années; et, comme cela ne pouvait manquer d'arri- ver, il finit par punir, de ce qu'il y a d'impos- sible dans son système, la papauté qui devait en être le soutien.Il ne voulait dans le pape qu'un ins- trument; il s'indigne de s'être donné un mattre; sitôt qu'il s'en aperçoit, il l'emprisonne. Mais c'est lui qui reste captif dans le cercle tracé autour de lui par le catholicisme. D'une part, l'excommunication, de l'autre la prison de Fontainebleau , voilà par où devait finir la paix fictive, scellée à Notre-Dame. Et bien que ce soit la plus mauvaise page de Thistoire de Napoléon^ sans doute il fallait que ce dernier es^i d'organi- NAPOLÉON. 375 sation sociale, sur le principe et dans F idéal du ca- tbolicisme, fût essayé par le plus grand bommç et le plus original des temps modernes, afin qu'en voyant ses institutions glacées et mortes en naissant, à ce souffle du passé, tout ce qu'il avait fondé sur l'accord de la papauté tomber ou s' effacer de soi-mê- me, noblesse, royauté, baronnies, bérédité Çarlo- vingienne, son tombeau de Saint-Denis transporté à Sainte-Hélène, et le Code civil repoussé par le pape, subsistant seul au milieu de ces ruines, per- sonne au monde ne fût plus jamais tenté de faire sacrer et oindre l'avenir par la religion du moyen âge* Malgré ce cbangement, le peuple se reconnaissait encore dans l'Empereur; la capote grise faisait par- donner la couronne de Gbarlemagne. Dans cet âge béroïque de la démocratie, c« qu'elle demandait avant tout à ison cbef , était, non la liberté, mais l'béroïsme. Faire des rois à sa guise était encore un attribut de souverain. N'ayant pu renverser d'un souffle la vieille Europe, on pensait la braver, en donnant à qui l'on voulait, en un moment, la dignité des sièctes; puis la France pardonnait à son héros d'être tout cbez elle, parce qu'elle espérait devenir tout chez les autres. 29 376 NAPOLÉON. Une antre chose servit à conserver jusqu'au bout à Napoléon le cœur des niasses; il ne connut pas la distinction impie de la bourgeoisie et du peuple. Jamais Tidée ne lui vint de partager le pays en ri- ches et en pauvres, de se donner aux uns, de se dé- fier des autres. Appliquant à la société son principe de tactique , il fit de tous les eufants de ta France une seule masse , la grande Nation, la grande ar- mée, qui respirait, il est vrai,sôus la mitraille, mais qui n'avait qu'un foyer, un drapeau et une âme. Y avait-il un pays légal et un pays illégal, des bourgeois et des prolétaires, à Marengo, à Aus- terlitz, à léna? Non : il y avait des hommes qui tous ensemble ont conquis, pour eux et pour leurs descendants, le droit de cité. En dépit de tous les déguisements, le principe de la démocratie éclatait, étincelait à la veille des batailles. Ces jours -là, TEnipereur, quoi qu'il fît, était obligé de se retrancher dans sa vraie force ; il la déployait comme un étendard, dans ses proclamations. C'est dans ces paroles de feu qu'est toute l'âme de l'Empire; et il faut avouer qu'on ne vit jamais rien de semblable , ni la démo- cratie plus ouvertement triomphante. Qu'est-ce que cet empereur, qui promet son trône à Fenfant NAPOLÉON. 577 du plus digne? Qu'éôt-ce que ce général qui, entrant en campagne, confie au moindre de ses soldats son projet, quelcjuefois son plan de manœu- vres, son idée et son but politique? Au grenadier qui est sur l'Elbe ou TOder il annonce qu'il veut frapper là l'Inde, Pondichéry, le cap de Bonne-Ës- pérance. Une autre fois , dans les neiges d'Eylaii, il proclame qu'il faut gagner là pour le monde la / liberté des mers. Et c'est, pour cette cause géné- rale, universelle, pour ces secrets d'État, cette haute politique du globe, qu'il prétend passionner les sous-ojBBciers et les masses de l'armée ! Quelle foi dans l'intelligence et dans le cœur de ces hommes ! quelle égalité, quelle familiarité de gé- nie entre le chef et la foule! Car enfin, ces procla- mations contiennent les idées les plus élevées, et comme la philosophie politique de l'Empereur. En les livrant aux siens, dans l'abandon d'un jour de péril commun , il faisait de ces hommes autant de confidents de sa pensée et de représentants de la civilisation de l'univers. Le grenadier de la garde qui entendait au bivouac ces immenses paroles, ne pouvait en comprendre exactement la valeur; mais il faisait mieux que cela; il en saisissait l'âme, il sen- tait avec une force électrique, qu'il était le bras qui 378 NAPOLÉON, devait remuer un monde, à ses extrémités. Pour montrer qu'il avait tout compris, il disait à son chef, le soir d' Austerlitz : « Sois tranquille ! tu n'auras à combattre que des yeux. » A mesure que Napoléon semble tout ramener à lui, on s'aperçoit qu'il est moins maître de sa for- tune. Lorsqu'il paraît ne plus agir qu'arbitraire- ment, c'est alors qu'il est l'instrument presque pas- sif d'un plan qui vient d'en haut. Plus il est ab- solu, moins il est libre. Général d'Italie, consul, il fait exactement ce qu'il a le dessein de faire; em- pereur tout-puissant, son action va presque toujours au delà de son projet ; il frappe des coups qui ont un retentissement là où il ne l'attendait pas. J'en veux montrer un exem La guerre d'Espagne est la plus injuste qu'il ait faite ; mais le merveilleux est que le coup qui op- prime l'Espagne délivre l'Amérique. L'Europe n'est préoccupée que de la violence faite à Madrid, et il se trouve que tout le Nouveau-Monde applaudit à cette guerre que tout l'ancien condamne. A chaque bataille livrée en Cas tille, à Burgos, Somosierra, contre l'Espagne', une république indépendante sur- git de l'autre côté de l'Océan, au Chili, au Pérou, au Mexique. Une justice supérieure éclate, car il fallait NAPOLÉON. 379 trois choses : premièrement que TEspagne fût punie de sa dureté envers 1 Amérique ; secondement que ce châtiment la régénérât ; troisièmement que ses colonies asservies devinssent des États libres. Or, tout cela s'accomplit, par la même main, dans l'en- treprise qui est considérée avec raison comme la plus inique de l'Empire. Voilà pourquoi, aujourd'hui, le nom de Napoléon fait battre le cœur à tous les peuples ; derrière lui on commence à voir la Providence. On reconnaît que le plus puissant des hommes a toujours été entraîné par quelque chose de plus puissant que lui , que la paix n'a jamais été entre ses mains, qu'un Dieu le poussait sans relâche, que préi^ue tout l'univers est sou complice. Si le général d'Italie se fût arrêté à Marengo, il eût représenté dans l'avenir la démo- cratie française ; mais aux yeux des étrangers, celui qui est allé au Caire, à Vienne , à Madrid, à Berlin, à Varsovie, à Moscou, est le précurseur de la démo- cratie universelle ; nous aimons le consul, ils saluent l'empereur. Il arriva le moment où le monde devait montrer qu'il n'avait plus besoin du débordement de la France; mais il fallut encore attendre qu'elle fût entrée dans la ville sainte, Moscou. Alors toute l'Eu- 380 NAPOLÉON. rope continentale a été visitée. Chaque race, chaque peuple a reçu son ferment d'avenir. Le signal de U retraite est donné de haut ; la neige de Russie couvre la grande armée, et quelques hommes rapportent le drapeau en ceinture. Personne n'attaque plus la Ré- volution par le manifeste féodal de Rrunswick; ou la combat par l'esprit même qu'elle a crée. Les rois ont appris à la fin le mot sacré de la Constituante, la liberté et l'Évangile; ils le retournent contre le pays qui l'a prononcé le premier. Deux Français, daqs la campagne de Saxe, Bernadette et Moreau, tuent la France, en portant chez les autres le secret de la grande tactique ; en sorte que de tous côtés notre pays est assiégé par la force môme qu'il a ré- pandue dans l'univers; et ce qu'on n'a pas encore vu, la défaite d'un peuple n'est consommée par tous les autres qu'à la condition qu'ils adoptent son prin- cipe et sa foi. Ainsi commeqce à s'expliquer la dictature de Napo- léon. Comme tous les grands inventeurs, la France devait donner la Révolution au monde et payer son bienfait par un jour de mort. Prométhée donne à la terre le feu du ciel, il est lié au rocher; Christophe Colomb montre à la vieille Europe un nouvel uni- vers, il est raipené les fers aux pieds du milieu de sa NAPOLÉON. 381 conquête. Si ce jour d'angoisses fût arrivé pour la France sous le Directoire, Tinvasion se fût consom- mée au nom du passé par ce Souwarow qui s'armait du knout. Mais quinze années d'un soleil éclatant sont encore données pour mûrir le grain semé dans la tempête. Alors, peuples , rois , tous ceux qui se lèvent contre la Révolution, déclarent être converti9 par elle. Fiction ou vérité, l'empereur Alexandre a sur les lèvres les mots de Mirabeau. Qu'est-ce que la Sainte^AUiance, si ce n'est la dé- claration des droits de l'homme empruntée pour un jour, et le drapeau de la Constituante déployé par les rois? Peu importe qu'ils aient voulu jouer le monde par ce déguisement ! La robe sanglante de l'esprit qu'ils ont revêtue un moment, s'est attachée à leurs os; elle les brûlera tôt ou tard, eussent-ils tous en- semble la force physique de l'Hercule païen. Fascinée par cette ombre, cet écho, ce fantôme de son esprit, qui se dresse de tous côtés, depuis la Grimée jusqu'au Rhin, la France est aveuglée ; puis aussi le sang lui manque dans les veines. On lui crie liberté au dedans, au dehors ! Le monde lui a pris son mot d'ordre; en le répétant à haute voix, chaque peuple passe ses frontières. Elle tombe, et sa pensée triomphe. 582 NAPOLÉON, Assez de sophismes ont été entassés sur rinvasioa, tantôt pour s'en distraire, tantôt pour s'en glorifier, toujours pour s'abuser. H n'est pas bien que les peuples se consolent trop tôt. On a cherché mille détours pour ne pas voir la plaie ; acceptons la dou- leur, si nous voulons en guérir. Dans ce moment de détresse, où était l'âme, le sanctuaire du territoire sacré? Était-ce avec l'Église du concordat? elle allu- mait la Vendée. Avec le pape? il était dans la ligue des schismatiques. Avec les systèmes des doctrinaires naissants? M*''' de Staël allait jusqu'à dire qu'il fallait se consoler de l'invasion, par l'avantage d'étudier les mœurs anglaises et la littérature allemande. La vraie vie, la philosophie réelle était réfugiée au cœur de ces hommes d'instinct qui, avec Garnot, tenaient encore le drapeau, ne voyant plus, à cette heure, que le héros dans l-Empereur. Uàme de Jeanne d'Arc n'était pas sous les fleurs de lis ; elle était en Cham- pagne, sous le drapeau tricolore. Qui n'a pas vu ces hommes rentrer, à la fin, un à un dans leurs chau- mières, muets, stupéfaits, ne sait pas jusqu'où peu- vent atteindre la dignité et la profondeur de la douleur chez un peuple chrétien. Ils ne deman- daient pas, comme M"* de Staël, à se consoler par des livres; ils se nourri<(saient d'un unique souvenir, et cherchaient toujours l'étoile ! NAPOLÉON. 585 Dans ce silence obstiné^ dans ces regards qui creu- saient un mystère, dans un soupir qui sortait de ces poitrines d'airain, -il y avait plus de Fâme et de l'ima- ge du Christ, que dans tous les Te Deum quel'Ëglise depuis trente ans a entonnés sur sa victoire. Waterloo! il faut regarder en face cette autre bles- sure ; on nous disait que cette journée n'était rien qu'une bataille entre des idées, et qu'en y mieux pensant, elle pourrait nous paraître une fête. De quoi servent lessophismes qu'à énerver les cœurs? Ne jouons pas avec de pareils mots. Si nous avons été frappés, sentons au moins le coup. J'ai par- couru ce champ de colère; je crois en connaître les moindres débouchés ; dans la nuit, j'ai écouté vers la Belle-Alliance, les voix des morts. Ce ne sont pas des abstractions qui crient, mais des hommes qui veulent être ensevelis dans une mémoire glorieuse. Je n'ai rien vu, sur le Golgothade Mont-saint- Jean, qu'un immense calice tout plein des larmes et du sang d'un grand peupla; buvons-y à loisir, sans dé- tourner les yeux, jusqu'à la lie. Caril est bien évident, ce jour-là, que nous avons reçu le coup d'en haut. Ces trois armées qui se succèdent, quand l'une est lasse, de Wellington, de Bulow, de Bliicher, et ce dernifer qui débouche de la forêt, en un clin d'oeil, 3M NAPOLÉON. sans être aperçu^ tout cela marque une stratégie que rhomme n'a pas Êiite. Pourquoi avous^DOus été frappés là pour la seconde fois? Où était le nouyeati crime? Pourquoi la Vestale a-t-elle été enterrée vi- vante? Apparemment pour avoir laissé s'amor- tir le feu d'en haut. Si là est le mal , là est le re- mède; il faut rallumer la lampe. Eh! qui sait si cette mort, où nous nous agitons depuis trente ans, ne nous est pas donnée pour nous renouveler? Déjà la France, en 1830, s'est relevée d'un genou dans le sépulcre. En croissant au dedans, nous finirons par briser, de latôte et du cœur, la lourde pierre que l'univers a amassée sur nous. Un grand signe, est de voir qu'avec Napoléon lié à Sainte-Hélène, la Révolution devient elle-même prisonnière dé guerre sous la Restauration. Les in- signes de l'esprit nouveau sonteJBacés ; le peuple est captif comme son chef. Mais dans cette mort vivante de Sainte-Hélène, l'âme de Napoléon grandit ; il voit des choses qu'il n'apercevait pas dans sa toute-puis- sance; surtout, il fait l'aveu magnanime de ses fautes. Sans cette incurable douleur, le monde ne l'eût connu qu'à moitié ; il boit goutte à goutte le ca- lice de Waterloo ; et quand il l'a épuisé, il se réveille dans la paix de Timmortalité, réconcilié avec tous les NAPOLEON 385 peuples qui Tout maudit. N'est-ce pas là une dernière phase dans laquelle doit entrer la démocratie qu'il a représentée? Après avoir eu sa geôle de Sainte-Hé- lène^ ne faut-il pas qu'elle ait aussi sa délivrance, non dans le marbre et le bronze, mais dans la con- science d'un nouvel ordre social? Dans le fond, la Constituante, la Convention, Napoléon, marquent les différentes époques d'un môme principe. Ne croyons pas que tout soit perdu , quand une de ces époques finit ; c'est le moment d'entrer dans une autre. L'idéal de l'avenir, qui se développera par les siècles, doit renfermer et concilier tout ensemble l'essor moral de la Consti- tuante sans ses illusions, l'énergie de la Convention sans la cruauté, la splendeur de Napoléon sans le despotisme. Yoilà les racines du nouvel arbre social, ^'ensevelissons donc pas notre pensée dans un seul de ces moments; les choses qui les remplissent ne sont si grandes que parce qu'elles ne peuvent plus être refaites par personne ; et leur puissance même nous avertit qu'il est temps d'en imaginer d'autres. QUINZIÈME LEÇON. Pourquoi le catholicisme n'est plus Tâme de la France.— Résultats de la Révolution de 1830. —Une grande secte. — Nouvelles théories sociales comparées à celle de Campanella. — Avenir de la démO' craiie. — De Téducation du peuple. — Conscience du divin dans Thomme; source de la législation nouvelle. — L'État remplace-t-ii rÉglise? ^- Un sanctuaire au-dessus de TÉtat. — La Réforme de la Réforme. — Que la Révolution a ramené la foi à Timpossible. — Cause d'un divorce d'esprit entre les hommes et les femmes. — Comment juger si une théorie est dans le plan de la Révolution fhmçaise . — Conclusion . 30 QUINZIÈME LEÇON. iMlu Ht LA ùitfôqiiÀflfi, Après Waterloo, Byron chante leâ funérailles de la France. Où retranche du passé les trente années où elle a vécu le plus^ comme on enlève à un cadavre^ dans l'autopsie, le cœur et les entrailles. Son dra- peau, ses couleurs, ses armes, sont enterrés; personne ne peut dire ce qu'ils deviennent. Sa fortune est octroyée comme un butin. Le drapeau blanc seft de linceul; Pour peser sur le cadavre et en répondre au inonde, on fait asseoir, aux pieds et à la tête, la vieilleRoyautè et la vieille Église; après celarancieaiip 390 IDÉAL Europe prête encore une fois Toreille. PTeoteDdaDt aucun souffle de vie, elle s'éloigne; ses soldats re- passent un à un la frontière, sans détourner la tète. Dans cette heure d'agonie, d'où viendra le secours? qui réchauffera le grand blessé 7 Si le catholicisme est encore, à un titre quelconque, la religion natio- nale de la France, l'instant est venu de le montrer; il fera cause conamune avec elle dans cette détresse; il sera le premier à lui communiquer le nouyeau souffle de vie. Mais le contraire arrive : à chaque ef- fort que fait ce pays pour se ranimer, la vieille Église le repousse ; elle le scelle, par le droit divin, aune dynastie morte. Jamais on ne vit une lutte sembla- ble : d* un côté, une société défaillante qui tente de surnager, de l'autre, son Église qui travaille à la replonger dans le gouffre. Il y a eu des moments où ces grands efforts pour revivre ont excité même la pitié de FËurope; le clergé est demeuré impas- sible; il est resté jusqu'au bout Tallié, l'ombre insé- parable deTétranger. Dans les chaumières, un lam- beau de drapeau, un vieil uniforme, une cocarde cachée, étaient les reliques qui relevaient les cœurs; mais le prêtre n'a pas trouvé, dans toute sa liturgie, un accent pour s'associer à cette douleur, à cette passion d'un peuple. Il n'a su que l'empirer; s'il DE LA DÉMOCRATIE. 391 avait pu Féterniser, il l'aurait fait. L'Église ne priant plus pour cette grande nation défunte, il a fallu qu'un homme, qui unit le sourire aux larmes, fît l'office du curé de campagne. Béranger a ramené, sous chaque toit, l'espérance avec le chant du Dieu des bonnes gens ! Avez-vousjaraais ouïdire que l'Église de France ait pris le deuil, qu'elle ait répété jour et nuit la liturgie des agonisants, lorsque l'ennemi a fait invasion sur ce territoire sacré? Quelqu'un a-l-il entendu le glas de ses cloches, lorsque les cavaliers hérétiques de Cri- mée «et de Prusse sont venus bivouaquer au seuil de Notre-Dame? Qui sait, pourtant, ce qu'un gémisse- ment aussi solennel d'une Église réellement nationale eût pu produire, quelle commotion en eussent res- sentie cette terre envahie et ce qui restait de ce peu- ple guerrier ! Ah ! si elle eût seulement tenté ce mi- racle , pour ma part je lui eusse tout pardonné. Mais non ! Elle a vu, les yeux secs, le pays agoniser; elle a vu les schismastiques de Russie et d'Angleterre se répandre, comme une mer, sur les villes et les hameaux de sa 6lle atnée; et, dans ces jours où le calcul s'efface, où l'instinct seul paraît, non-seule- ment elle ne s'est pas frappé la poitrine, mais elle s'est réjouie. Plus tard, au contraire, lorsque trois 5dt IDÉAL jours de réparation oDt brillé pour la France, s'est- elle la première ornée de fleurs pour la fête? Non, elle s*est attristée comme d'une défaite. Qu'est-ce donc que ce prodige d'une Église qui se dit nationale et qui toujours se glorifie de ce qui nous désespère, et se désespère de ce qui nous glorifie? Si nous périssons, elle s'élève ; si nous nous élevons, elle périt. Après qu'en ces moments suprêmes, le salut d'un peuple s'est accompli en dépit d'elle, suflBra-t- il, aujourd'hui ou demain, d'un livre, d'un sermon, d'un mandement d'évêque, pour renouer, avec le pays, l'ancienne alliance? Non! les pénitences et l'éloquence de saint Bernard échoueraient, si on pouvait les retrouver; car quelque chose de plus élo- quent que toutes les paroles du monde a éclaté dans ces jours solennels, où la vie et la mort étaient en jeu. A la clarté funèbre des invasions, on a pu voir de quel côté étaient l'espoir, la vie, la rédemption. Le prêtre a passé devant ce peuple frappé par le glaive de tous les peuples ; il a laissé se noyer dans son sang le grand samaritain, et il s'est mis du côté des assaillants. Avec M. de Donald et tous les autres, il a prouvé doctement, sèchement, que le blessé avait tort de se plaindre; avec M. de Maistre, il disait qu'il faudrait peut-être le sang et la mort de plus de yaa- DE LA DÉMOCRATIE. 393 trè fmllions de Français^ pour étancher la soif de son Dieu implacable! Et, après cela, on pense, on feint d'imaginer que cette terre de France peut ou- blier ce qui s*est passé dans les heures d'angoisses, où elle avait tout perdu, jusqu'au sentiment d*elle- môme! Jamais. Si les hommes perdaient la mé- moire, les choses la garderaient à leur place ! Cessez donc de répéter que là Révolution de 1830 a décoiironné violemment le Catholicisme en lui ôtant Tauréole de la religion d'État. Cette destitution est, en effet, le résultat capital de la Révolution ; mais ce n'est pas elle qui l'a provoqué. Tout au plus elle a déclaré une chose accomplie. Le Catholicisme lui-môme, en se séparant des douleurs de la France, a commencé par établir dans tout Funivers qu'il n'est plus le foyer moral, la conscience, la Religion nationale de notre pays, c'est-à-dire qu'il n'en a plus le cœur ni les entrailles. Par où l'on voit que la lé- gitimité de cette Révolution est d'avoir écrit, dans la loi, une chose qui était dans les faits, et que ses ad- versaires eux-mêmes y avaient mise. Toute Tâme des journées de 1830 est là; et c'est pourquoi aussi ce qu'elles ont fait est irrévocable. Les siècles des siècles passeront. Le Catholicisme, avec ce qui en est la conséquence rigide, le droit divin inféodé à une 394 IDÉAL dynastie^ se repliera de mille maDières. n s't^riraà tous les, partis. Il essaiera, ce qu'il y a de moins probable et d'impossible, de se renouveler dans Ve^ prit même qui le renverse; ou encore il continuera de subsister, sans s'accroître, immuable témoin d'un passé qui s'éloigne chaque jour. Malgré toutes ses fautes, soit qu'il tente de se réparer, soit qu'il se contente d'être le Brahmanisme ou le Bouddhisme deTOccident, les esprits lassés s'abriteront dans cette ruine. Il restera une grande secte ; mais quelles que soient les chances de la destinée, jamais il ne sera plus l'âme ni la religion de la France. Pourquoi cela? parce qu'il l'a voulu ainsi. On a vu de quelles sources éloignées part la Ré- volution française; elle ne tombe pas seulement des mains du dix-huitième siècle; elle descend des hau- teurs de tout le passé. Aussi, depuis un demi- siècle, malgré les apparences, ne s'est-elle pas arrêtée une heure. Lorsqu'elle trouve un obstacle, elle creuse la terre, et va surgir un peu plus loin. Sous la Res- tauration, les écrivains, les philosophes doctrinaires disaient que le péril était passé, qu'avec un peu de prudence, on s'assurerait que la démocratie a vidé sa coupe. Mais, avec l'instinct de §a propre conser- vation, la royauté absoluç entendait bouillonner et DE LA DÉMOCRATIE. 595 trembler le sol sous ses pas. Rien ne pouvait la ras- surer; le sentiment de son danger lui en apprenait plus sur cela que toute la science des publicistes. Eu effet, après 1830, tout le monde a vu sortir de terre le fleuve enseveli; seirlement il était bien changé. De Tablme où il avait été contenu, il apportait une question que personne ne connaissait, la guerre des classes, l'inimitié de la bourgeoisie et du peuple. Dans le vrai, l'esprit de la Révolution française est ! de s'identifier avec le principe du Christianisme. Au i milieu du vertige des passions, cette idée reparaît \ depuis Mirabeau jusqu'à Danton; elle devient l'hé- ritage de chaque parti; c'est l'arc d'alliance qui I brille dans la pluie de sang. Après dix-huit siècles, l'homme commence enfin a déclarer que Dieu est descendu dans l'homme; et cette conscience réfléchie de la présence de l'Esprit divin crée un nouveau Gode des droits et des devoirs. La Révolulion, dès l'origine, promet d'être reli- gieuse et universelle; d'où cette première consé- quence, que son esprit repousse tout ce qui peut di- minuer la dignité intérieure du genre humain. Gardez-vous donc d'abaisser le niveau moral, croyant par là rendre plus aisé l'avènement de la dé- mocratie; vous feriez précisément l'opposé de ce que 396 IDÉAL VOUS voulez faire. J'ai bien peur, je Tavoue, de ces facilités de mœurs, que Ton érige en théories su- blimes. Vous voulez surmonter la bourgeoisie; ne commencez pas par lui emprunter ses vices. Tout serait perdu si, par je ne sais quelle fascination, la misère morale des riches devenait l'objet de la con- voitise des pauvres. Car, ne pensez pas, qu'à aucun prix, l'homme, le genre humain, consente à déchoir du beau moral qu'il a une fois entrevu. Il ne suflSrait pas, que du fond de l'abîme, un grand peuple criât : Pai faim et soif. Dieu lui jetterait la pâture du corps, mais il lui retirerait la magistrature du monde. L'avènement de la démocratie ne peut être qu'un nouveau progrès de l'esprit, de la civilisation, de l'ordre universel. Ou elle sera tout cela, ou elle ne sera jamais rien; ce qu'il est impie de supposer. Que faut-il pour hâter l'avenir? Qu'une con- tradiction manifeste éclate entre la dignité inté- rieure d'un peuple et sa condition réelle, que cette opposition aille toujours en s' accroissant, jusqu'à ce que par la force des choses, elle ne puisse plus sub- sister ; de telle sorte que l'esprit émancipe forcément le corps ; car c'est ainsi que se sont accomplies toutes les émancipations durables que le monde connaît. DE LA DÉMOCRATIE. 397 Il ne s'agit pas ici d'une instruction scienti- fique, d'un appareil de théorèmes, d'une biblio- thèque à étaler devant des gens qui ont à peine le temps de vivre. Non. Je ne demande qu'une étin- celle, mais puisée au foyer le plus pur de la vie mo- rale. Ce peuple est accoutumé à comprendre aisé- ment les mots tombés de haut. L'Assemblée constituante , la Convention , Napoléon , lui ont donné en courant cette éducation de roi ; il la faut achever. Vous voulez l'émanciper de la glèbe; relevez donc sans relâche son esprit à la hauteur du nou- veau ciel moral. Que sont ces théories par lesquelles chacun sera dispensé tôt ou tard de toutes les ver- tus? L'homme fera tout ce qui lui plaira, dites-vous, jet jamais rien qui lui coûte. Eh ! ne voyez- vous pas que vous détruisez jusqu'au dernier ressort de l'âme? Pour moi, j'aimerais mieux cent fois cette devise : Fais toujours ce que tu as peur de faire. Car je sais que dans cet assaut intérieur, dans ce travail héroïque , l'âme s'accroît, elle prend sa force, son point d'ap- pui, elle crée, elle soulève un monde ; et l'homme enfante le surhumain. Si la souveraineté du peuple n'est pas le plus trompeur des mots, c'est une âme royale qu'il faut 598 IDÉAL / élever dans ce berceau, non pas seulement un arti- I san dans l'atelier, un laboureur sur le sillon. Je ne ; veux pas seulement que la démocratie ait son pain i quotidien; avec Tesprit de mon siècle , je veux en- core qu'elle règne; et voilà pourquoi je demande d'elle des vertus souveraines. Pendant trois jours de juillet, elle a marché sur les nues. Le souvenir de sa clémence dans le com- bat, la foi du volontaire de 92, l'héroïsme che- valeresque d'un Latour d'Auvergne, l'inébran- lable constance d'un Carnot, le christianisme Spar- tiate de M"* Roland, l'élan du serment du jeu de paume, l'âme d'airain de la Garde dans les jours de détresse, voilà la couronne idéale qui doit flotter sur son front; c'est le diadème que Dieu a préparé pour le sacre de la démocratie moderne. Entre tant de partis ou de classes qui se divisent, vous demandez lequel aura la victoire. Je réponds que celui-là aura la puissance, l'autorité, la légitimité qui, restant le plus fidèle à ce beau moral, s'en approchera da- vantage. On dira que je suis trop exigeant, que j'élève jus qu'au ciel l'idéal de la démocratie; cela est vrai; mais songez qu'il faut le placer haut, puisqu'il doit être vu, comme un phare, du Globe entier. DE LA DÉMOCRATIE. 399 Remarquez ici une chose étrange ! La destinée de la France veut qu'elle renferme tout ensemble la Révolution la plus nouvelle et l'Église la plus an- cienne ; et le prodige est que l'avenir naît de celte contradiction même. Louis XVI tranche la difficulté par le veto^ le Comité de salut pubHc par le culte de l'Être suprême, Napoléon parle sacre, Charles X par les ordonnances; tous ces gouvernements ont été entraînés par cette question; elle n'est pas en- core résolue. Comment ne pas voir .que le Catholi- cisme accomplit chez nops, depuis un demi-siècle, une mission extraordinaire? Sitôt que la France veut se reposer, cet esprit du passé se réveille ; il se lève, il la provoque, il la harcelle, jusqu'à ce que, pour lui échapper, elle se jette dans l'inconnu. Au reste, n'allons pas retomber dans une autre idolâtrie. Toute grande qu'est la Révolution, je ne demande pas que vous en fassiez une idole. Si elle avait été identique avec l'idéal religieux, si elle Tavait absorbé tout entier, il ne resterait qu'à la re- commencer éternellement. De l'or pur qui était au fond de ces temps de douleur et de gloire, je ne prétends pas que vous vous formiez un veau d'or. Véritablement il sei'ait trop commode de croire que nous sommes les plus pieux, les plus religieux 400 IDÉAL des hoauneSy parce que nous exigeons que le chris- tianisme se réalise à notre profit; et l'erreur serait étrange de croire que pour devenir Tapôtre dQ l'esprit nouveau, il snffit.de diviniser notre intérêt. Ne nous rendons pas la tâche trop aisée, car nous ne la remplirions pas même. Groirai-je ce philosophe allemand qui m'enseigne, qu'après tout, le vrai bap- tême est un bain pour la santé du corps, que la vraie communion est un repas splendide ? Flétrir l'âme, est-ce là m'affi*anchir 7 Nous parlons presque uniquement de réaliser l'Évangile social pour eo jouir. Quelqu'un espère-t-il arriver à l'âge d'or de la fraternité universelle sans passer par le dévoue- ment, par lesaprifice, par le travail intérieur, et par la mort peut être? Si cela est, il se trompe; et le comble de la misère serait, en perdant le trésor de l'âme, de perdre jusqu'à l'espoir de thésauriser pour le corps. A quelque moment que je considère l'histoire de cette Révolution, il n'en est aucun dont je voulusse éterniser l'esprit, parce qu'il n'en est pas qui con- tienne et réalise en soi l'idéal de vérité dont j'd be- soin. Elle a tendu, d'un effort sublime, à embrasser le divin; elle s'en est approchée en des instants su- prêmes ; mais enfin, elle n'est pas la Justice, FÉvan- DE LA DÉMOCRATIE. 401 gile éternel, la Religion absolue. Je ne me rengage- ra donc aveuglément dans aucun de ses partis; je ne rentrerai pas dans le moule du passé; je ne me condamnerai pas à marcher, les yeux baissés, sur les vestiges d'aucune des factions qui ont eu, , un mo- ment, la conscience du salut de la France. Hommes nouveaux, faisons-nous un nnonde nouveau. Parce que j'ai parcouru les champs de bataille de Napoléon, croirai-je que l'Empire peut renaître? prendrai- je pour idole la Constituante, dont le pur en- thousiasme me séduit? adorerai-je, en aveugle, comme un Juif au pied du Sinaï tonnant, la monta- gne de la Terreur? me ferai-je un culte d'épouvante? Un des conventionnels, amis de J^nt Just, souvent en mission avec lui, un des hommes qui ont le plus abusé des moyens de la Terreur, me disait, il y a peu d'aûpées : Les hommes de^ nos jours qui parlent de l'échafaud, ne le connaissent pas : c'est m ressort i uâe; Puisque la mort çst usée, de l'avis même de ceux qui la donnent , qu'est-donc qui ne l'est pas? La vie de l'âme, la conscience insatiable de vérité et de justice , l'esprit de création qui descend perpétuellement en vous , pour vous re- nouveler : voilà le ressort qui ne se brisera jamais. Celui qui le tient dans sa main, le retrempe inces- \ i02 IDÉAL samment aux sources où il a puisé F univers. De tout ce que j'ai établi, il résulte que Tidéal de la Révolution est, a beaucoup d'égards, plus près du Christianisme que ne Test aujourd'hui TËglise. Dirons-nous pour cela que l'État est la Religion même? Nous ferons-nous un fétiche des lois poli- tiques et civiles? ce serait où nous péririons à bon droit. Prendrons-nous le Code civil pour la parole sainte, les Chambres constitutionnelles pour nos con- ciles? Par ces abus de mots, croirons-nous nous rapprocher beaucoup de cette conversation avec Dieu, laquelle ne peut et ne doit jamais manquer à l'homme? Que serait véritablement tout cela, sinon la parodie de notre pensée? . Il y aura toujours un sanctuaire dans lequel TËtat ; avec ses armées ne pourra pénétrer ; et ce sanctuaire \ idéal, élevé au-dessus des gouvernements et des insti- tutions réalisées, ce temple, où n'entrera plus jamais j la force, cette enceinte, cette Église que ne peut régler \ nwuer aucun pouvoir temporel , c'est la conscience religieuse de l'homme, en commerce avec l'infini. Vous cherchez toujours au loin ce pouvoir spirituel, indépendant de la terre. Vous l'avez place d'abord dans Rome, au Vatican, puis dans les livres du dix-* huitième siècle, purs dans les assemblées, duns les /' D£ LA DÉMOCRATIE. i03 conseils de la Révolution, toujours en dehors. Com- bien de temps vous faudra-t-il donc pour déclaier que le pouvoir spirituel, qui lie et qui délie, habite tout près de vous, en vous^ dans votre poitrine? L'Ëtat ne peut rien sur cette Église, et cette Église domine rÉtat;car elle le juge, elle Tabsout, ou elle le condamne; et ses arrêts Bnissent par être exécutés. Un homme, en grandissant intérieurement, en re- doublant en soi, par un effort sublime, la vie morale, fait, sans qu'il le sache, une révolution dans le genre [ "' humain, qui, tôt ou tard, est obligé de se mettre / à son niveau. Je dirais volontiers que chacun porte, ! au dedans de soi, la chaîne de diamant qui soutient ( l'univers moral; à mesure qu'il s'élève, il oblige ; l'univers de monter avec lui. Ce qui sera la force de ce temps commence par en faire la misère. Nous sommes embarrassés et comme accablés des puissances que vient de nous donner la nature. Ces forces nouvelles et incalculables, ces machines inconnues, où fermente l'énergie du globe, attendent l'idée qui doit les dominer. Qui aura la vie- f loire,lagoultede vapeur condenséedanslachaudière, \ ^ ou la pensée divine dans le cœur de l'homme? Voilà le j combat auquel nous assistons. La nature se montre avec toute sa puissance, pour déGer l'homme à ce der- 31 / 404 IDÉAL nier duel. Ne voulaDt pas être vaincus dans ce combat d'honneur, rassemblons donc, il le faut, de nouvelles énergies morales. Quand, au seizième siècle, la dé- couverte de rimprimerie a éclaté, l'Esprit s'est re- cueilli; il s'est élevé à la Réformation. Aujourd'hui, 1 Il est fini, ce long pèleriqage que nbus avons en- trepris ensemble. En touchant le but, d'autres hori- zons s'ouvrent; mais il faut s'arrêter aujourd'hui. Parmi tant d'événements et de siècles différents^ je me suis imposé la tâche de ne rien dire que je n'aie puisé dans l'étude immédiate des monuments et des sources. J'ai paru devant vous comme devant ma conscience ; j'ai cherché, j'ai appelé la vérité* La voilà, sans art, telle qu'elle m'a été donnée. J'ai parlé avec le sentiment que notre siècle est grand, M4 IDEAL etqneeesefait lu miDqiMrqw de nuiiqiier de li- berté et de linuiclnse. Sî cette aoDée a été rude pour nous, elle n'ipas été iDOtile* DtDS cette fraternité de pensées, qui, depuis vingt ans, nous unit, M. Midielet et moi, nous avons senti nos paroles germer en des coNin amis. Puisse cette fraternité s'étendre avec nos paroles dles-mémes ! Nous avons r^^relté de ne plus voir dans la latte cet envoyé de Texil ^, ce pèlerin polonais, qui, en consolant Témignilion polonaise, marquait l'alliance de la France et du monde Slave. Je dois remercier la presse, qui toutes les fois qu'une difficulté est survenue contre nous, a revcD- diqué aussitôt les droits du libre examen ; elle a vu en nous des hommes qui, placés hors des partis, n'ont point ici d'autre cause que l'honneur de la France et la dignité de l'esprit humain. Quant à vous, que vous dirai-je? nous nous con- naissons désormais, et nous n'avons plus besoin d'ex- plications mutuelles. La France sait qu'il s'élève une génération qui apporte un souffle nouveau; persoooe ne peut dire quelle forme prendra la vie morale que * M. Uickiewjcc. DE LA DÉMOCRATIE. 415 VOUS avez montrée ici. Ce qu'il y a de certain^ c'est qu'elle ne s'éteindra pas tout entière, et qu'elle comptera pour quelque chose dans le travail de ce temps. Vous nous avez entourés, et nos ennemis n'ont pu arriver jusqu'à nous; vous nous avez accablés de témoignages partis du cœur, et Dieu sait que jamais je ne lés ai rapportés à ma personne. Je vous ai donné ce que j'avais de mieux en moi ; vous m'avez donné en retour l'étincelle sacrée que toute âme jeune ap- porte dans le monde. Conservons, les uns et les au- tres, le foyer qui s'est formé ici du plus pur de nous- mêmes, et que ce soit là notre offrande au dieu du passé et de Tavenir. En nous séparant nous reste- rons unis. Je penserai loin de vous à ces heures de flamme; et vous aussi quelquefois vous vous sou- viendrez de nous. N'oubliez pas qu'à ce dernier instant nos adver- saires veillent encore. Retirez-vous paisiblement. Adieu, messieurs, vous êtes le printemps de l'année et l'espoir de la France. APPENDICE LETTRE  M. LE DIRECTEUR DU JOURNAL QES DÉBATS Monsieur, ïl né nous a pas été difficile, ai M. Michélet et à moi, de renoncer k répondre aux accusations por- tées contré nous à la Chambre des Pàxh. Après les avoir examinées, noua ne prendrons pas là peiné de les réfuter. Mais la bienveillance même que vous avez montrée envers des absents m'engage à vous adresser, avec mes remercfmehts , quelques obser- vations sur la réserve que vous faites a mon égard. Vous pensez , que si je m^écarté du programme dé mon cours, quelques sageà avertissements suf- firont pour m'y faire rentrer ; des paroles aussi 4 uiodèrées que les vôtres ne peuvent manquer de faire impression , mémo sur mes amis; et si je pou- vais céder k quelque chose ^ assurément ce serait à un conseil ttussi éclairé que le vôtre; mais je ne le puis ni ne le dois, et voici par quelles raisons. Vous supposez , Monsieur, que sur[Hris brusque- ment par une polémique violente, j'ai changé le ca* ractére de mon enseignement; que les passions qui sont venues me provoquer ont allumé chez moi un désir soudain de représailles, et que dés lors je suis sorti des conditions ordinaires de mes études. Il n'en est rien. Ce qui fait, ma tranquillité parfoite dans ces débats , c'est que je suis aujourd'hui ce que j'ai toujours été. Lorsque, il y a huit ans, j'ai commencé mon enseignement, j'ai débuté par cher- cher les rapports des littératures et des institutions religieuses. L'opinion publique était alors fort éloi- gnée de ce genre de questions; je pouvais me consi- dérer comme isolé et abandonné dans cette voie. Depuis ce temps-là, au contraire, l'attention gé- nérale a été portée de ce côté ; ce n'est pas moi qui suis allé au-devant de tout ce bruit. Je n'ai pas renoncé à cette carrière d'idées dans mon ensei- gnement, lorsque je pouvais croire que j'y resterais seul ; estrce une raison d'y rçnoncer, parce qu'au- 5 jourd'hui Tesprit public s'en mèïeî Je h'aî pas craint rîsolement, pourquoi craindrais-je la foiile? II y a septans, M. le ministre actuel de l'instruction publique m'a fait Thonneur d'assister à Tune de mes leçoris, et je conservé le témoignage de Tapprobation qu'il y a donnée, j'entrais alors dans la voie bti je n'ai cessé de marcher; je montrais les rapports de l'Évangile de saint Jean avec la religion des Persesî. Le résultat de ce premier enseignement a été résumé dans un volume intitulé le ùénie des Religions. Personne alors n'a songé que ce fût une chose étrangère aux lettres, que de montrer la source des grands poètes dans les croyances et dans les cultes. Appelé au Collège de France , j'ai porté dans l'é- tude des littératures méridionales le même esprit qui avait jusque-là dirigé mon ense%nement. Sans doute il m'eût été infiniment plus commode de tra- duire, pour mon auditoire, un auteur espagnol ou italien; j'ai pensé que dans ce noble Collège de France, je ne pouvais donner une tendance trop élevée ni trop philosophique à la critique. J'ai traité, dans une suite de leçons qui seront publiées bientôt, de Dante, de Pétrarque, de Machiavel, de Boccace, de Barros, de Galderon, des philosophes italiens du 2 6^ seizième siècle, etc.; mais il ne suffisait pas de parler isolément de chacun de ces hommes, il fallait moo- trer une fois le lien qui les rassemble, la soci^ dans laquelle ils vivent. Or, le lien qui les unit, c'est la religion. Otez-moi le christianisme, tout mon su- jet disparaît. Comprenne qui pourra, que je parle sérieusement de Tltalie sans Rome, de l'Espagne, des Arabes sans l'islamisme. Otez-moi, si vous le voulez, tous les prosateurs ' du Midi, ne me laissez qu'un poëte : choisissez. C'est Pétrarque. Je le veux bien, il suffit pour ramener la difficulté tout entière. J'ouvre au hasard ses œuvres, <ît je tombe sur ce traité : Du droit de VÉiat^ et de J l'iniquité du Saint-Siège. Me voilà de nouveau en proie aux questions les plus grandes ! Fermerai-je le livre? Imaginez un enseignement sur Homère, Pin- '. dare, Sophocle, et que le professeur soit tenu de ne rien dire des dieux ni de la religion grecque! autant vaudrait fermer cette chaire. Retrauchez delà littérature française Bossuet, Fénelon, Mas- sillon et tout Port-Royal, il le faut, si l'on veut que les lettres ne touchent pas l'Église; et encore cela ne servira de rien; le professeur retrouvera l'Église dans une tragédie, dans une comédie, dans j Aihalie, dans un vers de Molière- Où s'arrêter dans celte voie? Pour être conséquent, il faudrait dire à chaque professeur de littérature : Ne parlez pas de morale, c'est l'affaire du prêtre; laissez l'histoire, elle appartient à l'historiographe; les institutions au jurisconsulte, les monuments à l'architecte, la na- ture au naturaliste, la terre au géologue, le ciel k l'astronome! Après ce travail, une chaire de littéra- ture serait en effet peu redoutable ; elle n'aurait plus aucun sens. De plus, on n'aurait rien fait encore, si l'on n'ap- pliquait le même système aux sciences. Le littéra- teur pourra,- par une juste réciprocité, dire au phy- sicien : Il ne vous est plus permis de toucher à la chimie; au géologue : J'interdis le -déluge; à Fa- natomiste : J'interdis toute comparaison avec Té- chelle inférieure des êtres, car cela heurte l'idée que je me forme des premiers chapitres de la Genèse. Lorsque l'honorable M. Ampère est venu couronner sa carrière par ses travaux sur l'encyclopédie des sciences, il eût fallu lui fermer la bouche en lui rap- pelant qu'il était la pour refaire chaque année un môme nombre d'expériences de physique, et non pour créer une philosophie de la nature. Quel serait le résultat de cet isolement, si Ton y réduisaittoutes les sciences? la mort môme. Quant s aux lettres, fl ne ratenit qe'iiiie vum rUtaî- qne» Cela est ifantant {dos érideoty q[a'fl nestpK dans le corps enseignant nn eoon qm ne poîne être atteint sons nn prétexte sranblable à celai qo'on' m'oppose. Il n'est pas nn prcrfiesseor qni n'ait senti que la Tie de Fens^gnement est au- jourd'hui dans l'étude des rapports. En 1828,M. Yil- lemain était professeur de littérature française. Sans que la Restauration s'y fût opposée, il fit un cous justement célèbre sur le Parlement anglais, sur les orateurs anglais, sur la politique anglaise, sur lord Cbatiun , Pitt, Sheridan. Tout le monde sentit que le grand critique agrandissait, fécondait son sujet, qu'il ne le quittait pas ; et malgré les passions qui se mêlaient alors aux moindres débats politiques, la Chambre des Pairs ne songea pas à le ramener à la rhétorique de Le Batteux. Au Collège de France. mon ami et mon collègue, M. J.-J. Ampère, a, se- lon moi, fondé très-sagement son cours de littérature française sur le christianisme des Pères et la théo- logie du moyen âge. il a traité sans nulle opposition du pélagianisme et' de l'augustinianisme, de la na- ture et de la grâce. C'était son droit et son devoir, puisque ces mêmes questions redeviennent le fond du siècle de Louis XIY, Il me souvient, il est vrai, 9 que de Tiyes attaques s'élevèreut dans quelques journaux et daus quelques pamphlets lorsque le savant M. Letronoe traita du Déluge; înais je n'ai pas mémoire qu'il soit intervenu une seule .décîsiûu de l'une cm de l'autre Chambre pour proscrire oe sujet, qui^ dans Tétat présent des choses^ se trouve encore momentanément ouvert h la discussion. Pour ce qui me concerne plus particulièfèment, si j'ouvre les commentateurs du Dante au moyen fige, je vois qu^ilss'oecupent fort librement delathéo- Ic^e, de la politique, du droit, de l'Élise, de la pa- pauté; ces commentaires sont des encyclopédies. Et je me demande comment le droit que Boccace avait au quatonâéme siècle, Landini au quiniième, je devrais y renoncer au dix-neuvième ; je ne le vois pas clairement. n est vrai. Monsieur, que les personnes qui ne cherchent qu'un prétexte s'arrêtent au litre de mon cours : h Christianisme et la Révolution Françme; quel rapport cela peut-il avoir avec le Midi ? A ceux qui, comme vous, cherchent le vrai et non un prétexte^ je réponds que le programme de mon cours ren- ferme les littératures méridionales dans leurs rap- ports avec les institutions; qu'en publiant le volume 10 de mes leçons^ j*ai sans doute le droit d'y donner un litre plus précis, et de marquer ainsi te mouvement de Tespril humain entre deux époques. Dira-tH» que le christianisme ne regarde en rien le Midi, que la révolution française ne compte plus, qu'elle n'a pas même été aperçue par l'Italie et l'Es- pagne, par Monti, qui cherche l'enfer du Dante dans la Convention, par Alfieri, Manzoni et la nouvelle école espagnole? Cette lettre est trop longue , Monsieur, et cepen- dant elle m'a paru nécessaire pour expliquer com- ment je ne puis déférer aux observations bienveil- lantes que vous m'adressez. J'ai la conscience qu'eu cédant aujourd'hui sur un point, je serais contraint logiquement de céder demain sur un autre; et pour me rendre la vie plus facile, il ne me resterait qu'à abandonner la liberté et la dignité de Fenseigne- n^ent. Les vives inimitiés qui s*adresseot à nous, s'é- tendraient bientôt a d'autres, si nous manquions k notre tâche : autant vaut les assumer sur nous. J'ai le plaisir, au milieu de ces luttes, de ne haïr personne-, les difËicultés ne viennent pas de nosadver- siires, elles sont dans la situation môme. N'ayant pas cherché le combat, je ne le fuirai pas non plus; et puisque des paroles aussi tempérées que les vôtres 11 n'ont pu me convaincre de renoncer à ce que je considère comme le droit et la vie de l'enseigne- ment public, je ne pense pas que personne autre m'y décide aiséùient. Agréez, Monsieur, l'expression de ma considéra- tion la plus distinguée. Ê. QUINET. 21 avril 1845. Imprimerie de Ducessois, 55, quai des Auguslins. TABLE PREMIÈRE LEÇON. ÏNTBODUCTION. 9 Deux systèmes : un Dieu mort, un Dieu vivant. — Principe de la cri- tique littéraire : rapports des littératures et des institutioos reli- gieuses. — Aperçu du sujet. — Pourquoi la révolution d'Espagne est stérile. — Accord de la servitude religieuse et de la servitude politique. — École des nouveaux Guelfes en Italie ; idéal de li- berté, fondé sur la censure. — Les deux papes du dix-neuvième siècle. — Rome et la Rui^i^iç, — De la famine morale chez un peuple. DEUXIÈME LEÇON. De la tactique parlementaire en matière de religion et de philosophie. ' ' , 27 Objections préliminaires. — De la tactique en matière de philosophie et de religion. — Un danger pour Tcsprit français : les habitudes parlementaires appliquées aux affaires de l'esprit. — Conditions im- posées à réclectisme par ses origines. — Fausse capitulation qu'il propose entre la stieuce et la foi. — Il faut une religion pour le peuple : les privilégiés de la lumière, les prolétaires des ténèbres. — La fin du monde moral. — Quelque chose se meurt : l'idéal doc- trinaire. TROISIÈME LEÇON L'ÉGLISE DANS L'BSPRIT DB J^US-CHRIST 55 Un christianisme avant le Christ. — - La Grèce baptisée par Platon. •— L'Église primitive dans l'esprit de Jésua-Christ. — L'existence de Jesus^Cbrist niée par le P' Strauss. — Deux caractères de l'Évan- ^le. -— Le nouveau Fiat hx du monde moderne. — Sentimem TilBLE. d'attenl^ dans rÉiangile; aajounriiai qu'attendoiis-iMMtt? — Première dmsioii entie les apôtres. GofnnieDt elle se résout. — image de runité foUiie. — Église de saint Pierre, église de aiitt Paul. — Liturgie catholique. Pourquoi s'esl-elle arrêtée? — Les ruoérailles d*un monde. — La royauté de Tesprit; est-ce une royauté fotnéante? — Des blasons spirituels. — Les Mémoires de lx)uis XVI. — Le testament d^une époque. QUATblÈBIE LEÇON. Le cBnsnAKisM sahs iohe 79 Le dogme chrétien se développe sans Rome. — Première forme de la papauté ; un droit de procédure. -^ Principe des conciles ; le vote dans la cité divine. — Les Pères de TÉglise; comment ils ont en* tendu les rapports de TÉglise et de la philosophie. — Arianisme ; Athanase. — Contradiction entre TEglise primitive et TËglise mo- derne. — La déclaration des droits de Dieu, du cleigé, de Thomme. — Un catholicisme païen avant rÉvan$riie. — L*Église, le lien entre la race romaine et la race germanique. — Le christianisme légi- time les Barbares. — L*époque la plus croyante est-«lle la plus propre aux arts? — L'Égli^se dans la «olitude ; la société se renoue au désert. CINQUIÈME LEÇON. De la cité de oieu et db la cité^de l'aomme 107 Kapport des dogmes chrétiens et des institutions sociales. — Comment Thistoire universelle découle des dogmes. — Qu^ils sont la cité des idées dans la philosophie de Thistoire. — Les conciles, les assem- blées constituantes du moyen âge. — Pourquoi le chiistianisme est représenté par TÉ^^lise et les gouvernements comme une charte et une vérité d*outre-tombe. — Du miracle dans le monde moderne. — Que le Christ s'incarne depuis dix-huit cents ans dans le droit chrétien. — Après la passion du moyen âge, la résurrection dans rère dp la Révolution française. — L'Église était la pierre qui en* tfermait l'esprit dans le sépulcre. — Pourquoi le dogme de la frater- nité humaine s*est inscrit si tard dans le droit civil et politique. — Saint Augustin, le législateur du moyen âge. —Une féodalité éter- nelle dans les cieux, type de la féodalité temporelle sur la terre. — Des seigneurs suzerains du ciel, des serf^ de Penfer. — L'organi- sation du moyen âge existait en idée avant d'être réalisée par les TABLE. Barbares. — De la cité de Dieu, de la cité de Thomme. — Qui m9X; chérà au-devant des nouveaux Barbares ?— N'y a-t-il plu9 de pe^pl« dëDiëil? SIXIÈME LEÇON. Lb pape ..,..; iéi Condition fondamentale de la papauté i toiit pttpe doit htè m sàîfai. — Le Saint-Siège remplit^il cette cdlidition? «^ L'ihégaltté d'és^t entre les Barbares et Rome, une des causeà de la sUfifrélittàtie spiri- tuelle de la papauté. — • Que TÉglise a changé de formes comme les gouvernements temporels. — L'ambition de Grégoire VII n'est plus assez grande pour nos tétops. — Pourquoi? — Il ikit naîtFe d^uné fraude ou d*un crime tous les pouvoirs politiques. — Sa vraie grandeur. — Grégoire VII, un ancêtre de la Révolution française. — tJn terrorisme moral, un Ô3 spirituel. — Principe identique du âaint-ëiégê au biiziëme siècle et de la Convention : que les empe- reurs et les rois sont les vassaux de T esprit. — Le droit d'anathème est mbéreiità la constitution du.monde chrétien. — Qui jette Tana* th&mè dans le monde moderne? SEPTIÈME LEÇON. LÉ HAHOHitlglË i&9 Origines do mahdmétisme. Il ôôihitoencè )e jour 6Û le catholicisme s'arrête. — L'unité de Dieu mâhiféétéè trbis fois dans le désert. — Le Coran et la Bible. — Allah accomplit les menaces de Jehovah. — L'islamisme expliqué par ^architecture arabe. -^ La mosquée. L'Alhambra. — Esprit de terreur. L'Orient antique épouvante l'O- rient moderne. — Le Coran, un monologue de Pieu. — En quoi l'islamisme diffère du christianisme ; il se réalise instantanément dans les institutions politiques. — La propriété. — Les femmes. <^ L'esclave. — Quelle a été la mission de Mahomet? --* Pourquoi la société musulmane est immobile ? — • Impuissance du catholicisme à terminer la guerre entre l'Évangile et le Coran, r- La France et l'Algérie. HUITIÈME LEÇON. Le CORAN ET l'évangile 195 L'âglise catholique adopte, dans les croisades, le principe de Piftla- TABLE. misrae : Pextennination. — Que le Christ n*a pas coinl>attu Maho- met. — Gomment on peut Juger si une guerre se fait dans un esprit chrétien. — Les guerres de la Résolution française comparées à celles des croisades. — Lesquelles sont les plus chrétiennes ? — Le catholicisme et Tislamisme en Europe. — Mission de TEspagne ; elle épouse, malgré elle, dans la religion^ le génie, arabe. — Que conclure de Timpuissanceéu catholicisme à se réconcilier rorient? — Napoléon en Egypte. — Où est le secret de ta puissance future de PEuxope surTAsie? NEUVIÈME LEÇON. Les PHicuBSKURS dc là rkforkation 919 Avertissements à TÉglise. — Le schisme grec ; la diplomatie intro- duite dans le dogme. — La Renaissance : une réconciliation de la Grèce et de Tltalie, par Tintervention non de TÉgiise mais de Tart. — Les Albigeois. Saint Dominique. — L'inquisition espagnole : une pensée du Coran, sous une forme chrétienne. — La Réforma- tion chez les poètes du Midi, chez les docteurs. — Le pape et le concile se renversent Tun par l'autre. — Une nouvelle autorité parait : Jean Huss. — L'/mt£atton de Jésus-Christ : le livre d'al- liance entre les protestants et les catholiques. — Il ouvre une ère nouvelle. — Le Dieu et Thomme conversent sans le prêtre. — Der- nière épreuve. Jeanne d'Arc ; la puissance de Tâme s'appelle sor- cellerie. — Légitimité de la réformation. DIXIÈME LEÇON. La RÉFORKATIOn 247 Luther brise l'Église en la comparant à son idéal. — Gomment chez les réformateurs l'esprit de servitude et l'esprit de liberté se conci- lient. — La réforme n'est-ellc que négative ? — Première pierre de fondation du monde moderne. — Un nouveau degré dans le monde de l'âme. — Causes de la tristesse du protestantisme. — L'homme ne peut plus accuser que lui-même. — La Réforme et la Révolution française. — Condition actuelle du protestantisme. — Si la Bible était enlevée à l'homme, serait-ce la fin des choses ? ONZIÈME LEÇON. L^AHXRIQUE BT LA AÉFORMATION 271 Le nouveau monde est donné à un nouvel esprit. '«- Christophe Go- TABLE. lomb missionnaire et noyateur. — Son hérésie plus vraie que l'an- cienne orthodoxie. — L'Église du moyen âge en Amérique reste au-dessous de la religion et de Tidéal de Colomb. — Lutte du ca- tholicisme et de la réforme dans Tancien monde et dans le nouveau. •^ La monarchie espagnole ; expression politique du catholicisme moderne. — L'Escurial. — Pourquoi l'Inquisition a été particu- lière à TEspagne. — Goi^ment la Pénin%uTe a'compiris Tassocialion du Christ et de Mahomet dans la religion et dans la politique. — Saînte Tbérèse, l'accent des peuples du Midi. -»- Au Nord, le pro- testantisme se défend par des institutions. — La révolution d'Angle- terre ; l'âme de la réforme dans une société féodale. — Où est l'idéal de la constitution anglaise? — Le principe du protestantisme achève de se réaliser dans la démocratie des États-Unis. — Le catholicisme dans l'Amérique méridionale. — Principe de contradiction dans les républiques du Sud. — De l'unité morale que cherchait Christophe Colomb. DOUZIÈME LEÇON. L'ÉGLISE GALLICANE ET L'ÉGLISE DE L'AVENIR 303 L'Église renverse l'Église. — La France catholique se défie du catho- licisme. — Politique sacrée de Bossuet : la charte du pouvoir ab- solu. — Quel est le signe d'un gouvernement légitime et chrétien? — Une Eucharistie sociale. — Les libertés gallicanes et le fulur Cùncile ; uiie servitude dissimulée. — La papauté donne au dix- huitième siècle le signal de toute négation. — La bulle Unigenitus. Le christianisme nié par le Saint-Siège. — La guerre civile dans l'Église ; Bossuet et Fénelon. — Nécessit4 d'un autre idéal. — La littérature française est-elle catholique ? — Comparée à la littéra- ture espagnole. — La philosophie légitimée par l'Église. — Fausse Passion de l'esprit chrétien au dix-huitième siècle. TREIZIÈME LEÇON. L'assemblée constituante et la convention 331 La Révolution représentée par le cathohcisme comme un enfer. — Poèmes de Monti. — Difficulté particulière à la France. — Une révolution politique et sociale sans une révolution religieuse. — Tentative vaine de la Constituante de concilier la démocratie et le catholicisme. — Alliance naturelle, l'Église et la Vendée. — Comment le tempérament du catholicisme reparaît sous les formes révolutionnaires. — Le culte de V Être-Suprême ; une bulle de la TABLK. GônwtttftOB. — La terreur — Les; artriesi de PËglisé du tfiàiéii-l^ retouméee emitie elle.-*- Tnftillibilité ^e ft*attritnÉè là £dhf éâtiôÀ. *^ Spiritualisme de la Rérolutkm : Fichte et fiaint-Jtist. -^ tJn peuiÂe ftat son testtunem. -^ Réponse de rtglise à la OoiTtefitidii : lf.dellai8tre. QUATORZIÈME LBflpN. Napoléon. ' . , . ^ « « . . 861 Napoléon dans le plan de rhistoire uniTerçelIe ; il marque Talliaoee de la France et de Teeprit de TEurope m4ridieDale.-*PDurquei le chef de la démocratie française a-t-il été un étranger? — Influenee de la Corse, de ritalie sur la destinée de Bonaparte. — - Son éducation par ritalie et TÉgypte. — Le Ck)ncordat, une fousse tréTe. — Qui faisait les miracles sous le Ck>nsulat ? — Le Génie du ckristianiême, une hérésie. — Le sacre. Napoléon se livre à Tidéal du oatholi- cisme il du Midi. — Retour au passé ; Imitation de Charlemagne. — '*I)*où vient la stérilité des institutions de TEmpire? — Gomment la déknocratie était représentée dans TEmpereur. — Garaetère des proclamations. — • La Sainte-Alliance ; les invasions. — - Waterloo. QUINZIÈME LEÇON. IbAàL ob La DÉHoCRÀTte .'389 Pourquoi le câfhôlicisnie n*est plus Tàme de la^France. — Résultats de la Révolution de 1830. — Une grande secte. — Nouvelles théories éôciâles coniparées à celle de Gampanella. — Avenir de la démocra- tie. — - De Téducation du peuple. — Ôohscience du divin dans rhomme ; source de la législation nouvelle. — L'État remplace-t-il l'Église ? *^ Un sanctuaire au-dessus de TÉtat. — La Réforme de la Réforme. — Que la Révolution a ramené la foi à l'impossible. — Cause d'un divorce d'esprit entre les hommes et les femmes. — Gomment juger si une théorie est dans le plan de la Révolution française. — Conclusion* Appendice FIN. M^»Aa,ft^f^^l« ^^ E^n ;?'■ . W. iPffl tnSsi^iî's